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Le silence assourdissant de l'Union africaine : quand l'Afrique se tait face à ses propres tragédies
par Oukaci Lounis* Analyse
critique et documentée du mutisme africain face à ses crises internes.
I. Introduction - Quand le silence devient trahison « Il y a des silences qui tuent. Le silence de l'Union africaine devant ses propres crises l'est.» Depuis des années, l'Afrique traite des tempêtes plurielles politiques, humanitaires, identitaires, sans qu'aucune voix collective ne se fasse entendre avec la force qui commande toute la gravité des faits. Du Soudan plongé dans une guerre civile d'une rare cruauté, au Sahara occidental toujours en attente d'une décolonisation complète ; de l'est de la République démocratique du Congo, lieu de toutes les exactions et des prédations régionales, à la Corne de l'Afrique où la paix vacille entre l'Ethiopie, l'Erythrée et la Somalie. Partout le continent souffre en silence. Et ce silence de l'Union africaine est bien une absence. Pourtant, l'UA a été créé pour cela ! « Trouver des solutions africaines à des problèmes africains » (Acte constitutif, 2000). Mais désormais , devant la multiplication des crises internes, des coups d' état au Sahel à la guerre au Soudan, elle ne semble savoir que produire des communiqués prudents, des sessions rapportées , et des phrases diplomatiques sans corps . Là où il aurait fallu rassembler des voix, c'est tout l'écho de l'abîme institutionnel qu'on entend. La question primaire surgit d'elle-même: pourquoi l'Union africaine reste-t-elle muette face à ses propres tragédies ? Ne serait- ce que de la prudence diplomatique, plus que d'autre chose ? La question fondamentale se pose alors : pourquoi l'Union africaine est-elle muette devant ses propres tragédies ? Par simple prudence diplomatique, l'insuffisance matérielle ou pour d'autres raisons. Ce continent qui se trouve dans une situation paradoxale où il dépend de l'extérieur financièrement et se trouve politiquement divisé pourrait s'avérer incapable ? Ne serait- ce pas plutôt cette incapacité é à faire entendre le point de vue du continent en souffrance qui est signe d'un mutisme maladroit ? Du fait qu'on aurait davantage une résolution dans le choix du silence et une certaine impuissance non déplorable ? Le mutisme pourrait même être interprété comme un renoncement moral, parfois coupable complice, par défaut cependant, avec ces traîtres du désordre africain ? Se taire serait truquer ou éventuellement consentir. Consentir serait alors une trahison selon le cas, dont l'indignation pacifique du panafricanisme pourrait relativement se sentir flou. Au fond, la prudence et le silence du symposium pacifiste seraient paradoxalement des apostasies selon le cas, par rapport à l'idéal de l'élargissement du cadre communautaire panafricain, que d é fend lUnion africaine. II. Le Soudan, tragédie africaine oubliée : Au Soudan, pays qui fait le lien entre le Maghreb et le Sahel, depuis avril 2023, s'est ouverte à l'une des plus graves crises humanitaires du continent. Ce conflit oppose les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah al-Burhan aux Forces de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdan Dagalo, plongeant le pays dans un chaos absolu. Selon les dernières estimations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR, rapport 2024), plus de 10,7 millions de personnes ont été déplacées, dont 1,8 millions ont trouvé refuge dans les pays voisins (Tchad, Soudan du Sud, Égypte, Éthiopie). Le Programme alimentaire mondial (PAM) évoque quant à lui « la plus grande crise de déplacement interne au monde ». Les infrastructures sont anéanties, les hôpitaux à l'arrêt, et plus de 20 millions de Soudanais sont menacés de famine. Et pourtant, face à ce désastre humanitaire de dimension historique, l'Union africaine est étrangement muette. Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, sens é jouer le rôle du « bras armé » de la diplomatie continentale, ne s'est contenté que de quelques communiqués de circonstances, appelant à la retenue et au dialogue. Pas de mission d'observation, pas de force d'interposition, pas de médiation africaine forte : le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a certes condamné les violences, mais sans jamais poser une feuille de route politique claire et une vraie pression diplomatique sur les belligérants. Cette inertie n'est pas nouvelle : elle rappelle les lenteurs tragiques du passé é lors des guerres du Rwanda de 1994, du Darfour de 2003, ou de Somalie. L'Union africaine, au-delà de ses divisions internes et de sa dépendance financière chronique à ses partenaires extérieurs, ne sait pas agir si les grandes puissances et l'ONU ne lui donne pas leur aval implicite. Ou, comme le proclamait le principe fondateur du panafricanisme : « les solutions africaines aux problèmes africains. » Aujourd'hui, ce principe est devenu creux. Au Soudan, c'est la diplomatie américaine (processus de Djeddah, 2023-2024) et la médiation saoudienne qui prend en charge les négociations, tandis que l'Union africaine se contente d'un rôle d'alibi. Une telle mise à l'écart est l'expression non pas d'ignorance, mais de carence politique. Elle témoigne d'un paradoxe navrant : l'Afrique se consomme sous la chaleur de sa maison en flammes tout en espérant que d'autres viennent la chercher au secours. « L'Union africaine n'est pas muette par méconnaissance, mais par conscience de son propre handicap » analyse le chercheur nigérian Adekeye Adebajo, spécialiste de la paix et de la sécurité en Afrique. « Son silence est un acte de langage. Celui de la dépendance. » (A. Adebajo, « L'architecture de paix et de sécurité en Afrique : une crise silencieuse », 2024). Le cas soudanais est bien la preuve d'une crise existentielle de l'UA : elle veut être une puissance morale mais ne veut pas être une puissance politique. Enfermé dans des équilibres entre États membres, peur du reproche d'ingérence, elle s'oblige elle-même au silence et à l'indifférence. Pour les peuples du Soudan, ce mutisme est une double punition : après la guerre, le silence du continent. III. Le Sahara occidental : Le tabou du continent Le conflit du Sahara occidental est un des grands dossiers géopolitiques ignorés - ou plutôt simulés - du continent africain. Ce territoire vaste et désertique, est toujours mentionné dans la liste des « territoires non autonomes » de l'Organisation des Nations Unies depuis 1963. Sahara occidental + 1. L'un des textes fondateurs à rappeler bien sûr demeure la résolution 1514 (XV) adoptée le 14 décembre 1960 par l'Assemblée générale des Nations Unies qui proclament « la sujétion des peuples à une subjugation, une domination ou une exploitation étrangère constitue un déni de toute possibilité d'exercice des droits fondamentaux de l'homme ». legal.un.org +. Dans son avis consultatif le 16 octobre 1975, la Cour internationale de Justice a, dans le même sens que cette résolution, estimé qu'aucun lien de souveraineté territoriale ne pouvait justifier que l'application du principe d'autodétermination fût subordonnée à un transfert de souveraineté antérieur. icj-cij.org. Sur le papier, l'Union africaine (UA) - successeur de l'Organisation de l'unité africaine - se doit d'être le défenseur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes selon le principe notamment inscrit dans son article 4 (droits des populations à l'autodétermination et respect des frontières héréditaires du colonialisme mais aussi principe de l' intégrité territoriale A. Le silence : pourquoi ce silence ? - Le Maroc qui revendique la souveraineté sur le Sahara occidental est un État membre influent au sein de l'UA qui a noué des partenariats majeurs (économiques, sécuritaires) avec plusieurs membres de l'organisation ; - L'Algérie quant à elle soutient le Front Polisario et la République sahraouie démocratique (RASD), mais elle se retrouve dans un jeu diplomatique complexe au sein de l'UA pour faire avancer cette cause. Résultat : l'UA reste muette pour ne pas « fâcher » ses États membres, elle ne prend ni position claire, ni mesures coercitives, ni ne s'implique dans une médiation autonome, forte. Ce comportement ressemble à une forme de renoncement politique: l'UA a choisi la « gestion douce » de ce dossier, plutôt que de froisser les intérêts stratégiques ou diplomatiques de ses membres. Et pourtant, ce silence est d' autant plus choquant que le droit international sait parfaitement que le Sahara occidental est « un territoire non