|
Opinion :
La participation politique des jeunes en Algérie: Entre désenchantement civique et nouvelles formes d'engagement
par Oukaci Lounis* «La jeunesse ne rejette pas la politique,
elle cherche seulement un moyen de l'habiter autrement» (Bayat,
2010, p. 15).
Depuis plus d'une décennie, la question de la participation politique des jeunes en Algérie s'impose comme un enjeu majeur du débat public. Dans un pays où plus de 70 % de la population a moins de 35 ans (ONS, 2023), la jeunesse représente un acteur démographique central, mais paradoxalement sous-représenté dans les sphères décisionnelles. Si les jeunes constituent la majorité sociologique du pays, ils demeurent souvent absents des institutions politiques, des partis, et même des espaces formels de concertation. Cette contradiction entre poids démographique et marginalité politique révèle une crise plus profonde du rapport entre la jeunesse et la politique institutionnelle. L'histoire récente de l'Algérie montre que la participation politique des jeunes a toujours été traversée par des tensions entre espoir et désillusion. Héritière d'une tradition révolutionnaire valorisant l'engagement collectif, la jeunesse des années 2000 et 2010 a cependant évolué dans un contexte marqué par la désillusion postconflit, la centralisation du pouvoir, la crise économique et un chômage structurel élevé. Ces facteurs ont nourri un sentiment d'impuissance politique et un désintérêt croissant pour les canaux institutionnels de participation, notamment le vote. Les taux d'abstention massifs lors des dernières échéances électorales - plus de 77 % aux législatives de 2021 et près de 70 % aux locales de 2022 - traduisent une méfiance profonde envers la classe politique et les institutions représentatives. Pour autant, réduire la jeunesse algérienne à une génération apathique ou désengagée serait réductrice. Les mutations sociales et numériques de ces dernières années montrent au contraire l'émergence de nouvelles formes d'expression politique, souvent informelles, horizontales et numériques. L'usage intensif des réseaux sociaux, la montée d'initiatives citoyennes locales et l'expérience du mouvement populaire du Hirak (20192020) ont ouvert de nouveaux espaces de débat et d'action, situés en marge de la politique classique. Ces formes d'engagement, moins partisanes mais plus expressives, traduisent une redéfinition du rapport à la citoyenneté, où l'action concrète et la prise de parole remplacent l'adhésion à des structures hiérarchiques. Ainsi, le rapport des jeunes Algériens à la politique semble aujourd'hui osciller entre désenchantement civique et réinvention des pratiques citoyennes. D'un côté, la défiance envers les institutions traduit une crise de la représentation et un rejet du clientélisme politique. De l'autre, l'émergence de collectifs numériques, de campagnes de solidarité et d'initiatives locales montre que la jeunesse continue de s'impliquer, mais selon des modalités nouvelles, plus en phase avec ses valeurs d'autonomie, d'authenticité et de participation directe. Dans cette perspective, cet article se donne pour objectif d'analyser les transformations du rapport des jeunes Algériens à la politique entre 2010 et 2025, en identifiant les causes du désengagement électoral et les formes alternatives d'implication citoyenne. Il s'agit de comprendre comment la jeunesse algérienne, confrontée à une crise de confiance envers les institutions, redéfinit le sens même de la participation politique. L'hypothèse centrale qui guidera cette étude est la suivante : la jeunesse algérienne ne rejette pas la politique en soi, mais les canaux traditionnels de participation. Elle invente d'autres manières d'exercer sa citoyenneté, à travers le numérique, l'action communautaire ou la mobilisation sociale, qui expriment une quête de légitimité et de renouvellement démocratique. Pour aborder cette problématique, l'analyse s'appuiera sur des données statistiques récentes, des travaux sociologiques (notamment ceux du CENEAP et de l'ONS), ainsi que sur des approches théoriques de la participation