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Que les amnésiques se rappellent (Suite et fin)

par Chaïb Aïssa-Khaled*

Profitant de l'incapacité des gouvernements qui s'étaient succédé à réguler leurs appétits devenant de plus en plus féroces, le secteur privé, dans sa quasi-totalité, avait versé sans aucune morale dans la collusion avec les responsables (toutes hiérarchies confondues), dans la spéculation sur la devise, sur le marché extérieur, dans la contrefaçon, dans l'importation des détritus des autres (pièces détachées usagées et friperies), dans la fuite des capitaux. Il a contribué, de facto, au grossissement du flot de frustrations et des victimes et surtout de la paupérisation et de la vie chère. La libéralisation tronquée avait débouché sur une économie trouble, résolument tournée vers l'extérieur mais sans profit pour le développement national. «Même les autorités officielles reconnaissent que le commerce extérieur, qui était du monopole de l'Etat, est devenu aujourd'hui le monopole de personnes au point où c'est aujourd'hui un monopole tout à fait légal. J'ai essayé d'en connaître les fondements et j'ai trouvé qu'ils sont légaux. Ils utilisent la loi de façon à ce qu'on ne puisse pas leur demander des comptes car si on dit à quelqu'un avez-vous le monopole ? vous trouverez que tous ses actes sont légaux. Tout le mal se situe au niveau des banques» -Président Abdelaziz Bouteflika-.

Les avantages du pouvoir et de l'argent accumulé, à l'ombre d'une économie spéculative déchaînée, ont favorisé l'émergence d'une élite de nouveaux riches qui, pour contourner la rigueur de l'austérité et vivre à l'aise, s'était jetée dans la corruption, la malversation, la prévarication.

Au 15 avril 1999, le constat en termes de dépendance de «l'autre» et d'assistanat était terrifiant. Le made in, consacré référence, était devenu un mythe. Les méventes de l'Occident et de l'Extrême-Orient faisaient le bonheur des arnaqueurs, à titre d'exemple, les importateurs de sandales chinoises. Ces derniers, sans scrupules mais forts du cachet de l'honorabilité dont ils ont été «décorés» (sic !), demandaient à ce que leur commerce, relevant du trafic légal, (piocher dans les poches des vulnérables pour grossir leurs fortunes colossales), soit régi par des textes plus cléments et qui leur faciliteraient la tâche. Certains malfrats en charge de pouvoirs publics, (faisant dans le légendaire 10%), soucieux soi-disant du pouvoir d'achat du citoyen qui rétrécissait comme une peau de chagrin, gonflaient l'offre pour réduire la facture du ménage. Ils ouvrirent de la sorte les frontières au «tout venant» et gavèrent les Algériennes et les Algériens de friperie, de taïwaneries en tous genres et d'autres Algériennes et Algériens de jet-skis, de matériel électroménager high-tech, etc. La Banque de développement local ne débourse pas un sous pour un développement local mais offre tous les fonds pour l'importation. Pourquoi ? Parce que le développement local exige de la banque dix ou quinze années pour récupérer ses fonds et ses intérêts. En revanche, lorsqu'il s'agit d'importation, elle récupère ses fonds avec un taux d'intérêt de 10 à 12%, en l'espace de trois mois. Ceci est inacceptable et ce ne sont pas des lois. Il faut les revisiter, car l'économie du pays est devenue le monopole de dix ou de quinze personnes. Mais on se rend compte que l'on ne peut pas les poursuivre en justice. Ils travaillent de manière à être conformes à la loi. Ils ont mis sur pied une loi sur mesure. Si c'est le cas, où sont les institutions de la République ?» -Président Abdelaziz Bouteflika-.

Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'échec algérien ait été au bout de la route, que les citoyens se soient démobilisés et qu'ils aient cherché leur salut dans l'opportunisme. Il n'est pas étonnant que l'Etat ait été conduit à l'immoralité, à l'impuissance. Il n'est pas étonnant qu'il ait laissé pour compte la société devenue la victime expiatoire d'accaparateurs. Il n'est pas étonnant que les institutions de l'Etat soient aujourd'hui discréditées et devenues le siège de sinécures, de laisser-aller, d'incapacité, de faveurs spéciales, de détournements des biens publics.