autonome » et que le droit à l'autodétermination de son peuple reste à exercer. POR UN SAHARA LIBRE.ORG - PUSL B. Conséquences morales et politiques : Le silence de l'UA sur cette question représente une trahison symbolique de ses propres valeurs : - Le principe de solidarité africaine, qui est si cher à l'UA, se retrouve affaibli. - Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes - un principe longtemps défendu dans les textes de décolonisation - est mis de côté quand il s'agit d'un État membre puissant. - Le continent envoie un message contradictoire à ses jeunes, à ses intellectuels et à ses militants pour la justice : d'un côté, on prône la libération, de l'autre, on maintient le statu quo. C. Un tournant international récent Le 31 octobre 2025, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) a adopté une résolution qui, en gros, soutient la proposition d'autonomie du Maroc pour le Sahara occidental. Cette décision prolonge le mandat de la Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO) jusqu'en octobre 2026 et oriente les négociations vers un cadre d'« autonomie sous souveraineté marocaine ». Ce développement représente un moment symbolique : l'UA reste en retrait dans cette dynamique, sans intervenir publiquement pour défendre le référendum d'indépendance ou rappeler sa Charte. Ce choix stratégique, ou peut-être ce renoncement, renforce encore davantage l'image de l'UA comme un acteur secondaire dans un dossier continental crucial. IV. L'Europe et les États-Unis parlent, l'Afrique se tait : un contraste cruel L'Europe et les États-Unis parlent, tandis que l'Afrique reste silencieuse : un contraste frappant. L'histoire contemporaine se mesure souvent à la manière dont une communauté politique réagit face à la tragédie. Et à cet égard, le décalage entre la mobilisation occidentale pour la guerre en Ukraine et le silence de l'Afrique face aux crises au Soudan, au Sahel, au Sahara occidental ou au Congo est d'une cruauté inouïe. A. Deux poids, deux silences : Dès le début de la guerre en Ukraine, en février 2022, l'Union européenne a su déployer une diplomatie de crise d'une ampleur sans précédent : - onze trains de sanctions coordonnées contre la Russie ; - une aide militaire cumulée dépassant 120 milliards d'euros (Commission européenne, 2024) ; - une rare unité politique parmi les 27 États membres, soutenue par l'OTAN et les États-Unis. Le European Council on Foreign Relations (ECFR) a souligné en 2023 : « Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l'Europe a parlé d'une seule voix : celle de la défense de ses valeurs et de son territoire moral.» (ECFR Report, Europe's War of Principles, 2023). En revanche, face à la tragédie au Soudan, où selon l'ONU plus de 10 millions de personnes ont été déplacées et 25 millions ont besoin d'une aide humanitaire urgente (UNHCR, Sudan Situation Update, 2024), le continent africain semble s'enfermer dans un silence qui frôle l'indifférence. Aucune session extraordinaire de l'Union africaine, aucune conférence panafricaine d'urgence, et aucun couloir humanitaire majeur n'a été mis en place sous son égide. Le Conseil de paix et de sécurité de l'UA, saisi à plusieurs reprises, a produit des communiqués sans effet et des appels vides à la « désescalade ». B. Le pouvoir de la parole : Le pouvoir de la parole est un sujet crucial. Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne a souligné lors d'une conférence à Columbia University en 2022 : « Celui qui parle écrit l'histoire ; celui qui se tait la subit. » Cette citation résume parfaitement le drame africain. Quand l'Europe prend la parole, elle façonne sa légitimité politique et morale. En revanche, lorsque l'Afrique reste silencieuse, elle renonce à son droit de raconter le monde et de définir ses propres tragédies. L'Europe a réussi à faire de l'Ukraine un symbole de résistance démocratique, tandis que l'Afrique voit des pays comme le Soudan, la RDC, la Somalie et le Sahara occidental devenir des témoins silencieux de la souffrance humaine. C. Une leçon géopolitique cruelle : Ce contraste ne se limite pas simplement aux ressources, mais touche aussi à la volonté et à la conscience historique. L'Europe agit parce qu'elle comprend que la narration précède la puissance. En