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Donald Trump, encensé par l'Asie centrale: La tentation du pouvoir providentiel

par Salah Lakoues

Sous les ors de la Maison-Blanche, Donald Trump a reçu les dirigeants d'Asie centrale comme des disciples. Loué comme un « homme envoyé par le Ciel », l'ancien magnat de l'immobilier s'érige désormais en modèle pour les régimes autoritaires d'Eurasie. Un signe du temps : la démocratie recule, la fascination pour la force avance.

L'image est saisissante : dans une réception fastueuse à la Maison-Blanche, les présidents du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan saluent Donald Trump comme un « homme d'État envoyé par le Ciel ». À travers ces mots, ce n'est pas seulement l'exc »s de flatterie protocolaire qui s'exprime, mais une forme de reconnaissance symbolique : celle d'un modèle de leadership autoritaire, décomplexé, qui séduit désormais jusqu'aux confins de l'Asie centrale.

Trump, en quête de légitimité mondiale pour son second mandat, trouve dans cette région un terrain d'accueil idéal. Des régimes qui partagent avec lui une même méfiance vis-à-vis des élites libérales, une même admiration pour le pouvoir fort, et surtout une même conviction que la démocratie n'est plus un préalable à la coopération internationale.

L'Asie centrale entre trois empires

Depuis la chute de l'URSS, les cinq républiques d'Asie centrale - Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizstan, Tadjikistan et Turkménistan - naviguent entre trois pôles d'attraction : Moscou, Pékin et Washington. La Russie demeure le garant militaire, notamment via l'Organisation du traité de sécurité collective. La Chine, avec ses Nouvelles routes de la soie, est le premier partenaire commercial et investisseur dans les infrastructures. Les États-Unis, longtemps en retrait, réapparaissent sous Trump par la voie la plus directe : celle du contrat et de l'allégeance politique. Cette région, jadis verrouillée par Moscou, cherche à se repositionner dans le nouvel échiquier multipolaire. En accueillant le président américain, ces dirigeants affirment qu'ils ne veulent plus être de simples zones d'influence, mais des acteurs capables de dialoguer avec toutes les puissances. Le geste est habile : flatter Trump, c'est obtenir sa bienveillance sans contrepartie morale.

Les Accords d'Abraham, ou la diplomatie symbolique

L'annonce du Kazakhstan rejoignant les Accords d'Abraham s'inscrit dans cette stratégie. Sur le plan pratique, elle change peu : le pays entretient déjà des relations diplomatiques avec Israël. Mais pour Trump, cette adhésion est un trophée. Elle relance le récit d'une « paix par les affaires », où la normalisation avec Israël devient la vitrine d'un monde supposément apaisé, régi par des intérêts convergents plutôt que par des principes.

Cette diplomatie de la transaction se nourrit de gestes spectaculaires, destinés à flatter l'électorat américain évangélique et pro-israélien, tout en séduisant les élites arabes et musulmanes désireuses d'un adossement sécuritaire à Washington. Le Kazakhstan, en rejoignant cette architecture, n'entre pas dans une logique de paix régionale, mais dans une politique de reconnaissance mutuelle entre régimes autoritaires.

Les droits humains, variable d'ajustement

Les ONG ne s'y trompent pas : sous le vernis des accords économiques et des grands discours sur la « stabilité », la situation des libertés s'aggrave. Amnesty International dénonce une répression accrue des voix critiques, Human Rights Watch évoque harcèlement et procès politiques, tandis que la presse indépendante est presque inexistante. Le démantèlement de Radio Free Europe, unique média américain diffusant dans les langues locales, symbolise la fin de la diplomatie de la liberté. Trump préfère aux journalistes les oligarques, aux sociétés civiles les deals d'État à État. Dans cette vision du monde, les droits humains deviennent une marchandise négociable - une option diplomatique que l'on supprime au nom du pragmatisme.

Un nouvel axe du populisme autoritaire

Ce rapprochement entre Trump et les régimes d'Asie centrale révèle une mutation plus profonde : la convergence entre populisme occidental et autoritarisme eurasien. Tous partagent une même rhétorique - culte du chef, rejet du « globalisme », exaltation des traditions, suspicion envers la presse - et une même obsession : le contrôle.

Sous couvert de restaurer la souveraineté nationale, ils construisent une internationale du pouvoir fort, où la verticalité du commandement prime sur la légitimité démocratique.

L'Asie centrale y voit une occasion de rompre sa dépendance vis-à-vis de Moscou, Trump y voit la validation de son style : celui d'un empereur postmoderne que l'on acclame plus qu'on ne contredit.

Chute : la Maison-Blanche, miroir du nouveau monde

Que des présidents d'Asie centrale louent un président américain comme un envoyé du Ciel n'a rien d'anodin. Le lieu même de la rencontre - la Maison-Blanche - ajoute à la scène une dimension quasi liturgique.

Mais ce n'est pas une première : le secrétaire général de l'OTAN lui-même avait déjà ouvert la voie, recevant à Bruxelles ces mêmes dirigeants au nom de la stabilité régionale. Sous couvert de sécurité collective, l'Alliance atlantique a, elle aussi, fermé les yeux sur la répression et les prisons d'opinion.

Trump n'a fait qu'aller plus loin : là où l'OTAN feignait l'équilibre, lui revendique la complicité.

Là où les démocraties parlaient valeurs, il parle pouvoir.

Et dans le silence doré du Bureau ovale, il sourit.

Le monde, pense-t-il, revient enfin à la raison.

Et les despotes, un à un, viennent en témoigner.