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Les faux dinars menacent la sécurité nationale

par Abderrahmane MEBTOUL *

La monnaie, autant que les réserves de change, est un signe, moyen et non facteur de développement.

Dans les tribus anciennes, notamment d'Australie, comme l'ont montré les anthropologues, par exemple, les barres de sel ou tout autre symbole jouaient le rôle de monnaie afin de favoriser les transactions commerciales.

I-Elle s'est toujours identifiée au pouvoir régalien du souverain, de l'Etat. Récemment, selon la définition de la majorité des manuels d'économie universelle, la monnaie est un instrument de paiement accepté de façon générale par les membres d'une communauté en règlement d'un achat, d'une prestation ou d'une dette. Elle peut remplir trois fonctions principales: la fonction d'intermédiaire dans les échanges, la fonction de réserve de valeur et la fonction d'expression d'unité de compte pour le calcul économique ou la comptabilité.

 Certains auteurs considèrent que la capacité d'éteindre des dettes et des obligations, notamment fiscales, constitue une quatrième fonction appelée « pouvoir libératoire » de la monnaie. Ces fonctions peuvent être assurées par différentes monnaies en circulation simultanée : la monnaie divisionnaire ou pièces de métal ; la monnaie de papier ; la monnaie scripturale et la monnaie électronique. Au niveau international existent des monnaies non convertibles et des monnaies internationales convertibles acceptées lors des transactions internationales. Ainsi, moyenne 2008/2009, 65% des réserves de change des banques centrales étrangères sont détenues en dollars, contre seulement 25% en euros, surtout depuis 1971, du fait de la démonétisation du dollar vis-à-vis de l'or.           Ce qui permet aux Etats-Unis de ressembler à une banque d'investissements qui se finance massivement en émettant de la dette tout en investissant en actifs risques étrangers (stocks, investissements directs). Cependant, existe une tendance contraire à cette dominance actuelle, expliquant la guerre des monnaies qui se fera de plus en plus vivace, certainement entre 2015/2020 avec l'entrée du Yuan chinois.       L'on pourrait assister à une stratégie convergente à travers le duo USA/Chine, notamment à travers les bons de Trésor représentant environ 45 % de la dette totale externe des Etats-Unis où, sur 2450 milliards de dollars (juin 2010) de réserves de change chinois, une grande partie est libellée en dollars, et les Chinois dépendant pour une grande fraction de leurs exportations des USA. En effet, toute dévaluation, pour une économie productive, dynamise les exportations et toute réévaluation les freine actuellement, les cotations en baisse tant de la monnaie américaine que chinoise pénalisant un euro fort. La monnaie à travers les systèmes financiers joue le rôle comparable au sang dans un corps humain où toute circulation sanguine, pouvant bloquer le corps humain ou l'économie en tant que moyen et non comme fin. Cela explique en partie, car existent des liens dialectiques entre la sphère réelle et la sphère financière, tant la crise mondiale de 1929, où, devant le manque de confiance, les ménages se sont précipités pour retirer leurs épargnes agent, accentuant la crise, que l'origine de la crise des prêts hypothécaires d'août 2007, où des titres ont été adossés qu'à des entrées virtuelles, qui s'est faite en en cinq étapes : a a - Les banques ont fait des prêts immobiliers à des ménages insolvables ou présentant peu de garanties, à des taux d'intérêts élevés ; b - Diffusion des mauvaises créances dans le marché : pour évacuer les risques, les banques «titrisent» leurs créances, c'est-à-dire qu'elles découpent leur dette en produits financiers pour la revendre sur le marché. La mondialisation a fait le reste, en diffusant ces titres à risque dans les portefeuilles d'investisseurs de toute la planète. Les fonds spéculatifs (hedge funds) ont été de gros acheteurs de subprimes, souvent à crédit pour doper leurs rendements (jusqu'à 30 % par an), et faire jouer l'effet de levier, les hedge funds empruntant jusqu'à 90 % des sommes nécessaires ;

c - Retournement du marché immobilier américain : vers fin 2005, les taux d'intérêts américains ont commencé à remonter alors que le marché financier s'essoufflait. Des milliers de ménages ont été incapables d'honorer leurs remboursements, entraînant des pertes pour les banques et les investisseurs qui ont acheté les titres obligataires ont vu leur valeur s'effondrer ;

d - Crise de confiance : les banques se sont retrouvées dans une situation où, comme dans un jeu de poker, elles savent ce qu'elles ont dans leur bilan, mais pas ce qui se trouve dans celui des autres, ces mauvais crédits immobiliers ayant été achetés un peu partout dans le monde et on ne sait pas quelle est la répartition du risque, d'où une grave crise de confiance ; cette situation a paralysé le marché interbancaire, les banques ne se prêtant plus ou très peu, craignant que leurs homologues ne soient dans une ligne rouge ;

e - Intervention des banques centrales : face à la paralysie du marché, les banques centrales sont intervenues début août 2007 en injectant plusieurs centaines de milliards de liquidités afin d?éviter le blocage de l'économie mondiale, bien que les actifs toxiques continuent de produire leurs effets, comme en témoignent la récente semi-faillite immobilière d'Abu Dhabi et la crise grecque, la crise de l'endettement des Etats, les ondes de chocs n'étant pas encore terminées.    Comme le montrent les divergences récentes au sein de G20, l'on ne s'est pas attaqué à l'essence qui est le fonctionnement du système économique mondial impliquant une nouvelle régulation et gouvernance mondiale.