Au 15 avril 1999, l'Etat a perdu sa capacité d'action et de réaction. Incapable de mettre les citoyens à l'abri du besoin, encore d'apporter des solutions aux problèmes, encore moins d'apporter des solutions aux problèmes qui les assiégeaient. Etre le rempart face aux forfaits majeurs et aux dénis intolérables qui les persécutaient, c'était trop lui demander. Par ailleurs, l'effort d'organisation, l'application des méthodes rigoureuses de gestion et la promotion de la qualité des hommes n'étaient pas perçus comme des impératifs. A propos de la qualité des hommes. L'attribution des responsabilités était personnalisée, népotisée, clanifiée, régionalisée, tribalisée même. Ces travers ont montré que l'Algérie ne pouvait s'offrir le luxe qu'au bénéfice de la médiocrité. «Des politiques aventuristes ont exacerbé les frustrations et les antagonismes au sein de la société, fissuré la cohésion sociale, affaibli l'Etat et affecté la confiance de la nation en elle-même» -Président Abdelaziz Bouteflika-

La boulimie réglementaire était devenue pour la mafia politico-financière un moyen de tout régenter, d'imposer son autorité, de marquer son territoire. On décrétait «à tout va» sans se préoccuper du suivi et des modalités d'exécution. Tout se compliquait. Les procédures se multipliaient et se juxtaposaient. C'était là un moyen de ponction lucratif pour qui détenait un tampon, une signature. Les exigences en matière de pièces et de conditions pour la constitution d'un quelconque dossier administratif prenaient l'allure d'un parcours du combattant. Les responsables et leurs parrains, les décideurs et leurs sous-traitants avaient fini par croire qu'ils pouvaient tout faire, y compris outrepasser la loi. La population anonyme était livrée à l'autoritarisme le plus humiliant, même celui des petits chefs.

L'Etat de droit n'était pas le souci de la hiérarchie qui manquait, en sus de la culture de l'Etat, de culture citoyenne. Seul l'exercice de la domination et les privilèges qui lui sont sous-jacents retenaient son attention. L'Etat avait évolué vers le discrédit et la sclérose. Tout projet mobilisateur était consacré hors la loi. Subissant le joug des médiocres, il était incapable de faire face à ses responsabilités. Il se contentait de bloquer les initiatives, de priver les citoyens de leurs droits et d'annihiler leurs possibilités. Il était l'expression de la désorganisation et du laxisme, plutôt que celle du choix politique. Le flou et l'incertain dominaient son fonctionnement. Il n'avait plus de conduite claire à tenir. La porte était ouverte à la connivence, à l'influence, au pourrissement. Bloqué, infesté et scélérat, il était devenu étranger pour la société qui le rejetait. Le personnel politique n'avait plus de crédit. La chose publique ne valait plus rien. L'esprit de décision s'était étiolé. La grande corruption et l'abus des facilités s'étalaient sans vergogne. L'argent facile et sale occupait le terrain.

Au 15 avril 1999 et alors que la justice devait être la pierre angulaire de la régénération continue de l'Etat et assurer, en permanence, le resserrement de la cohésion sociale, l'appareil judiciaire était miné, incompétent, partial, corrompu. «Au lieu d'être un élément de rétablissement de la confiance des citoyens envers l'Etat, la justice dans notre pays, par les faiblesses qui la caractérisent, contribue au contraire à aggraver le fossé et le manque de confiance qui affecte malheureusement les rapports de citoyenneté».

En effet, tout le monde n'était pas logé à la même enseigne devant la justice algérienne. Les citoyens brimés et abusés n'attendaient plus rien des tribunaux, sauf des décisions injustes ou encore, passer le plus clair de leur temps à chercher les moyens d'influencer les juges. Ne jouant pas son rôle de régulatrice, elle réfléchissait une image déviante de l'autorité. Elle aggravait de fait le sentiment de méfiance du citoyen à l'égard de l'appareil de l'Etat.

Au 15 avril 1999, l'habitat faisait encore et toujours la déception des Algériens. Le déficit enregistré était le résultat de la démultiplication de la carence générée par le double effet de la démographie galopante et de l'exode rural (enclenché depuis 1965). Il s'en est allé en s'exponentialisant sans pour autant sérieusement considérer des palliatifs appropriés. Le dogmatisme bureaucratique, les agissements néfastes des promoteurs de «la pêche en eau trouble», l'absence de planification et l'incapacité des officines chargées de la réalisation, se conjuguant l'un dans l'autre, allaient consacrer la faillite de l'avenir de la politique du logement en Algérie. Au 15 avril 1999, le secteur de la santé publique était déjà en panne. Les équipements insuffisants étaient mal répartis. L'organisation était déficiente. On avait multiplié les petites unités (dispensaires, centres de santé et autres polycliniques), sans pour autant les pourvoir en capacités d'intervention (médecins et équipements). Le système était quasiment détérioré. La prévention était défaillante pour ne pas dire nulle. Des médecins compétents et jaloux de leur mission se battaient au quotidien avec une administration qui ne savait rien faire d'autre que «d'éteindre le feu». La décrépitude du secteur de la santé publique était à l'affiche. Comme le secteur de l'habitat, elle donnait l'image d'un service à deux vitesses, l'un pour la nomenklatura et les riches qui avaient droit à des égards, aux meilleurs soins, qu'ils soient en ambulatoires, sous contrôle ou en milieu hospitalo-universitaire ou même à l'étranger, et l'autre pour la masse qui devait se battre pour, enfin, se contenter de l'à-peu-près.