politique et de la citoyenneté à l'ère numérique (Rosanvallon, 2015 ; Castells, 2012 ; Mbembe, 2016). L'article s'organise en trois grandes parties : La première partie analysera les causes du désenchantement politique et de la désaffection électorale des jeunes en Algérie. La deuxième partie mettra en lumière les nouvelles formes d'engagement citoyen numériques, associatives et communautaires - qui redéfinissent les contours de la participation politique. Enfin, la troisième partie proposera une réflexion sur les perspectives de réconciliation entre jeunesse et institutions, en s'interrogeant sur les conditions d'un renouveau démocratique à l'ère du numérique. I. Les causes du désenchantement politique et de la désaffection électorale des jeunes en Algérie Une crise multidimensionnelle de confiance envers les institutions La principale cause du désengagement politique des jeunes Algériens est une profonde crise de confiance envers les institutions. Des enquêtes (CENEAP, 2018, 2021) et des travaux universitaires locaux révèlent que la jeunesse perçoit ces institutions comme peu représentatives, inéquitables et déconnectées de leurs préoccupations socio-économiques. Cette crise s'explique par trois facteurs. a. Opacité décisionnelle: la centralisation du pouvoir et le manque de transparence créent une perception d'inaccessibilité. Les jeunes, surtout les diplômés, estiment que les décisions se prennent sans eux, renforçant leur sentiment d'exclusion politique. b. Déficit de représentativité: malgré leur poids démographique, les jeunes sont sous-représentés dans les instances élues. En 2021, moins de 3 % des députés avaient moins de 35 ans (APN, 2021), une situation similaire dans les assemblées locales. Ce déficit symbolique renforce l'idée que la politique n'est pas faite pour eux, un sentiment exprimé lors d'entretiens et d'enquêtes sociologiques post-Hirak. c. Scandales politico-financiers : les affaires de corruption dévoilées depuis 2019 ont amplifié la défiance et remis en question la légitimité de la classe politique. La majorité des jeunes interrogés par l'ONS (2022) identifient la corruption comme le principal obstacle à la participation politique. Désillusion et contexte socio-économique Le désengagement politique des jeunes s'explique aussi par un contexte socio-économique difficile qui structure leurs représentations, nourrit leurs frustrations et influence leur rapport à la citoyenneté. a. Chômage et précarité : le taux de chômage des jeunes, dépassant 29 % (ONS, 2023), fragilise leur identité sociale et crée un sentiment de stagnation. La priorité donnée à la survie ou à l'adaptation individuelle relègue l'investissement politique au second plan, perçu comme un luxe en situation de précarité. b. La migration comme alternative (harga) : La migration, légale ou illégale, motivée par l'absence d'opportunités et le manque de confiance dans le système sociopolitique, devient une stratégie d'évitement du politique. Elle exprime l'idée que l'avenir se trouve ailleurs. c. Blocage de la mobilité sociale : la perception d'injustice sociale est forte, la réussite étant perçue comme dépendant davantage du capital relationnel que de la compétence (CENEAP, 2020). Ce sentiment démotive la participation à un système perçu comme bloqué. Le déclin du vote chez les jeunes : symptôme d'une rupture générationnelle La baisse continue de la participation électorale des jeunes reflète un désenchantement profond, confirmé par les élections législatives de 2017 et 2021, ainsi que les élections locales de 2022. Ce désengagement s'explique par trois facteurs principaux : a. Inefficacité perçue du vote: beaucoup de jeunes considèrent le vote comme un outil inefficace, estimant que les résultats sont prévisibles, que les élus manquent de pouvoir réel et que les promesses électorales ne sont pas tenues. b. Absence d'offre politique attractive : les partis traditionnels peinent à se renouveler, tant dans leurs discours que dans leurs figures et leurs méthodes. Les jeunes ne s'identifient pas aux récits politiques existants ni aux élites