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Rabah Saadane, entre larmes de bonheur et de douleur

par Slemnia Bendaoud*

Il y a deux ans, Rabah Saadane, le bien-nommé, était revenu pour la énième fois en équipe nationale comme seul maître à bord.

Il y a tout juste une poignée de semaines que celui-ci est reparti d'où il lui est parvenu ou revenu, la tète basse, de guerre lasse, dans ce ballet incessant de va-et-vient qui semble prendre la mesure des choses de ce qui se passe au sein de notre politique, du plus bas de l'échelle de la sphère de l'état jusqu'à son sommet. Celui qui a su nous procurer cette joie indescriptible réalisée un certain 18 novembre 2009 en terre Soudanaise et beaucoup de bonheur n'est pas cette fois-i reparti avec les honneurs dus à pareil exploit. Le peuple qui a vibré, il y a juste un an à ses mémorables exploits, lui tient aujourd'hui rigueur et surtout rancœur. Il dit qu'il a failli là où il ne fallait pas trébucher. Ce même public qui n'avait pas cessé de l'applaudir, vient de définitivement le vomir. L'homme, hier encore adulé, est à présent vilipendé, conspué et grillé à petit feu dans sa descente aux gémonies de l'enfer d'un football qui ne reconnait plus les héros d'autrefois, tel un vrai renégat ! La vie vient désormais de lui carrément tourner le dos après lui avoir juste un moment plus tôt ouvert toutes les voies possibles de la vraie réussite. Celle de l'éternelle gloire, nous semblait-il à l'époque. Comment ce bien nommé peut-il l'espace d'un temps aussi court se transformer en un vrai mal-aimé de tout un peuple, d'une frontière à une autre, d'une ville à sa voisine, d'un clan donné à son semblable ? Seul le foot, si fou comme jeu, et ses inextricables dessous, peut bien y répondre ! Peut-être même superficiellement. Qui sait? ? Mais? pourquoi en politique nous n'assistons jamais au même scénario, se disent certains ? En termes plus clairs, pourquoi nos hommes politiques ne quittent-ils jamais eux-aussi la scène pour d'autres nouveaux venus, tout frais et dispos, mêmes très vieillissants et parfois dépassant largement de la retraite légale ? Et pourquoi? Saadane seulement ?!... Le foot est-il cette discipline régie par cette inéluctable règle de la sanction, devenue totalement absente en politique ? Le foot présente-il cet inconvénient de se pratiquer et se jouer à découvert devant tout le monde et sur le seul stade de la vérité ? La politique profite-t-elle de l'éventail de sa marge de manœuvre des jeux de coulisse pour contrebalancer tout cela en invoquant autre chose que le résultat du terrain pour pouvoir se justifier ? Mais? pourquoi la politique reproduit-elle toujours ces mêmes scénarii qui soutiennent les mêmes hommes au pouvoir pour garder ou reproduire le même système politique qu'autrefois et jadis ? Pourquoi donc ce qui est valable pour celui-ci ne l'est pas forcément pour celui-là et vis-versa ? Et pourquoi change-t-on plus fréquemment d'entraineur de football que de dirigeants politiques ? Le foot est-il condamné à être ce turn-over, le plus important par rapport à toutes les autres disciplines ? Sinon donne-t-il plus de chance à ses spectateurs de dire leur mot et d'exiger le départ de celui qu'ils jugent comme défaillant ou carrément incompétent? Nos hommes politiques ne sont-ils alors pas concernés par cette règle drastique du résultat, puisqu'ils continuent toujours de nous gouverner depuis déjà de très longues décennies ? Rabah Saadane en jetant l'éponge ne leur a-t-il pas montré la voie à suivre ? Le suivront-ils dans sa marche ou démarche toute indiquée ? Tout porte à croire qu'ils ne le feront jamais, eux qui ont tout le temps agi dans l'ombre compacte de la confusion pour toujours nous paraitre comme de vrais sauveurs d'une république en réel danger ou encore partie tout droit à la dérive. Tous ces questionnements tendent à faire ou jeter un rais de lumière sur le pourquoi de la chose dans son côté purement différent de l'autre, entre football, d'un côté, et politique, de l'autre. Cette différence-là ?il faut bien l'avouer- est énorme. Oui, vraiment énorme ! Force est de constater que les deux disciplines n'obéissent cependant pas aux mêmes principes, règles et aux mêmes résultats susceptibles de permettre l'appréciation de la sanction de l'effort consenti et de la faute commise. A vrai dire, en football tout est clair ou presque. Alors qu'en politique, tout est flou sinon trop confus.

