![]() ![]() ![]()
Opinion :
Stratégie nationale de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme (2024-2026): Axes de réforme et défis pour quitter la liste grise
par Merhoum Mohamed El Habib* ![]() Depuis plus de deux
décennies, l'Algérie s'est engagée à lutter contre les risques de blanchiment
d'argent et de financement du terrorisme (LBC/FT), en adoptant une démarche
dont les règles s'inspirent des normes internationales, notamment les
recommandations émises par le Groupe d'action financière (GAFI).
La réussite pour relever ce grand défit dépendra de la mise en place d'un dispositif efficace pour lutter contre cette menace multidimensionnelle. Pour se prémunir contre ce fléau dont les risques sont transnationaux il est indispensable d'adopter une stratégie nationale en associant les différentes parties prenantes au niveau national. La stratégie nationale pour la période 2024-2026 est venue en réponse aux résultats des évaluations menées récemment par le Groupe d'action financière du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (GAFIMOAN). La stratégie vise des réformes profondes dans le cadre législatif, réglementaire et opérationnel afin de renforcer l'efficacité du système national de LBC/FT. Le dispositif législatif de la LBC/FT a été mis en place en 2005 avec la promulgation de la loi n° 05-01 du 6 février 2005, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Soucieuses de suivre les évolutions de cette problématique si sensible et dans le but de se conformer aux exigences du Groupe d'action financière (GAFI), les Autorités publiques en Algérie ont apporté plusieurs modifications à cette loi. Le premier amendement, en vertu de l'ordonnance n° 12-02 du 13 février 2012, a mis l'accent sur la définition du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme, et la détermination des assujettis à la déclaration de soupçon qu'ils soient financiers ou non financiers ainsi que ceux soumis au rapport confidentiel parmi les différentes autorités publiques. La deuxième modification, prévue par la loi n° 15-06 du 15 février 2015, a été établie pour renforcer le cadre juridique de la lutte contre le financement du terrorisme et l'application des sanctions financières ciblées. Quant à la troisième modification, elle a été introduite par la loi n° 23-01 du 7 février 2023, qui a pour but de consolider le cadre législatif avec des principes relatifs à la conservation des documents, et à la détermination des personnes politiquement exposées et des bénéficiaires effectifs. Elle vise aussi à renforcer les diligences vis-à-vis de la clientèle. Quant à la quatrième modification, récemment publiée en vertu de la loi n° 25-10 en date du 24 juillet 2025, a pour objectif de mettre en œuvre certaines exigences préconisées par la stratégie nationale de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. (Les amendements apportés par cette loi feront l'objet d'une présentation prochainement dans une publication indépendante). Ces modifications ont été accompagnées par la promulgation d'un ensemble de textes réglementaires portant sur la création d'un comité de suivi de l'exécution des sanctions internationales ciblées et la mise en œuvre de la procédure de gel et /ou de saisie des fonds et biens. Elles sont appuyées par des textes régissant la création du registre public des bénéficiaires effectifs des personnes morales et l'organisation de l'exercice des autorités de régulation, de contrôle et de supervision. Pour soutenir le dispositif de la LBC/FT, l'Algérie a mis en place le Comité national d'évaluation des risques de blanchiment d'argent, de financement du terrorisme et du financement de la prolifération des armes de destruction massive. Le décret exécutif n° 20-398 du 26 décembre 2020 détermine la composition et le rôle du comité qui est présidé par le ministre des Finances. Ce comité a pour objet de préparer la stratégie nationale de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme en vue de la présenter au Premier ministre. Il est également responsable du suivi de la mise en œuvre de la stratégie nationale, qui doit être actualisée périodiquement. Le processus d'évaluation nationale des risques pour la période (2023-2024) a révélé des résultats montrant que le niveau de menace de blanchiment d'argent pour l'Algérie est moyennement élevé. Ses principales sources résident dans la corruption, la fraude fiscale et le trafic de drogue...etc. La mise en place d'un plan de contrôle basé sur les risques a permis d'identifier les principales vulnérabilités sectorielles, qui se concentrent dans les activités des banques, Algérie Poste, les agents immobiliers, les marchands de bijoux et des métaux précieux, les notaires, ainsi que les concessionnaires automobiles et les commissionnaires en douane... etc. La stratégie nationale de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme repose sur des principes directeurs importants, telles que l'obligation de vigilance des professionnels vis-à-vis de leur clientèle, la déclaration des opérations suspectes et la mise en place d'un chargé de la conformité. Elle vise également à appliquer des sanctions dissuasives, y compris administratives et pénales, grâce à un système juridique solide qui contribue efficacement à la lutte contre la criminalité financière. La coordination nationale