partisanes, perçues comme déconnectées de leurs préoccupations. Cette distance générationnelle est accentuée par la faiblesse du travail de proximité des partis et l'absence de programmes axés sur l'économie du savoir, le numérique ou l'entrepreneuriat. c. Politisation hors institutions : L'expérience du Hirak a transformé les modes de politisation des jeunes, qui se sont massivement mobilisés dans la rue entre 2019 et 2020, mais pas dans les urnes. Cette mobilisation démontre leur capacité d'engagement, qui s'exprime cependant en dehors des circuits institutionnels. Un système éducatif peu formateur à la citoyenneté active L'école joue un rôle crucial dans la socialisation politique. Cependant, des études nationales indiquent que le système éducatif algérien peine à transmettre des compétences civiques solides. a. Une éducation civique formelle mais peu participative : Les programmes mettent l'accent sur l'histoire nationale, la souveraineté et les valeurs de l'État, mais accordent peu de place à la pensée critique, au débat argumenté et à l'apprentissage concret de la participation citoyenne. L'école forme davantage à la loyauté institutionnelle qu'à l'engagement démocratique. b. L'absence de clubs et de simulations démocratiques : le manque ou l'encadrement strict des espaces d'expression étudiante dans de nombreux établissements limitent les occasions d'expérimenter la citoyenneté active, contribuant à percevoir le politique comme un domaine lointain. Un environnement médiatique polarisé et peu crédible Les jeunes Algériens se méfient des médias traditionnels, qu'ils jugent peu indépendants et manquant de pluralisme. Cette méfiance alimente le désenchantement : les chaînes publiques sont perçues comme trop institutionnelles, tandis que les chaînes privées sont jugées sensationnalistes et peu rigoureuses. Les plateformes numériques, bien que devenues la principale source d'information, véhiculent parfois désinformation, rumeurs et polarisation. Ce manque d'espace médiatique fiable fragilise la confiance dans le politique et nourrit la distanciation, voire la radicalisation de certains discours anti-institutionnels. Le désengagement politique des jeunes en Algérie est donc le symptôme d'une crise globale de confiance, de représentativité et d'efficacité perçue du système politique. Il est alimenté par des facteurs institutionnels, socio-économiques, éducatifs et médiatiques qui convergent pour créer un sentiment de distance et d'impuissance. La jeunesse ne rejette pas la politique en tant que telle, mais conteste ses formes actuelles, jugées inefficaces ou inadaptées à ses attentes. II. Nouvelles formes d'engagement citoyen chez les jeunes Algériens : une redéfinition de la participation politique Malgré une défiance croissante envers les institutions traditionnelles, la jeunesse algérienne développe, depuis les années 2010, de nouvelles formes d'engagement citoyen. Loin de l'apathie, les jeunes investissent des espaces alternatifs numériques, communautaires, associatifs ou informels témoignant d'une mutation du rapport à la citoyenneté. Ces pratiques confirment que les jeunes ne rejettent pas la politique, mais ses formes classiques. Cette partie analyse ces nouvelles formes d'engagement à travers cinq dynamiques majeures. Essor du cyberactivisme : une citoyenneté numérique expressive a. Les réseaux sociaux comme espace de débat public: Les plateformes numériques (Facebook, Instagram, TikTok et X) sont devenues le principal espace politique pour les jeunes Algériens (CENEAP, 2021). Elles permettent d'exprimer des opinions et des critiques, de partager des informations, des analyses, des vidéos et des podcasts, et de participer à des discussions politiques horizontales. Selon l'ONS (2023), 83 % des jeunes de 18 à 35 ans s'informent principalement via les réseaux sociaux, contre 21 % via les médias traditionnels. Cette dynamique s'inscrit dans ce que Castells (2012) appelle un réseau d'indignation et d'espoir, une sphère numérique qui amplifie la parole citoyenne et contourne les médiations institutionnelles. b. Les