revanche, l'Afrique, par son silence, laisse d'autres raconter ses drames : que ce soit les agences humanitaires, les gouvernements étrangers, ou, pire encore, l'indifférence du monde. Tant que l'Union africaine ne retrouvera pas la force morale de reconnaître ses blessures, le continent restera un spectateur de son propre malheur. Et le monde, n'entendant aucune voix africaine, continuera de parler à sa place. V. Le prix du silence : peuples oubliés, crédibilité perdue Le silence, quand il devient une norme, finit toujours par avoir un coût. L'Union africaine, en choisissant de rester neutre en façade face aux tragédies qui frappent le continent, en subit aujourd'hui les conséquences les plus lourdes : la souffrance des peuples et la perte de son leadership moral sur la scène internationale. A. Le coût humain : l'Afrique des oubliés : Au Soudan, l'ONU a comptabilisé plus de 14 000 morts depuis avril 2023 (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, Sudan Humanitarian Update, 2024). Les bombardements à Khartoum et au Darfour ont transformé des villes entières en véritables cimetières à ciel ouvert. Près de 25 millions de personnes dépendent désormais de l'aide humanitaire, ce qui représente plus de la moitié de la population. Dans le Sahara occidental, la population sahraouie vit toujours dans l'attente : celle d'un référendum promis depuis 1991, mais jamais réalisé. D'après Human Rights Watch (2024), les conditions de vie dans les camps de Tindouf se détériorent, et un sentiment de lassitude morale s'installe : une génération entière grandit sans perspective politique. La tragédie est tout aussi silencieuse en RDC, où, selon Médecins sans frontières (2025), des milliers de civils sont massacrés chaque année dans l'Est du pays, dans un silence presque total du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine. Chaque jour, ce silence institutionnel efface des vies et anesthésie les consciences. Il transforme les drames africains en simples « faits divers humanitaires » et les peuples meurtris en statistiques. B. Le coût symbolique : la perte du leadership moral africain L'Union africaine a vu le jour en 2002, marquant une rupture avec l'ancienne Organisation de l'unité africaine (OUA), souvent critiquée pour son manque d'action. Elle était censée représenter une Afrique nouvelle, responsable, unie et proactive. Pourtant, deux décennies plus tard, ce rêve semble s'éloigner. Aujourd'hui, le continent n'est plus vu comme un acteur clé de sa propre paix, mais plutôt comme un terrain d'intervention pour d'autres : les Nations unies, l'Union européenne, la Turquie, les Émirats arabes unis, la Russie ou la Chine. Comme l'a si bien dit le philosophe camerounais Achille Mbembe : « Tant que l'Afrique parlera à travers les mots des autres, elle sera condamnée à vivre dans les guerres des autres. » (Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit, 2020) Le silence de l'Union africaine représente donc aussi une abdication du récit africain. Un continent qui, faute de s'exprimer d'une seule voix, laisse d'autres écrire son histoire. C. Une leçon de dignité à retrouver Dans un discours mémorable prononcé à Addis-Abeba, Thabo Mbeki, ancien président sud-africain, affirmait : « L'Afrique doit cesser de se contempler comme victime et agir comme puissance.» (Mbeki Foundation Archives, «African Renaissance Lecture», 2003) Cette citation résume parfaitement la crise actuelle : tant que l'Afrique continuera à se focaliser sur ses blessures au lieu de puiser dans sa force, elle restera spectatrice de son propre effacement. Le prix du silence, c'est cela : des peuples oubliés, une voix perdue, et une légitimité érodée. L'Union africaine ne peut prétendre représenter un continent qu'elle ne défend plus. VI. L'Algérie seule dans l'arène géopolitique et géostratégique L'histoire contemporaine de l'Afrique retiendra que l'Algérie a souvent pris la parole quand d'autres restaient silencieux. Depuis son indépendance en 1962, elle s'est affirmée comme la voix des sans-voix, fidèle à une diplomatie de principes axée sur la souveraineté, la solidarité et la justice. A. Une diplomatie de conviction, non d'opportunité Alors que de nombreux États africains se laissent aujourd'hui entraîner dans des alliances dictées