et la coopération internationale sont considérées comme deux piliers fondamentaux de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Pour prouver l'efficacité de cette stratégie, il est nécessaire de renforcer la coordination nationale et d'améliorer la coopération internationale avec les cellules de renseignement financier qui adhèrent au Groupe EGMONT, et en particulier avec celles des pays non membres. Il y a lieu aussi de préserver de très bonnes relations avec les autorités de régulation et de supervision des pays étrangers pour tirer profit de leurs expériences. Le Comité national d'évaluation des risques a défini sept axes stratégiques pour la stratégie nationale de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Le premier axe stratégique se concentre sur le renforcement du cadre législatif et réglementaire en améliorant les dispositions existantes et en introduisant de nouvelles dispositions. Le deuxième axe stratégique concerne le soutien et l'enrichissement du cadre institutionnel, notamment en ce qui concerne la modification des textes législatifs et règlementaires régissant la Cellule de Traitement du Renseignement Financier (CTRF) et l'accélération de la création d'une autorité nationale pour la gestion des actifs gelés, saisis et confisqués. Le troisième axe stratégique accorde une grande importance aux ressources humaines et techniques. Il a pour but principal de renforcer, en particulier celles relevant de la Cellule de Traitement des Renseignements Financiers (CTRF), du Corps de la Gendarmerie Nationale (CGN), de la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) et de l'Office Central de Répression de la Corruption (OCRC), ainsi que celles faisant partie des autorités douanières et judiciaires spécialisées. Le quatrième axe stratégique se focalise sur l'accompagnement des professionnels assujettis en mettant en œuvre des procédures visant les différentes catégories de professionnels assujettis. Le but principal est de les sensibiliser, de les informer et de les former de manière continue. Quant au cinquième axe stratégique, il vise à prévenir les risques grâce à une bonne connaissance des acteurs économiques et donc des assujettis, ainsi qu'à renforcer et améliorer la mission de supervision de l'exécution des obligations de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme par les assujettis. Le sixième axe stratégique met en exergue la nécessité pour l'Algérie de continuer à renforcer la coordination nationale et la coopération internationale de manière fluide et plus efficace, ce qui contribuerait à une meilleure compréhension des nouveaux enjeux de la prévention et de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Le septième et dernier axe stratégique de la stratégie nationale incite les parties prenantes à accorder une plus grande attention au cadre de lutte contre le financement du terrorisme. Il est impératif de définir ses différents concepts, de situer son champ d'application, et identifier les personnes exposées à ses risques. Il y a lieu aussi de cerner les risques, les auteurs et les moyens et mécanismes de prévention et de lute contre ce fléau. La stratégie nationale 2024-2026, fondée sur les risques, représente un tournant qualitatif dans l'approche adoptée par l'Algérie en matière de prévention et de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Elle représente un message clair d'engagement envers les directives émanant des instances internationales spécialisées en la matière, en particulier les recommandations du Groupe d'action financière (GAFI). L'Algérie a été classée dans la «liste grise» du Groupe d'action financière (GAFI) après un processus d'évaluation mutuelle qui a révélé des insuffisances stratégiques dans son système de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cela signifie que l'Algérie est actuellement sous surveillance renforcée du GAFI en raison de la non-conformité de certains de ses cadres législatifs, réglementaires et opérationnels aux normes internationales. Cela n'enlève rien à la détermination de l'Algérie à aller de l'avant pour remédier à cet état de fait. La mise en œuvre d'un plan d'action par les pouvoirs publics témoigne de l'engagement politique de l'Algérie pour corriger les dysfonctionnements essentiels dans son système LBC/FT dan des délais adéquats. Dans une volonté affichée de mise en conformité aux standards internationaux, l'Algérie s'est fixée comme objectif de rendre plus robuste son dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. La réussite à surmonter cela dépendrait de l'efficacité de la stratégie adoptée et de la rigueur de son exécution. Et cela ne serait possible qu'en mobilisant tous les acteurs nationaux et en utilisant les outils numériques les plus sophistiqués pour relever ces défis. Un dispositif fiable et efficace pour la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme est un des garants de l'Algérie afin de préserver l'intégrité et la stabilité du système économique et financier national et international. *Dr. Professeur d'enseignement supérieur à l'université de Mostaganem UMAB - Expert-comptable diplômé, commissaire aux comptes - Président du Conseil National de la Chambre Nationale des Commissaires aux comptes CNCC (2021-2024 -Président du Conseil National de la Fiscalité CNF (2023-2024) |
|