campagnes en ligne : les jeunes mènent des actions politiques via des hashtags, des pétitions ou des mobilisations virales, par exemple, des campagnes anti-harcèlement, des mobilisations contre les coupures d'eau ou d'électricité, ou la dénonciation de projets environnementaux controversés (Béjaïa, 2021). Ces campagnes génèrent une nouvelle forme d'efficacité symbolique et sociale, même si elles ne se traduisent pas toujours en décisions institutionnelles. c. Le numérique comme outil de contre-pouvoir : la diffusion d'informations alternatives, de vidéos citoyennes et d'analyses indépendantes contribue à un écosystème de vigilance citoyenne, souvent inspiré du - citizen journalism - (Allan, 2017). Participation citoyenne locale : un engagement concret et pragmatique Face à la déception envers la politique nationale, de nombreux jeunes s'investissent dans des initiatives locales, motivés par la proximité des problèmes, l'impact immédiat de l'action et la facilité d'accès. a. Les actions communautaires : on observe une multiplication de collectifs locaux, principalement menés par des jeunes, qui réalisent des actions telles que le nettoyage de quartiers, l'aide aux familles vulnérables, les campagnes de don de sang, les initiatives environnementales et le soutien scolaire. Ces actions traduisent une citoyenneté pragmatique (Roche, 2018), axée sur des résultats concrets plutôt que sur les institutions. b. La montée des micro-associations : depuis 2014, l'Algérie connaît une explosion du nombre d'associations locales, souvent animées par de jeunes diplômés, actives dans l'environnement, la culture, l'entrepreneuriat et l'innovation sociale (ex. associations à Tipaza, Béjaïa, Mostaganem). Ces micro-organisations jouent un rôle d'éducation civique informelle et permettent aux jeunes de développer des compétences d'initiative, de gestion et de mobilisation. Le Hirak (2019-2020) : catalyseur d'une nouvelle politisation générationnelle a. Une entrée massive des jeunes dans la contestation pacifique : Le Hirak a été un moment fondateur pour les jeunes, avec des millions de participants aux marches, confirmant l'existence d'une politisation hors du cadre du vote et des partis. Les motivations étaient diverses : demande d'un État de droit, rejet du cinquième mandat, aspiration à la dignité citoyenne et exigence d'un renouvellement du système politique. Mbembe (2016) qualifie ce type de mobilisation de « politique du vivant », axée sur la dignité et le refus du mépris institutionnel. b. Le Hirak comme école civique : Pour de nombreux jeunes, le Hirak a été une école de débat public, un espace d'apprentissage de la non-violence et un lieu de construction d'une conscience politique collective. Il a transformé la culture politique de la jeunesse, qui a intégré la dimension du contrôle citoyen (Rosanvallon, 2015) et de la surveillance démocratique. 4. L'entrepreneuriat et l'innovation sociale : une forme d'engagement politique indirect Depuis la création de dispositifs comme l'ANSEJ puis l'ANGEM, l'entrepreneuriat est devenu pour certains jeunes un outil d'autonomisation et de changement social. a. L'entreprise comme outil civique : Créer une start-up, un projet numérique, une solution environnementale ou éducative est devenu un moyen pour les jeunes d'exprimer leur volonté d'agir, leur refus de la dépendance et leur désir de contribuer à la société. L'entrepreneuriat devient une forme de citoyenneté productive (Ehrenberg, 2010), même si elle n'est pas directement politique. b. Les technopôles et incubateurs : des espaces d'action concrète pour la jeunesse algérienne : Dans un contexte où la participation politique formelle reste limitée ou perçue comme inefficace, les jeunes Algériens se tournent de plus en plus vers des espaces d'innovation, d'incubation et de collaboration, qui leur permettent de s'impliquer concrètement sans dépendre des structures partisanes. Ces espaces comprennent les cyberparcs et hubs universitaires, les incubateurs d'entreprises et de projets technologiques, les espaces de coworking et fab labs. Ils représentent