 En matière de football, les organes de contrôle et les voies de recours, très nombreux ceux-là, sont toujours présents, bien souvent sur les lieux-mêmes de sa pratique et stade d'exhibition des acteurs concernés, devenant de la sorte impossibles à être tous « embobinés » et « travaillés » par une aile toute indiquée ou toute désignée. Alors qu'en politique, la combine et la corruption sont les seules maitresses d'un jeu aux parfois très difficiles enjeux. Un jeu, bien souvent absurde où la face visible de l'iceberg est celle qui empêche ce corps flottant sur le niveau de l'eau de l'énigme de pouvoir se retourner et d'accoucher de cette vérité que tout un peuple attend avec l'impatience d'un loup affamé.

 Le foot est alors ce jeu qui emballe et régale tout un monde jeune et éduqué fuyant à jamais les misères de son quotidien, fait d'interdits et d'exclusion sous toutes les formes et aspects, qu'il considère après tout comme unique ascenseur social à prendre un jour au gré d'une hypothétique occasion à saisir au vol. Par contre le jeu politique est un jeu fermé, bien verrouillé, se jouant bien souvent à huit clos et ne profitant par-dessus le marché qu'aux mêmes tètes que celles naguère au pouvoir et à ces mêmes tribus d'autrefois, presque comme ce qui se passe au sein d'un royaume où seule la tribu des Seigneurs est admise à fouler la plus haute marche de l'autorité suprême de la nation.

Le foot harangue les foules et les distraits ; la politique, par contre, les révulse et les méprise à souhait. Celui-ci leur permet de participer activement aux nombreuses joutes d'une vie sociétale, au moment même où celle-là les exclue de toute organisation politique ou syndicale de poids et de droit pour longtemps les tenir à l'écart de ses sournois projets futuristes.

Résultat : les Dieux du foot sont toujours présents au sein de l'arène de jeu, l'ouïe tendue aux doléances des spectateurs. A l'inverse, ceux de la politique, totalement absents de la scène où se déroule le vrai combat, préfèrent toujours s'investir dans ce jeu de coulisse qui arrive presque souvent à avoir le dernier mot. De leurs salons feutrés, ils tiennent les vraies reines d'un difficile jeu, hermétiquement fermé à ce public grincheux et enquiquinant.

Voilà pourquoi c'est Rabah Saadane et ?non pas quelqu'un d'autre ! Voilà pourquoi, sur une simple prière faite pieusement au stade de Blida, archicomble ce jour-là ?jour de prière convenons-nous, faut-il le rappeler !-, ces mêmes spectateurs, au bout de leurs nerfs et du rouleau, ont eu raison de leur entraineur. C'est ainsi que Rabah Saadane a le plus logiquement du monde été contraint de céder sa place et le terrain de jeu aux hommes politiques pour leur permettre de pouvoir refaire leur jeu. Se préparer à d'autres rencontres imminentes et conquêtes plus importantes.

Rabah Saadane aura donc été tout naturellement gommé sur l'autel de la raison d'état, laquelle n'admet cependant aucune autre raison que celle de conforter l'état dans ses nombreux droits, que Saadane commençait, par moments, avec ses mauvais résultats par sérieusement les déranger, les mettre en réel danger. Il s'est tout simplement effacé de cette carte sportive dont il aura toute sa vie construit l'archipel de sa vraie stature et bons résultats, quelquefois collectionnés en série.

Le héros est bel et bien parti, la tète basse puisque sorti par la petite porte mais le devoir bien accompli. Place donc aux pions de l'échiquier politique de refaire leur jeu.

L'hirondelle qui entretenait l'espoir du beau temps est aujourd'hui en plein vol en partance pour d'autres cieux et lointains horizons. Il ne nous reste qu'à prier de nouveau pour que le printemps nous revienne de sitôt. Retournons donc au stade pour de nouveau ? prier !

(*) Universitaire et auteur.