Au 15 avril 1999, la jeunesse était la frange de la population la plus blasée. Alors qu'elle était choyée par Boumédiène, le système de Chadli afficha, à son adresse, une passivité délibérée, une totale indifférence. Depuis, elle fait les frais de tous les dérapages et de toutes les dérives. La détérioration de l'éducation, les faux-semblants et leurs impasses la giflaient à tous les coups. Les dysfonctionnements de l'économie l'ont fortement pénalisée.

Plus de 80% de la population algérienne sont une génération post-indépendance. Ils n'ont pas connu la guerre de libération. Ils ne se reconnaissent pas dans la nouvelle répartition des privilèges, fils de chouhada, fils d'anciens moudjahids, fils de membres de la famille révolutionnaire, fils de ministres... Ils ne collent pas avec un paysage politique imposé par les caciques. Ils savent que l'aisance n'est souvent qu'un rêve. Cependant, ils refusent l'injustice sociale et la politique des privilèges. Leurs aspirations sont logiques et légitimes, un toit décent, une éducation de qualité, une formation sérieuse, une couverture sanitaire de base efficiente, la réduction de la durée du service national, un accès équitable au marché du travail, la disparition de la bureaucratie, un environnement administratif moins agressif.

Or les passe-droits et les combines, les jeunes les subissaient. Les logements n'étaient pas pour eux, ou du moins pas pour beaucoup d'entre eux. Souffrant atrocement du vide, ils s'adonnaient à leur nature de débrouillardise. Confrontés à leur détresse par une éducation absente et par une culture asthénique, ils n'avaient plus de repères. Conséquence, ils n'avaient presque plus d'éthique. Ils ne rencontraient pas le moindre mouvement mobilisateur qui leur offrirait ne serait-ce qu'un semblant d'ambitions. Ils se contentaient d'assister à leur dévalorisation. Ils ne pouvaient trouver meilleur dérivatif. Au lieu d'être l'avenir du pays comme on aimait le ressasser, ils étaient devenus le reflet de leur propre échec, le concentré de leurs désillusions.

Au 15 avril 1999, la démocratie comme son ennemi farouche, l'islamisme politique était deux sectes dont les gourous achalandaient les atouts dans des discours allant du discours tout court (désuet de tout fondement), au discours fleuve (succession de mots et avalanches d'invectives, en passant par une panoplie d'autres types de discours, (le discours carotte, le discours illusion, le discours passion, le discours extrême). A propos de démocratie et d'islamisme. Pour ceux qui souffraient d'obésité, être démocrate ou islamiste était le meilleur moyen pour perdre du poids. Un démocrate est toujours plus démocrate que les autres. Il aime voyager seul, avant ou après les autres mais jamais en même temps que les autres. A chaque échéance électorale, les démocrates se demandent la main mutuellement mais ils n'arrivent jamais à décider qui sera l'époux et qui sera l'épouse. Ils se séparent ensuite et mettent le meilleur d'eux-mêmes à rater le train sous prétexte qu'il arrive trop en avance ou très en retard sur leurs idées. A l'intérieur du peuple, ils sont arrivés à être un peuple à part entière avec ses idées, son territoire, ses notables, sa propre histoire et son propre sous-développement. Ils ne sont donc pas une menace ni pour le pouvoir qui les cultive ni pour le peuple, encore moins pour les conservateurs qui avaient su les isoler dans les revues de mode. Etre démocrate en Algérie n'est ni facile ni difficile. Il suffit d'avoir quelques idées, un sigle vague et «se tromper de peuple et d'époque». Il suffit de savoir attendre que l'histoire les rattrape pour s'excuser en retard.