de véritables laboratoires de citoyenneté active, où l'action, l'innovation et l'entrepreneuriat remplacent la dépendance aux partis politiques. b.1. Une répartition géographique stratégique et équitable : Pour maximiser leur impact, il est crucial que ces infrastructures soient distribuées de manière équilibrée à travers l'ensemble du territoire algérien, en incluant non seulement les grandes villes côtières, mais aussi l'intérieur et le Sud du pays. Une proposition de répartition pourrait inclure : Nord-Ouest et Ouest : Oran, Tlemcen, Béchar, Djelfa ; Centre : Alger, Laghouat, Ghardaïa ; Est : Constantine, Annaba, Biskra, Ouargla ; Extrême Sud : Tamanrasset. Cette configuration garantit que les jeunes de toutes les régions (littoral, Hauts Plateaux et zones sahariennes) ont accès à des espaces d'expérimentation et de formation pratique, renforçant ainsi l'équité territoriale et sociale. b. 2. Des pôles d'attraction pour la jeunesse proactive : Ces technopôles et incubateurs favorisent le travail collaboratif, la création de projets concrets et le développement de compétences numériques et entrepreneuriales ; permettent aux jeunes de tester des idées, de prototyper des solutions et de créer des startups, souvent en lien avec les besoins locaux ; constituent des alternatives à la participation politique traditionnelle, en offrant une reconnaissance sociale et professionnelle basée sur l'action et la créativité. b. 3. Un levier de développement territorial et national : Une distribution équitable des technopôles contribue à réduire les déséquilibres régionaux en matière d'innovation et d'emploi ; à renforcer la cohésion nationale en donnant aux jeunes des zones moins favorisées les moyens de s'engager et de créer ; à stimuler la diaspora et les talents locaux, qui peuvent participer aux incubateurs même depuis l'étranger via des programmes hybrides ou numériques. Les technopôles et incubateurs représentent pour la jeunesse algérienne une forme d'engagement concret, autonome et valorisant, permettant d'exprimer sa créativité, son dynamisme et son sens de l'action citoyenne. Leur succès dépend toutefois d'une répartition équitable à travers l'ensemble du territoire, du Nord au Sud, des grandes métropoles aux régions périphériques, garantissant que tous les jeunes Algériens puissent bénéficier de ces opportunités. 5. L'engagement culturel, artistique et identitaire : une politisation alternative La jeunesse algérienne investit fortement les espaces culturels comme : la musique (rap, fusion, musique urbaine) ; les arts visuels ; le théâtre et le stand-up ; la production audiovisuelle sur YouTube. Cet engagement exprime un rapport politique indirect, souvent critique vis-à-vis : des injustices sociales ; de la corruption ; des discriminations régionales ; de la morale politique dominante. Les artistes jouent un rôle de passeurs de messages sociaux, comme le montre la littérature sur la politique ordinaire (Bayat, 2010). Loin d'être dépolitisée, la jeunesse algérienne développe une citoyenneté renouvelée, fondée sur l'expression, la solidarité, l'action locale, le numérique et la créativité. Elle ne rejette pas la politique, mais la reconfigure à travers des pratiques horizontales, inclusives et autonomes. Ces nouvelles formes d'engagement montrent une évolution vers une citoyenneté plus directe, plus expressive et moins institutionnelle, ouvrant la voie à des transformations démocratiques profondes. III. Réconcilier la jeunesse et les institutions : les conditions d'un renouveau démocratique en Algérie La dernière décennie a révélé une transformation profonde du rapport entre la jeunesse algérienne et la politique. Entre désenchantement envers les institutions et émergence de nouvelles formes d'engagement, la question centrale devient : comment retisser le lien entre les jeunes et le système politique ? Cette troisième partie propose une analyse des conditions nécessaires à un renouveau démocratique en s'appuyant sur les cadres théoriques de la confiance institutionnelle (Norris, 2011), de la participation citoyenne à l'ère numérique (Rosanvallon, 2015 ; Cardon, 2019) et des dynamiques de démocratie participative (Fung, 2006). 