par des puissances extérieures, l'Algérie reste attachée à une vision indépendante, éthique et non alignée des relations internationales. Son engagement n'est pas opportuniste: il découle de sa propre histoire de libération nationale et est nourri par la mémoire de la lutte anticoloniale. Dès les années 1960, Alger a été surnommée « la Mecque des révolutionnaires », un refuge pour les mouvements de libération d'Afrique australe, de Palestine, d'Angola, de Guinée-Bissau, du Mozambique et du Zimbabwe. Comme le soulignait le président Houari Boumediene lors du sommet de l'OUA à Addis-Abeba en 1973 : « L'Algérie ne se taira jamais devant l'injustice, qu'elle se manifeste ici ou ailleurs. » Sous la présidence d'Abdelmadjid Tebboune, cette tradition a retrouvé toute sa force. Dans un contexte international marqué par des changements géopolitiques et des crises régionales, le président Tebboune a réaffirmé l'engagement africain de l'Algérie, plaçant le continent au cœur de sa diplomatie. Ses discours successifs - notamment lors du sommet de l'Union africaine (Addis-Abeba, février 2024) et de la conférence des chefs d'État de la CEN-SAD (Niamey, 2025) - soulignent l'importance pour l'Afrique de s'exprimer d'une seule voix, de défendre ses intérêts collectifs et de rejeter toute forme de tutelle extérieure. B. Une constance dans la défense des causes africaines Cette cohérence se manifeste aujourd'hui encore dans les deux dossiers les plus brûlants du continent : Le Soudan, où Alger appelle sans relâche à un cessez-le-feu durable et à une solution politique inclusive, tout en soutenant les efforts de médiation régionale (Déclaration du ministère algérien des Affaires étrangères, juillet 2024). Le président Tebboune a personnellement proposé, lors de la Conférence ministérielle africaine sur la paix et la sécurité (Alger, septembre 2024), la création d'un groupe africain de contact permanent sur le Soudan, afin de replacer le règlement du conflit dans un cadre strictement africain. Le Sahara occidental, où l'Algérie demeure fidèle au principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, inscrit dans la Charte de l'Union africaine (article 4) et dans la Résolution 1514 de l'ONU. À plusieurs reprises, le président Tebboune a réaffirmé que « la question sahraouie est une question de décolonisation, non de rivalité régionale » (discours du 5 juillet 2023, fête de l'Indépendance). À travers ces positions, l'Algérie n'agit pas pour des intérêts hégémoniques, mais pour préserver la légitimité du droit international et rappeler que l'Afrique ne doit pas trahir ses propres principes fondateurs. C. Une voix isolée mais nécessaire La dernière réunion du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (31 octobre 2025) a illustré cette solitude : alors que la majorité des États membres ont préféré des formulations prudentes, l'Algérie, par la voix de son représentant permanent à l'UA, a plaidé pour : - la réactivation effective du mécanisme africain de prévention et de résolution des conflits, - la convocation d'un sommet extraordinaire sur les crises du Soudan et du Sahara occidental, - et la fin de la dépendance stratégique de l'UA à l'égard de ses partenaires extérieurs. Ces propositions n'ont pas été accueillies avec enthousiasme, mais elles soulignent l'engagement d'Alger à défendre les intérêts africains sur la scène internationale. D. L'Afrique doit retrouver l'esprit d'Alger. L'Afrique doit retrouver l'esprit d'Alger. L'Algérie rappelle à tout le continent qu'il existe une autre voie : celle d'une Afrique libre dans ses choix, souveraine dans ses décisions, et solidaire dans ses luttes. C'est cette voie que les sommets panafricains d'Alger (1969, 1973, 1975) incarnaient déjà, et qu'il est crucial de réinventer aujourd'hui face au néocolonialisme numérique et financier. Comme l'a si bien dit Abdelaziz Bouteflika à l'ONU en 1974, dans un discours mémorable: « Nous avons conquis notre liberté politique, mais la véritable indépendance commence quand les peuples deviennent maîtres de leur destin. » Aujourd'hui, alors que l'Union africaine semble se perdre dans l'ambiguïté, l'Algérie, sous la présidence de Monsieur Tebboune, reste la conscience géopolitique du continent ; non pas parce qu'elle est sans