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Le transfert de technologie inverse et la fuite des cerveaux : La marche forcée vers le sous-développement (1ère partie)

par Lakhdar Ydroudj*

« Un cerveau fuit pour aller où ? »

Si les flux migratoires ont toujours été une caractéristique des espèces y compris l'espèce humaine, il y a un flux qui reste très pernicieux pour les pays en voie de développement. Il s'agit de l'immigration spécialisée et des mains-d'œuvre qualifiées. C'est une mobilité experte qui a pris des proportions alarmantes ces dernières décennies pour diverses raisons, bien que la principale réside, à notre sens, dans la dévalorisation du statut sociologique de la science, des diplômes, de l'éducation, de la recherche, de l'école, de l'enseignant, de la matière grise, de la lecture, du livre, de la littérature, de tout ce qui est relatif à l'alphabet. La maîtrise des processus de développement passe inéluctablement par la disponibilité de moyens matériels, financiers et surtout un capital humain qualifié à tous les échelons de ces processus qui engendrent le progrès et le confort, en plus, bien sûr, de la modernisation des infrastructures. C'est une exigence vitale que d'avoir un capital humain qui peut penser, implémenter, mettre en pratique et contrôler toutes les stratégies nécessaires pour le progrès et le développement.

Lorsqu'on aborde les différents modèles de développement des pays sous-développés, la référence est faite tout particulièrement à un vocable qui est le transfert de technologie synonyme de l'appropriation des nouvelles techniques et de la maîtrise de production de bien et de services. Plusieurs pays ont adopté ce transfert de technologie pendant des décennies en dépensant des milliards de US Dollars, mais qui sont restés toujours sous-développés, pour ne pas dire que le sous-développement s'est accentué davantage et a pris en otage ces pays pour d'autres décennies qui seront plus difficiles à gérer pour des raisons connues de tous.

C'est le paradoxe sociotechnique qui devient une véritable problématique sans aucune perspective pour ces pays de trouver les solutions appropriées. Par contre, d'autres pays ont véritablement amorcé un des plus important processus pour sortir de la liste des pays en quête de progrès, puisqu'ils ont pris en compte les conditions de transformation sans être en contradiction avec le modèle de développement engagé.

Notions contemporaines et typologie des fuites

La fuite des compétences est aussi connue par d'autres comme la fuite des cerveaux, ou l'exode des cerveaux vers de nouveaux Eldorados, c'est surtout la fuite du capital humain qui inquiète le plus par ce que les pays se vident de toute la substance humaine. Si les pays du Sud ont pu -aléatoirement- transférer une technologie, les pays du Nord ont massivement profité d'un transfert de technologie inverse (Brain Drain) qui concerne les compétences, les scientifiques, les ingénieurs, les médecins, les enseignants universitaires, les chercheurs et toutes les mains-d'œuvre qualifiées. Notre contribution ne porte pas exclusivement sur le transfert de technologie inverse qui est le retour des compétences nationales des pays qui ont envoyé des étudiants, des cadres, des techniciens et des scientifiques pour un perfectionnement ou une formation à l'étranger, mais ne sont pas restés chez eux, mais aussi sur la fuite du capital humain vers l'étranger. Pour définir sommairement ce phénomène, on peut l'identifier par le retour des scientifiques des pays du Sud aux pays du Nord dans lesquels ils ont acquis les connaissances, les savoirs, les sciences, etc., pour s'installer définitivement dans le pays hôte, c'est aussi un départ volontaire des compétences formées dans les pays du Sud vers le monde savant.

Ce que nous venons de présenter comme la fuite de cerveaux est la première notion qui émerge de ce concept et qui coûte doublement cher pour les pays sous développés qui ont investi dans la formation d'une élite pour maîtriser le transfert de technologie nécessaire aux démarrages des complexes industriels et technologiques, puisque ils ont été dans l'obligation de payer le coût de la formation à l'étranger de cette élite et le coût de la coopération technique au risque de voir les complexes se transformer en cimetières de ferraille. Nous devons aussi évoquer un fait économique très important pour le pays d'accueil qui économise sur la formation des migrants experts tout en générant une plus value qui n'est pas évoquée dans la majorité des études. Ces experts sont avant tout des créateurs de richesse inestimable pour les pays d'accueil.

Ce transfert de technologie inverse a pris une autre dimension suite aux besoins des pays développés de faire appel à une immigration choisie sur des critères de compétence et de qualification professionnelle, et sélectionnée pour des besoins précis. Cette nouvelle notion de transfert de technologie est une véritable saignée pour les pays concernés et une aubaine pour les autres pour pallier aux insuffisances des secteurs de leurs économies. L'appel de ces pays est généralement très bien accueilli par les scientifiques et les diplômés, même s'ils seront obligés dans la majorité des cas à une mise en forme de leurs diplômes par des études supplémentaires. Devenant une habitude, les futurs diplômés attendent toujours un éventuel appel de la part des « chasseurs de scientifiques » des pays développés à travers des institutions officielles dans les continents où couvent la pauvreté et l'absence de perspectives entretenues par une mauvaise gouvernance caractéristiques des pays en voie de sous-développement, au lieu d'être des pays en voie de progrès. La dernière notion que nous présentons ici, c'est carrément la fuite de l'Homme des pays sous-développés vers les autres pays et continents pour des raisons de malvie, de dévalorisation, de guerres, des conflits, de l'absence de liberté et de justice. Ici, il s'agit carrément de fuite dans des conditions parfois inhumaines, comme c'est le cas des harraga qui utilisent des embarcations de fortunes au péril de la vie.

Ces pays se vident de la première substance nécessaire pour l'exécution des étapes indispensables au progrès.

Toutes ces fuites doivent être perçues comme un exil forcé par des facteurs qui relèvent, entre autres, d'une gouvernance qui ne répond pas aux normes du développement ni les exigences du progrès et du transfert de technologie initial. C'est l'expression d'un malaise sociologique profond que seule la mise à niveau normative peut éviter et rendre l'environnement plus vivable. Les gouvernances dans la majorité des pays qui vivent ces fuites de leur capital humain adoptent des positions fictives comme pour se justifier d'être incapables de stimuler un quelconque retour de ces compétences.

A suivre

*Chercheur