1. Restaurer la confiance: une réforme institutionnelle fondée sur l'ouverture et la transparence a. Transparence décisionnelle et lutte effective contre la corruption : Les enquêtes nationales du CENEAP (2021) montrent que la première demande des jeunes envers l'État est la transparence. Trois mesures structurantes peuvent favoriser cette confiance : rendre publics les processus décisionnels, notamment au niveau local (budgets, appels d'offres, priorités territoriales) ; renforcer les organes de contrôle (Cour des comptes, inspection générale des finances) ; sanctionner de manière visible la corruption, en évitant les perceptions d'impunité. Ces actions s'inscrivent dans ce que Rosanvallon (2015) appelle les « pouvoirs de surveillance démocratique », essentiels pour reconstruire la légitimité institutionnelle. b. Décentralisation active et valorisation des collectivités locales : la majorité des jeunes perçoit la gestion locale comme plus accessible et plus honnête que la politique nationale. Renforcer les communes, les wilayas et les conseils locaux permettrait : de rapprocher les décisions des citoyens ; d'améliorer la participation ; de donner aux jeunes des espaces politiques concrets. c. Intégration de jeunes cadres dans les institutions : le renouvellement générationnel des élites politiques demeure une demande forte. Cela implique : des quotas temporaires (non permanents) dans certains conseils ; la création d'un programme national des jeunes élus ; l'ouverture de stages parlementaires et locaux pour les étudiants. 2. Repenser les mécanismes formels de participation : vers une démocratie plus inclusive a. Faciliter l'accès à la participation électorale : Pour réduire l'abstention : simplification de l'inscription électorale en ligne ; campagnes de vulgarisation sur le rôle réel des assemblées ; introduction du vote électronique ou mobile, en assurant sa sécurité. b. Encourager la démocratie participative : les travaux de Fung (2006) montrent que les dispositifs participatifs améliorent la confiance lorsqu'ils permettent un impact concret. L'Algérie pourrait développer : des budgets participatifs communaux, des conseils citoyens de jeunes, des forums de citoyens tirés au sort. Ces mécanismes permettent d'inclure les jeunes sans les obliger à rejoindre les partis. c. Réforme des partis politiques : les partis doivent se moderniser pour devenir attractifs : formation des militants aux questions numériques, environnementales et économiques ; transparence interne ; renouvellement des cadres ; ouverture aux jeunes professionnels, aux femmes et aux étudiants. Sans cette transformation, les partis resteront en décalage avec les attentes de la jeunesse. 3. Renforcer la citoyenneté par l'école et l'université : une éducation civique active a. Introduire une pédagogie de la citoyenneté active : L'école doit dépasser l'éducation civique formelle et adopter : débats, simulations parlementaires, projets collectifs ; clubs d'initiation à la citoyenneté ; espaces de prise de parole protégés et autonomes. Les pédagogies critiques et participatives (Freire, 1974 ; Dewey, 1916) montrent que l'apprentissage actif renforce le sentiment d'efficacité civique. b. Transformer l'université en espace citoyen : les universités algériennes peuvent devenir des laboratoires de citoyenneté : élections étudiantes transparentes ; incubateurs civiques ; hackathons de solutions publiques ; partenariats avec les collectivités locales. c. Former les enseignants à l'éducation civique moderne : Un programme de formation continue devrait intégrer : les compétences civiques ; la culture démocratique ; l'esprit critique ; l'éducation aux médias et à l'information. 