défaut, mais parce qu'elle se souvient, agit et continue de croire en une Afrique debout. VII. Quand le silence nourrit la violence : la prolifération des groupes armés en Afrique L'inaction prolongée de l'Union africaine face aux crises internes ne se limite pas à un simple échec diplomatique : elle entraîne des conséquences tragiques sur le terrain. Le vide laissé par les institutions légitimes devient rapidement un terreau fertile pour la montée des groupes terroristes, des milices paramilitaires et des mercenaires étrangers. Le silence de l'UA, loin d'être une position neutre, agit comme un véritable catalyseur du désordre en Afrique. A. Le vide sécuritaire : terreau des groupes armés Partout où l'Union africaine montre des signes d'hésitation, d'autres acteurs s'imposent par la force. Au Sahel, les coups d'État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont désorganisé les cadres régionaux de coopération militaire (G5 Sahel, MISMA), laissant place à une mosaïque de forces armées incontrôlées. D'après le Global Terrorism Index 2025 (Institute for Economics and Peace), plus de 45 % des victimes du terrorisme mondial se trouvent aujourd'hui en Afrique subsaharienne, contre 26 % en 2015. Des groupes comme Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), Boko Haram, l'État islamique au Grand Sahara (EIGS) et Al-Shabaab en Somalie étendent leur influence, exploitant la pauvreté, les tensions ethniques et l'absence de gouvernance. Là où l'Union africaine aurait dû intervenir par la médiation, la prévention et l'unification des forces africaines, elle a laissé place à des logiques locales de milicianisation et de fragmentation. En conséquence, le continent est aujourd'hui quadrillé par plus de 120 groupes armés non étatiques (Small Arms Survey, 2025). Le vide de l'État s'est transformé en une économie de guerre permanente. B. Le nouveau visage du danger : la privatisation de la guerre Le silence de l'Afrique a ouvert la voie à de nouvelles formes de conflits. Dans plusieurs régions comme la Libye, le Soudan, la République centrafricaine et le Mozambique, des sociétés militaires privées étrangères opèrent désormais sans véritable contrôle politique africain : - Le groupe russe Africa Corps (anciennement Wagner) en Libye, au Mali et au Soudan, - Des entreprises de sécurité turques au Sahel et dans la Corne de l'Afrique, - Des groupes paramilitaires émiratis ou occidentaux qui agissent sous le prétexte de missions de formation. Ces acteurs, souvent motivés par des intérêts économiques tels que les mines, les ressources énergétiques et les routes stratégiques, accentuent la dépendance sécuritaire de l'Afrique. Ils transforment des États fragiles en zones d'influence concurrentes, où la souveraineté africaine s'effrite au profit d'une militarisation importée. L'Union africaine, en se contentant d'un rôle de spectatrice, perd non seulement le contrôle politique du continent, mais aussi son autorité morale : celle qui devait garantir que « l'Afrique ne soit plus le champ de bataille des autres ». C. Le risque d'une contagion continentale Le terrorisme n'est plus une menace confinée : il se déplace, se réorganise et franchit les frontières. Des régions autrefois épargnées deviennent des cibles. - En Afrique de l'Ouest, les attaques s'étendent vers le golfe de Guinée (Togo, Bénin, Côte d'Ivoire). - En Afrique centrale, les incursions armées atteignent désormais le Tchad et le Cameroun. - En Afrique du Nord, la porosité des frontières sahariennes facilite la reconstitution des réseaux djihadistes transnationaux. Ce phénomène d'essaimage est aggravé par le désengagement progressif des missions internationales (MINUSMA, Barkhane, etc.) et l'absence d'un dispositif africain coordonné. Comme le souligne l'analyste kényan George Ogola : « Là où l'Union africaine ne parle pas, d'autres prennent la parole. » (African Security Review, vol. 34, 2025) D. L'urgence d'une doctrine africaine de sécurité collective Face à la menace grandissante, l'Union africaine doit passer à l'action. Rester silencieux, c'est être complice. Il est crucial de transformer le discours panafricain en actions concrètes : réactiver le Système continental d'alerte rapide et le Conseil de paix et de sécurité avec un mandat clair, relancer