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Société :
Du sang pur à la peur du métissage: Comment la rhétorique trumpienne ressuscite les ombres d'Hitler
par Laâla Bechetoula On croyait les mots enterrés
avec le siècle des totalitarismes. Mais les voilà qui reviennent, repeints aux
couleurs de la bannière étoilée. Quand Donald Trump
parle d'un pays dont « le sang est empoisonné » par les migrants, ce n'est pas
seulement un glissement de langage : c'est une plongée dans un imaginaire
biologique que l'Histoire a déjà condamné.
Ce texte explore, sans outrance mais sans indulgence, les parallèles entre le Mein Kampf de 1925 et ce que l'on pourrait appeler aujourd'hui, tragiquement, le Mein Trump Kampf. Adolf Hitler naît en 1889 dans une Autriche en crise identitaire. Il grandit dans une Europe en proie aux mythes raciaux. Dans *Mein Kampf*, il écrit: «Toutes les grandes civilisations du passé ont péri parce que la race créatrice originelle s'est éteinte, victime de l'empoisonnement du sang.» Cette phrase, d'apparence théorique, fonde tout le projet nazi. Le sang devient symbole de pureté, la race un dogme biologique, et l'Autre -Juif, Africain, métissé -un danger vital. L'Allemagne se perçoit comme un corps malade, qu'il faut purifier. Donald Trump, un siècle plus tard, dans un meeting du New/ Hampshire, déclare/ : «They're poisoning the blood of our country.» Il affirme ne pas connaître *Mein/ Kampf*. Pourtant, l'écho est saisissant: même lexique, même métaphore organique, même peur du mélange. Les historiens rappellent que l'usage de ces images n'est pas anodin: elles biologisent la politique, elles transforment la société en organisme et l'immigré en virus. Hitler imaginait la «nation aryenne» comme un être biologique. Dans *MeinKampf*, il écrit: «Le mélange du sang et la chute qui en résulte du niveau racial sont la seule cause de la mort des anciennes civilisations.» Trump reprend, sous une autre forme, la même imagerie: la nation américaine serait un corps dont le «sang»-l'identité-serait menacé par des flux étrangers. Dans son discours, il parle d'«invasion», d'«infestation», de «vermine». Il ne décrit plus des êtres humains, mais une menace pathologique. Or, l'histoire l'a montré: dès qu'une société parle de ses citoyens comme d'une infection, elle prépare son propre désastre moral. Les mots précèdent toujours les crimes: ils anesthésient la conscience avant d'armer la main. La ressemblance ne s'arrête pas au vocabulaire biologique. Elle s'étend à la logique politique. Hitler dénonçait une «presse menteuse» (*Lügenpresse*). Trump parle de «fake news». Hitler désignait les Juifs comme ennemis du peuple. Trump traite les journalistes et ses opposants de «vermine» et d'«ennemis du peuple». Dans les deux cas, la rhétorique repose sur le même triptyque: la pureté, la peur et la désignation d'un bouc émissaire. Ces trois ressorts suffisent à construire une mythologie populiste. Quand le réel devient complexe, il suffit d'inventer un ennemi. Mais le plus inquiétant n'est pas la ressemblance des mots: c'est leur efficacité. Trump sait, comme Hitler le savait, que la peur est une énergie politique. Qu'elle soude les foules, qu'elle simplifie le monde, qu'elle donne à chacun l'illusion de comprendre et de dominer. Chez Hitler, la métaphore du «sang» n'est pas restée un simple discours. Elle a donné naissance à des politiques de stérilisation, aux lois de Nuremberg, à la Shoah. Le mot est devenu décret. Chez Trump, l'Amérique reste une démocratie, mais la pente existe: plans d'expulsions massives, création de camps de détention, criminalisation de l'asile. Les mots, encore une fois, précèdent les actes. Le *Washington Post* titrait récemment: «Trump's rhetoric mirrors Hitler's early speeches». Ce n'est pas une provocation journalistique, mais une alerte. Lorsque la politique s'empare des métaphores de la biologie, elle prépare toujours la maladie de la démocratie. Hitler et Trump partagent plus qu'un lexique: ils partagent une conception du pouvoir centrée sur la peur, la virilité, la domination. Tous deux issus de milieux fragiles, fascinés par la réussite et la force, ils transforment la frustration en discours d'autorité. Ils promettent de «rendre sa grandeur» à la patrie, de purifier le peuple, de restaurer une dignité perdue. La mécanique est identique, seule la forme change. La différence-capitale-est que le premier a eu le temps d'appliquer son programme, le second cherche encore à le faire. Mais la ressemblance dans le ton, dans la gestuelle, dans la manière d'opposer le peuple pur aux élites corrompues, mérite que l'on s'en souvienne. Comme l'écrivait Primo Levi: «Chaque époque a son fascisme. Il a des signes différents, mais la peur de l'autre est toujours la même.» Les mots, disait Camus, sont comme des pierres: on peut bâtir avec ou lapider. Quand un dirigeant répète que des hommes «empoisonnent le sang de notre pays», il n'évoque pas seulement l'immigration. Il parle de biologie, de pureté, de contamination: tout un imaginaire ancien, celui du XX siècle des ténèbres. Trump n'est pas Hitler, mais il emprunte ses chemins lexicaux. Et l'histoire, elle, ne pardonne pas l'oubli. Notre devoir, aujourd'hui, n'est pas de crier au fascisme, mais de reconnaître ses signes avant-coureurs: la haine qui s'habille en patriotisme, la peur qui se déguise en protection, et les mots qui, sous couvert de défendre un peuple, commencent par le diviser. |
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