II - Dans tous les pays du monde existent de faux monnayeurs mais la proportion par rapport à la masse monétaire en circulation est relativement faible du fait de la dominance de la monnaie scripturale et de la monnaie électronique.           En Algérie, selon certaines informations de toutes les régions du pays avec des ramifications internationales, elle commence à prendre des proportions dangereuses menaçant la sécurité nationale. La possibilité de l'extension de faux billets est d'autant plus possible dans une économie ou le cash prédomine du fait que le citoyen soit garde chez lui du liquide, ou que la majorité des segments de l'économie fonctionne sur des principes en dehors du droit tel que défini par l'Etat. Or, en Algérie où domine la monnaie fiduciaire, la monnaie électronique étant presque inexistante, une méfiance de la monnaie scripturale (sans compter qu'il faut attendre des mois pour avoir son chéquier et réaliser une transaction entre deux wilayas). Cette extension trouve un terrain propice du fait que, souvent, bon nombre de segments du secteur d'Etat exigent du liquide, 75% des importations en 2009 se sont faites en cash, et que, fait de raisons tant économiques que cultuelles, la majorité des opérateurs surtout privés et les ménages commercent entre eux en cash.      Et surtout de l'existence de la sphère informelle en extension, produit de la bureaucratie et des dysfonctionnements des appareils de l'Etat qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation (limitant la politique monétaire de l'Etat du fait de l'existence d'institutions informelles et d'une intermédiation financière informelle) permettant l'évasion fiscale et la corruption; alors que la règle de base de l'économie de marché se fonde sur deux postulats, sur le contrat et le crédit. Sans une intégration intelligente de cette sphère, loin des mesures administratives autoritaires (d'où les effets mitigés du contrôle des prix), les dernières mesures de traçabilité, exigeant le paiement par chèque au-delà de 500.000 dinars, seront d'un effet très limité.

III - La fausse monnaie n'a pas de répercussions directes au niveau international puisque le dinar n'est pas convertible mais, en termes d'image (un pays qui ne contrôle pas sa monnaie n'est pas un pays crédible) et avec des effets possibles indirects, puisque sur les transactions commerciales extérieures pour les importations se font en dinars et ce, en cas de non vigilance des banques pour détecter les faux billets. C'est que le système financier algérien est déconnecté des réseaux internationaux et il ne faut pas s'en réjouir, montrant une économie perfusée par la rente des hydrocarbures (98% d'exportation et 75% d'importation des besoins), certains économistes ayant pu parler d'une non économie. Encore qu'il faille être attentif aux fluctuations du dollar et de l'euro puisque la majorité des exportations algériennes se font en dollars et environ 60% des importations en euros ; comme il faudra être attentif tant aux fluctuations des monnaies clefs que des taux d'intérêt et du taux d'inflation mondial concernant les 80% des réserves de change placées à l'étranger, notamment en bons de Trésor. Sur le plan boursier, alors que la grande société russe Gazprom est cotée en Bourse comme la plupart des sociétés OPEP, connaissant la valeur réelle de leurs actifs, fluctuant selon le cours boursier, on peut se demander pourquoi Sonatrach, première société algérienne, n'est pas cotée en Bourse, la détermination de sa valeur se fondant sur l'approche comptable classique, non reflet de sa performance économique. Sur le plan du commerce intérieur, l'extension de faux dinars risque d'entraîner une psychose, les ménages se réfugiant dans les valeurs refuges comme l'or ou certaines valeurs immobilières, pouvant conduire à l'effondrement de l'économie, dévalorisant toute création durable de la richesse, dont la monnaie est le support, tout en alimentant une inflation incontrôlée (rappelons-nous l'hyperinflation allemande de Weimar) ou l'hyperinflation actuelle du Zimbabwe où il faut des tonnes de billets pour acheter une marchandise, donc, une détérioration du pouvoir d'achat des ménages. Comme effet d'entraînement, la spéculation générant la spéculation et une méfiance généralisée du fait que le fondement de fonctionnement de toute économie reposant sur la confiance, la généralisation de faux billets, selon la loi de Gresham, la mauvaise monnaie chassant la bonne risque de conduire le pays au chaos, justement à cause de la psychose généralisée qu'elle peut déclencher.       Aussi, le remplacement progressif de certains billets de banque, encore que du fait que la masse monétaire en circulation en Algérie est déjà importante, attention donc à une trop grande injection de la monnaie qui risque d'amplifier l'inflation déjà importante selon l'officiel puisqu'il a atteint 5,7% en 2009 avec une prévision de 5,5% en 2010, beaucoup plus selon certains organismes internationaux (enquête sur la région Mena), ce qui ne peut que conduire les banques primaires à relever leurs taux d'intérêt, bloquant l'investissement, la démonétisation de certains billets attaqués par les faux monnayeurs, doit être progressive et dans la discrétion pour éviter la panique. Les mesures techniques, carte de crédit, vérification (encore que l'on ne peut mettre derrière chaque commerçant un appareil de vérification), ne seront des mesures efficaces que si des mécanismes de régulation clairs sont mis en place pour uniformiser l'espace économique et social, évitant cette hétérogénéité qui favorise la fausse monnaie. Ce qui renvoie à la faiblesse de l'instauration d'un Etat de droit, au manque de visibilité et de cohérence de la politique socio-économique, l'Algérie étant dans cette interminable transition depuis 1986, ni une économie planifiée, ni une véritable économie de marché, d'où les difficultés de régulation politique, sociale et économique solidaires. En bref, analyser objectivement l'existence et l'extension de la fausse monnaie implique une vision stratégique globale car menaçant la sécurité nationale.

*Docteur, Economiste Expert International Professeur d'Université