|
Opinion :
Environnement - Renforcer la recherche scientifique sur les polymères: Pour faire face à la pollution plastique
par Mustapha Benmouna* Le mot polymère ne dit
peut-être pas grand-chose au citoyen ordinaire. Pourtant, il est présent dans
sa vie quotidienne, ne serait-ce qu'à travers les produits en plastique qui
l'entourent.
Mais cette omniprésence est la source d'un problème dû à l'accumulation de ces produits dans la nature et qui, selon de nombreuses études scientifiques et des rapports d'institutions internationales spécialisées, représente un danger pour la santé humaine et la qualité de l'environnement. Depuis plus de trois ans, l'organisation des nations unies (ONU) travaille à la mise au point d'un traité ambitieux et juridiquement contraignant pour les pays signataires afin de lutter contre ce fléau. En août dernier, à Genève (Suisse), après une session qui a duré une dizaine de jours et qui a rassemblé les représentants de 183 états, le texte proposé n'a pas été signé faute de consensus parce que certains états refusent des clauses qu'ils jugent contraires à leurs intérêts fondamentaux. Dans ce contexte difficile, que faut-il faire pour résoudre le dilemme entre le confort dans la vie quotidienne et les risques pour la santé et la qualité de l'environnement engendrés par la pollution plastique ? Il n'y a pas de réponse simple à cette question mais plutôt la combinaison de plusieurs actions à entreprendre à plus ou moins long terme. Parmi ces actions, on peut citer le recyclage des déchets plastiques ainsi que le recours aux polymères naturels et biodégradables. Accompagné par la recherche scientifique et technologique, ce recours permet d'améliorer les performances et permettre progressivement la réduction, voire l'élimination des produits plastiques à base d'hydrocarbures. Le mot polymère vient du grec où «poly» veut dire plusieurs et mère' veut dire unité. Il s'agit de macromolécules formées d'un grand nombre (dizaines à centaines de milliers, voire des millions) d'unités répétitives, appelées communément monomères, reliées entre elles par des liaisons chimiques fortes. Les polymères ont été utilisés par l'homme depuis les temps anciens, mais leur existence scientifique ne date que des années 1930 grâce au chimiste allemand Hermann Staudinger (prix Nobel de chimie en 1953). Avant les travaux de Staudinger, les polymères étaient considérés comme des agrégats de petites molécules. Leur découverte a donné lieu à l'émergence d'une science à part entière, dédiée aux propriétés particulières des macromolécules, dues à leurs grandes masses ou tailles et à la grande variété de conformations et de structures qu'elles montrent. Des départements entiers dans de grandes universités, des centres de recherche de renom, des entreprises internationales de fabrication de matériaux à base de polymères sont disséminés à travers le monde, notamment aux USA et en Europe. Les polymères s'imposent dans beaucoup de filières comme la chimie, la physique, la biologie et bien d'autres (pharmacie, médecine etc.). Dans un article intitulé Ces polymères qui inondent notre quotidien' publié par le Quotidien d'Oran du 26 Avril 2023, l'auteur met en exergue la diversité, la disponibilité en grandes quantités, la facilité d'élaboration et de transformation, le coût relativement bas qui ont conduit à leur utilisation massive partout dans le monde. Mais comme dans tout progrès scientifique, le revers de la médaille se manifeste par une pollution plastique à grande échelle dans les océans, les mers, les rivières et sur terre. Il y a donc un vrai problème menaçant l'humanité entière et qui appelle à une action rapide et coordonnée pour freiner cette pollution d'une façon radicale. Une prise de conscience dans la société jusqu'au niveau individuel est nécessaire en incitant les citoyens à ne pas jeter dans la nature les produits en plastique et à les collecter selon des procédés standards. Le recyclage n'est qu'une partie de la solution, il existe déjà mais il ne couvre qu'un faible pourcentage des quantités rejetées. Des efforts sont nécessaires pour augmenter ce pourcentage et pour renforcer le recours aux polymères biodégradables et naturels. Ceci entre dans le schéma actuel de lutte contre la pollution plastique sachant que des entreprises de renom se sont engagées sur cette voie mais la concurrence des polymères issus des hydrocarbures reste forte de par le coût relativement bas, la facilité d'élaboration et la disponibilité des infrastructures de production. La recherche scientifique et technologique est assez active, l'un de ses objectifs est d'atteindre un niveau de compétitivité suffisant, ouvrant la voie à la substitution des hydrocarbures par des sources non polluantes. L'espoir reste grand quant à la possibilité de percées scientifiques permettant la fabrication de produits en plastique écologique et sans danger pour la santé humaine. Le traité auquel aspire l'ONU depuis trois ans se veut ambitieux et juridiquement contraignant pour les états signataires. Certains pays influents comme les USA, l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Qatar s'opposent à certaines clauses tel le plafonnement de la production de pétrole et de gaz naturel. Il faut reconnaitre qu'envisager comme solution le fait de demander à des pays qui tirent l'essentiel de leurs ressources financières de la production de pétrole et de gaz n'est pas raisonnable. Certains pays européens comme la France et l'Allemagne sont parmi les défenseurs d'une charte très contraignante mais oublient qu'ils étaient, en partie à l'origine de cette pollution en promouvant à outrance les industries plastiques pour alimenter leurs économies et assurer la prospérité de leurs citoyens. Ils demandent maintenant aux pays producteurs de pétrole et de gaz de limiter leur production à un niveau qui réduirait drastiquement