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Concordance des temps

par Abdelhak Benelhadj

Juin 1960, Meriem Bouatoura, Fadila Saâdane, Malika Bencheikh El Hocine, Hamlaoui, Saïd Rouag... ont laissé leur vie sur l’autel de la liberté.

Le télescopage hasardeux du temps nous renvoie à notre histoire sur le mode de la l’interférence des dates.

Dans la nuit de mardi 07 au mercredi 08 juin 1960, quatre jours après l’Aïd El Adha, comme cette année, plus connus sous leurs noms de maquisards, «Hamlaoui» et «Yasmina», sont morts pour la libération de leur pays.

Les forces françaises avaient mobilisé de très gros moyens pour «neutraliser» coûte-que-coûte Daoudi Slimane et Meriem Bouattoura.1

A la fois parce qu’insaisissables, leur guérilla urbaine décimait les forces de l’ordre colonial et surtout parce qu’ils commençaient l’écriture d’une légende héroïque auprès de la population qui suivait étroitement leurs actions et les ruelles labyrinthiques de Constantine amplifiaient les échos de leurs exploits.

Les épopées populaires sont encore plus redoutables que les défaites militaires. Il fallait mettre un terme à ces Hamlaoui et Yasmina formaient un quatuor avec deux autres membres de la zone 5 (zone autonome de Constantine) dépendant de la wilaya historique II, Bachir Bourghoud et Mohamed Kechoud capturés grièvement blessés.

Quelques jours plus tard, le 17 juin, a eu lieu un autre accrochage opposant un groupe de quatre résistants algériens à un fort contingent de «Bérets noirs» lourdement armé.

Kikaya Amar et Fadila Saâdane2 s’étaient mis à l’abri dans une sorte de grenier ils refusaient de se rendre et sont tombés les armes à la main. Fadila Saâdane, comme Meriem Bouatoura, n’avait que 22 ans.

De leur côté, Rouag Saïd et Malika Bencheikh El Hocine s’étaient réfugiés dans la cave d’un magasin situé au rez-de-chaussée. Dans un combat à armes largement inégales, ils finiront eux-aussi par succomber debout.

Dans ces groupes de combattants, la contribution des Algériennes, en l’occurrence de jeunes, voire de très jeunes Algériennes, n’était pas symbolique.

Leurs noms rejoignent ceux de Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Zohra Driff, Malika Gaïd, Farida Sahnoun, Anissa Ghamri, Zohra Gherib...

Mémoire, toponymie et amnésie

Comme ailleurs, l’histoire investit la géographie, en l’occurrence la géographie urbaine. Mais ce serait totalement vain et inutile si les jeunes Algériens perdent la mémoire.

La ville de Constantine a été reconnaissante à ces femmes et ces hommes et a salué leur sacrifice en attribuant leurs noms aux rues où ils ont donné leur vie.

Ainsi, de chaque côté de l’immeuble où Meriem Bouattoura et Daoudi Slimane sont exécutés, la rue Brunache a pris le nom de Bouattoura et la rue Cahoreau celui de Hamlaoui.

Dans le quartier où ils sont morts, l’ex-rue Vieux a laissé la place à la rue Rouag Saïd et l’ex-rue Chanzy a cédé son nom à Kikaya Amar.

Le nom de Fadila Saâdane a été attribué à la cité de Madame Rock et à un établissement scolaire.

Le Stade Hamlaoui (ex-Turpin). Inauguré le 05 juillet 1973, il porta longtemps, le nom de «17 juin» puis il fut rebaptisé «Chahid Hamlaoui», cinq ans après, le 17 novembre 1978. L’oubli de l’histoire de la ville est allé jusqu’à inventer à Hamlaoui un prénom («Mohamed») et complètement ignoré que «Hamlaoui» est un nom de guerre.

Qui expliquerait pourquoi ce stade avait été dénommé «17 juin» ?

Qui l’a décidé de cette date et pourquoi en avait-on changé ?

Devrait-on attendre d’une commission académique, historique franco-algérienne, aussi bienveillante soit-elle, qu’elle vienne mettre de l’ordre dans la mémoire des Algériens ?

Que font les autorités, nationales et municipales, pour établir et relater les faits historiques, avec la distance qui convient, sans parades, ni cérémonies fastueuses, ni culte totémique, pour en instruire les générations qui ne les ont pas connus, afin de les doter de repères et les aider à connaître et à comprendre d’où ils viennent et où ils pourraient librement choisir d’aller ?

Peut-on expliquer à ces enfants pourquoi la cité qu’ils habitent (en délabrement dangereusement avancé), ne s’appelle plus «Madame Rock» mais Fadela Saâdane ?

Notes :

1. Agissant dans le cadre du Plan Challe, les «commandos de chasse» (dénommés «bérets noirs» à cause de la couleur de leurs bérets) sont des unités militaires créées en 1959, pendant la «guerre d’Algérie», pour mener des opérations de contre-guérilla.

Expérimentés au Vietnam, les «commandos de chasse» constituaient un «écrémage» des meilleurs éléments prélevés dans différentes compagnies. En Algérie, ils étaient constitués de «Français de souche nord-africaine (FSNA)» et de harkis. Certains des membres des commandos sont d’anciens «prisonniers internés-militaires» (PIM) ralliés à l’armée française. Tous étaient volontaires.

Les «bérets noirs» seront dissous en avril et mai 1962.

2. Fadila Saâdane fut arrêtée en compagnie du Dr. Amor Bendali et incarcérés à la prison du Coudiat fin novembre 1956. Libérée fin 1957, elle partit début 1958, étudier en France à Clermont-Ferrand. De retour en Algérie, elle intégra un commando de fidayine. Membre de la logistique de l’OPA, elle fut affectée à la nahia 2, sous les ordres de Saïd Rouag («Si Amar»), en compagnie d’une autre fidaïa, Malika Bencheikh El Hocine.