4. Accompagner les nouvelles formes d'engagement : reconnaître la citoyenneté numérique et communautaire a. Institutionnaliser la citoyenneté numérique : L'État peut reconnaître et canaliser l'énergie du cyberactivisme en créant : des plateformes officielles de consultation numérique ; des mécanismes de pétition en ligne reconnus ; des espaces de dialogue numérique sécurisés. b. Soutenir les initiatives locales et associatives : Pour accompagner l'action communautaire : fonds dédiés aux micro-associations ; formation en gestion de projet ; accès facilité aux infrastructures locales. c. Encourager l'innovation civique : les jeunes innovateurs dans la Civic Tech ou les projets sociaux doivent être soutenus via : des incubateurs spécialisés ; des bourses ; des concours nationaux d'innovation citoyenne. 5. Renouveler le contrat symbolique entre l'État et la jeunesse a. Reconnaître les aspirations de la génération post-2010 : La jeunesse demande : dignité, équité, transparence, participation directe, autonomie décisionnelle. Reconnaître ces aspirations dans les politiques publiques est essentiel. b. Construire une narration nationale renouvelée : La jeunesse ne se reconnaît plus dans les récits traditionnels. Il s'agit de construire un récit politique qui : valorise l'innovation ; célèbre les réussites des jeunes ; redéfinit le patriotisme comme participation civique active. c. Mettre en place un Conseil national de la jeunesse : Un espace réel, avec : pouvoir consultatif renforcé ; représentativité régionale ; implication de la diaspora ; suivi des politiques publiques dédiées à la jeunesse. Remarque : Ce conseil diffère des missions du ministère de la jeunesse. Je dirai un CNES bis. Conclusion La participation politique des jeunes en Algérie révèle une tension profonde : d'un côté, la désaffection envers les canaux institutionnels traditionnels ; de l'autre, un dynamisme citoyen inédit, exprimé à travers le numérique, l'engagement communautaire et les initiatives locales. Comprendre cette dualité montre que la jeunesse n'est pas désengagée, mais en quête de formes de participation plus ouvertes, plus transparentes et plus concrètes, capables de transformer ses aspirations en actions tangibles. Le renouveau démocratique exige donc la reconstruction de la confiance institutionnelle, l'ouverture réelle des espaces décisionnels aux jeunes, la reconnaissance des engagements alternatifs, la modernisation des mécanismes de participation et une éducation civique active et participative. Loin d'être un défi, cette génération constitue une opportunité historique pour amorcer un nouveau cycle politique, fondé sur l'action, la responsabilité et la créativité citoyenne. *Professeur - Université de Constantine 2 Références Allan, S. (2017). Citizen journalism: Global perspectives. New York: Peter Lang. Bayat, A. (2010). Life as politics: How ordinary people change the Middle East. Stanford University Press. Cardon, D. (2019). Culture numérique. Paris: Seuil. Castells, M. (2012). Networks of outrage and hope: Social movements in the Internet age. Cambridge: Polity Press. CENEAP. (2018, 2020, 2021). Enquêtes nationales sur la jeunesse et la participation. Alger: Centre National d'Études et d'Analyses pour la Population. Dewey, J. (1916). Democracy and education: An introduction to the philosophy of education. New York: Macmillan. Ehrenberg, A. (2010). La société du malaise. Paris: Seuil. Freire, P. (1974). Pédagogie des opprimés. Paris: Maspero. Fung, A. (2006). Varieties of participation in complex governance. Public Administration Review, 66(s1), 6675. https://doi.org/10.1111/j.1540-6210.2006.00667.x Mbembe, A. (2016). Politiques de l'inimitié. Paris: Éditions La Découverte. Norris, P. (2011). Democratic deficit: Critical citizens revisited. Cambridge University Press. ONS. (2021, 2022, 2023). Statistiques sur la jeunesse, le chômage et la participation civique. Alger: Office National des Statistiques. Roche, M. (2018). Sociologie de la participation citoyenne. Paris: Armand Colin. Rosanvallon, P. (2015). Le bon gouvernement. Paris: Seuil. CENEAP. (2021). Études sur la perception des institutions. Alger: Centre National d'Études et d'Analyses pour la Population. ONS. (2023). Rapport sur la jeunesse et la participation civique. Alger: Office National des Statistiques. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||