leurs ressources financières et donc leur capacité à faire face aux besoins de leurs peuples. En somme, ils leurs demandent indirectement de payer une grande partie de la facture de la pollution qu'ils n'ont ni provoquée ni souhaitée. Cette facture doit être partagée par tout le monde, chacun selon son degré de responsabilité. Les pays avancés peuvent contribuer efficacement à la lutte contre la pollution plastique en renforçant le recyclage, le recours aux polymères naturels et biodégradables, et en encourageant la recherche scientifique et technologique dans ce sens. Les pays producteurs de pétrole et de gaz peuvent également contribuer mais pas au dépens de leur développement. Un équilibre doit être trouvé pour préserver les intérêts de chacun et sauver l'humanité d'une catastrophe certaine à plus ou moins long terme. Qu'en est-il pour l'Algérie ? Notre pays est un gros consommateur de plastique. Dans un rapport du ministère de l'environnement intitulé Les déchets plastiques en Algérie : Regard croisé sur le plastique à usage unique' et couvrant la période 2019-2020, on apprend qu'en 2017, l'Algérie a importé pour plus de deux milliards de dollars d'intrants pour l'industrie plastique, alors que la consommation annuelle a atteint environ 23kg par habitant, maintenant une croissance annuelle significative. La répartition de cette consommation est caractérisée par une forte domination de l'emballage à raison de 60%, le bâtiment et la construction consomment 20% et le reste va à diverses industries. Plusieurs entreprises de renom exercent en Algérie pour couvrir les besoins du pays et même exporter. Une société nationale des matières plastiques et du caoutchouc est chargée d'exécuter la politique du gouvernement dans ce domaine. Pour mieux valoriser ses ressources en hydrocarbures, l'Algérie peut se tourner vers la fabrication des polymères où il y a un retard à combler. Certes, deux projets d'usines de production de polypropylène sont en cours de concrétisation, l'un à Arzew, l'autre en Turquie mais cela reste insuffisant au regard de la grande variété des applications. Il faudrait envisager la fabrication d'autres polymères très utilisés dans l'industrie plastique nationale, comme le polystyrène, le polyéthylène et le polychlorure de vinyle. L'Algérie essaie actuellement de réaliser un équilibre entre la valorisation de ses ressources en hydrocarbures et la protection de l'environnement. Elle a choisi d'exploiter toutes ses ressources pour assurer le développement économique et le bien-être social, en menant une politique avisée de préservation de l'environnement à travers des organismes spécialisés comme l'agence nationale des déchets (AND), chargée du suivi de la problématique des déchets plastiques, notamment dans les wilayas côtières (voir rapport du ministère de l'environnement cité ci-dessus). La réglementation concernant la gestion, le contrôle et l'élimination de ces déchets existe, les textes régissant les déchets d'emballage comme ceux des produits alimentaires et des jouets sont clairs. D'autre part, l'Algérie adhère pleinement à la coopération existante entre les pays méditerranéens pour coordonner les actions en vue de la lutte contre la pollution plastique maritime. Un autre exemple de la politique environnementale adoptée vient de l'agence nationale de gestion du microcrédit (ANGEM) qui s'intéresse de près à la collecte du plastique et qui, en association avec le ministère de l'environnement et de la qualité de vie, a lancé récemment une opération de financement de 1000 collecteurs, incluant une formation conforme aux exigences de la protection de l'environnement (voir Le Quotidien d'Oran du 27 octobre 2025). Le socle de cette politique est la formation de ressources humaines compétentes en quantité et en qualité, et à tous les niveaux, allant de la formation professionnelle à la recherche scientifique et technologique. Dans le domaine des polymères, l'Algérie dispose de compétences avérées dans plusieurs universités comme Alger, Oran, Sétif, Tlemcen et d'autres. Ces compétences couvrent les domaines clés de la synthèse chimique, des analyses et études physico-chimiques, des applications industrielles et d'autres en médecine, en pharmacie et en biologie. Notons aussi que les polymères offrent un grand gisement pour la création de start-up dans beaucoup de spécialités en relation avec les matériaux, l'agro-alimentaire, l'eau, la santé, l'énergie, le climat etc. Il est relativement facile d'établir des passerelles entre d'une part la recherche scientifique et technologique (donc les universités, écoles d'ingénieurs, centres de recherche) et d'autre part le secteur socio-économique. Le renforcement de la recherche sur les polymères constitue une voie d'accompagnement des programmes stratégiques de développement dans notre pays comme l'autosuffisance alimentaire, la disponibilité de l'eau en quantité suffisante, la qualité de l'environnement, les soins de haut niveau notamment par thérapie ciblée utilisant les nanoparticules de polymères et bien d'autres exemples. Pour cela, la maitrise des propriétés des polymères dans la synthèse, l'analyse et l'application est indispensable et nécessite une élite pour faire face aux exigences de la forte concurrence à l'échelle internationale et pour offrir à notre pays les moyens d'assoir sa souveraineté et son rang de puissance régionale. L'auteur est convaincu que le renforcement de la recherche scientifique et technologique sur les polymères naturels et biodégradables est la bonne voie pour résoudre, à plus ou moins long terme, le problème de la pollution plastique. Il s'agit là d'un domaine multidisciplinaire à promouvoir au sein de l'université algérienne, en concertation avec le monde socio-économique et le leadership politique. *Professeur de physique (retraité) |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||