la Force africaine en attente, et établir un Centre africain de coordination contre le terrorisme et les menaces hybrides, soutenu par des renseignements régionaux. Sinon, le continent risque de plonger dans un chaos silencieux, avec des frontières qui s'effacent, des États qui se disloquent et une perte de confiance dans les institutions. En Afrique, le silence peut aussi être fatal pour la sécurité. VIII. Conclusion - Briser le silence, retrouver la voix africaine L'Afrique se trouve aujourd'hui à un tournant décisif : entre le confort du silence et le courage de la parole, entre une dépendance acceptée et une souveraineté revendiquée. Les tragédies qui frappent le continent - du Soudan au Sahel, du Congo au Sahara occidental - ne sont pas seulement des crises locales : elles reflètent une crise morale et politique plus profonde, celle d'une Union africaine qui peine à retrouver son rôle d'antan : la conscience du Sud, le porte-voix des opprimés, l'espoir des peuples. Face à ce vide, quelques nations continuent de porter haut la flamme de la dignité africaine. L'Algérie en est l'une des dernières gardiennes. Sous la direction du président Abdelmadjid Tebboune, la diplomatie algérienne s'efforce de redonner à l'Afrique sa voix, en soulignant que le silence est toujours une forme de défaite. Dans ses discours à l'Union africaine et à l'ONU, le président Tebboune répète inlassablement que « le destin de l'Afrique doit être écrit par les Africains eux-mêmes ». Cette phrase, bien plus qu'un simple slogan, incarne une vision : celle d'un continent qui refuse d'être défini par d'autres et qui aspire à redevenir acteur de son histoire, plutôt que d'être un simple objet des rapports de force mondiaux. L'Afrique doit s'exprimer avec force, réfléchir avec sagesse et agir de concert. Elle doit renouer avec sa propre voix, celle qu'elle a laissée s'éteindre sous les pressions économiques, les rivalités politiques et les influences extérieures. Il est temps qu'elle retrouve cette parole fondatrice - libre, lucide et unie - qui a fait d'Alger, à une époque, la capitale morale du tiers-monde. Mais pour retrouver sa voix, l'Afrique doit d'abord se redécouvrir, en se reconnectant à sa mémoire, à ses luttes et à ses promesses trahies. Car une Afrique silencieuse n'est plus un continent : c'est une absence. Une absence de courage, de vision et d'unité. Le silence de l'Union africaine face aux tragédies du Soudan, du Sahara occidental, du Sahel ou de la RDC n'est pas qu'un simple manque de communication : c'est un abandon moral. C'est l'abdication d'une mission historique, celle que les pères fondateurs, de Nkrumah à Ben Bella, avaient gravée dans les esprits : faire de l'Afrique une puissance de paix, de justice et de dignité. En effet, la paix n'est pas juste l'absence de guerre, mais la présence de la parole juste. La justice n'est pas un simple concept, mais un acte. Et la dignité n'est pas un don : c'est une conquête. L'Afrique doit absolument rompre le cercle du silence, retrouver la voix fondatrice du panafricanisme, et faire entendre un message collectif qui s'oppose aux ingérences, aux dépendances, et à la fragmentation. Elle doit s'exprimer non pas pour se lamenter, mais pour bâtir ; non seulement pour dénoncer, mais pour agir. L'Union africaine doit redevenir ce qu'elle prétend être : le cœur vibrant du continent, et non son écho affaibli. Le moment est venu pour un réveil continental, une renaissance panafricaine qui marie lucidité politique et responsabilité morale. Les peuples africains n'attendent pas des communiqués : ils attendent du courage. Ils n'attendent pas des sessions reportées : ils attendent des décisions. Ils n'attendent pas des discours timides : ils attendent une vision. Et cette vision, l'Algérie la porte encore, parfois seule, mais avec détermination. En rappelant au monde que, dans certaines situations, le silence peut être la pire des violences. « L'Afrique n'a pas besoin de compassion. Elle a besoin de courage. Et le courage commence par un mot : dire. » C'est à ce prix - celui de la lucidité, du courage et de la solidarité - que l'Afrique pourra retrouver sa parole, son unité et son destin. *Professeur. Université de Constantine 2 |
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