A propos des islamistes. Ils ne se reproduisent qu'entre eux. Ils ont cet avantage d'être coupés du monde et de ne pas avoir à le porter, sauf sous forme d'idées et d'adjectifs. Leur vertu est dans leur vice. Leur impression de faire du surplace les range dans la catégorie des cartes postales de l'histoire. Leur structure mentale est simple. Il y a le moi, le çà et le sur-moi. Le premier c'est eux, le second c'est le peuple. Le troisième c'est le pouvoir.

Issus de classes moyennes non conservatrices, ils se sont installés très vite dans un semblant de scepticisme face aux mouvements populaires et dans un militantisme naïf et manipulable, face au pouvoir. Ce dernier, conscient de leur tare, arrive à tous les coups à les manipuler, à les démanteler, pour les convoquer un à un à se manger les uns les autres et en public de préférence.

Au 15 avril 1999, le multipartisme, comme son corollaire immédiat la démocratie, était donc une entreprise bizarre. En effet et quand bien même la diversité de l'opinion et le débat fécond seraient un bienfait, mais lorsqu'il s'agissait de défendre les intérêts supérieurs de l'Etat, ceux qu'on appelait les forces vives de la nation n'arrivaient pas à s'unir dans un authentique mouvement pour la République (la leçon qui a été donnée au monde par la classe politique française, dans cette optique, lors des présidentielles qui opposaient Chirac à Le Pen, est magistrale). Les leaders de la classe politique algérienne, au lieu de faire dans cette logique, se rendaient plutôt à Paris ou à Bruxelles pour défendre leurs intérêts partisans, et c'est le cas de Saïd Sadi qui y avait déclaré que lors des marches à Alger, «? il y avait beaucoup plus de policiers que de manifestants». A Riad, c'était le cas de Djaballah et des responsables du MSP qui y joindront l'utile à l'agréable, puisqu'ils en revenaient avec dans leurs hottes des consignes et des pétrodollars. Face à ces agissements contraires à l'éthique politique, ne faudrait-il pas douter de cette notion de citoyenneté qu'ils charrient     ?

Au 15 avril 1999, par manque de réalisme et d'adéquation entre ses objectifs, le système éducatif et culturel continuait à se désengager de sa mission d'éduquer, d'instruire, de former et de qualifier pour s'occuper, comme d'habitude, de tâches périphériques, pour enfin se désagréger en missions improvisées, ce qui avait fini par avoir raison des généreuses ambitions qu'on lui voulait.

Entré en vitesse de croisière dès 1980 et pilotée, comme à l'accoutumée, par un personnel potentiellement générateur de frein, la machine n'avait fait que débiter ses dysfonctionnements, ses insuffisances et ses cohortes d'exclus. Conséquence, l'Algérie risquait et risque toujours de se vider de ses compétences.

L'appauvrissement du système éducatif et culturel, le dogmatisme, la rupture avec l'innovation, les mutations et l'ébullition qui animent le monde du troisième millénaire avaient conduit l'Algérie à l'enfermement intellectuel, à l'isolement socioculturel, au repli sur soi, au refuge dans des valeurs frustes et dépassées et, de fait, aux contradictions sociales qui, s'entrechoquant dans un bruit discordant, n'avaient fait que rajouter le désordre au désordre.

Au 15 avril 1999, l'école algérienne, subissant les méfaits des siens, donnait annuellement en pâture, aux injures d'un monde auquel il ne leur sera pas aisé de résister, 500.000 Algériens sans compétences générales et sans qualifications spécialisées.

Au 15 avril 1999, les actes criminels ciblaient l'esprit qui savait. On voulait étouffer la voix de l'esprit créatif. On voulait briser la plume de l'artiste. On voulait faire fuir et exiler l'écrivain. Cependant et alors qu'on s'attendait à ce que l'Algérie se vide de sa substance intelligente, la plus engagée d'entre elle ne s'était, tout de même pas, emmurée dans le silence. Elle s'était mise au service de tous ceux qui combattaient la fitna. En dépit des sombres nuages qui couvraient les cieux d'Algérie, «les créateurs algériens ont défendu le pays, chanté l'homme et sont restés attachés à la liberté» -Mohand Ou M'hand-.

Au 15 avril 1999, une sous-société d'Algériens laminés par une angoisse secrète et comme pour mieux la partager entre eux, évoluaient dans une communauté qui ressemblait étrangement à un bal masqué et où le puritanisme fleurit avec son cortège d'hypocrisie et de perversions. Ils ne discutaient pas. Ils affirmaient. Ils prophétisaient. Ils disposaient d'une arme absolue, la certitude d'avoir raison, ce qui suffisait à justifier tous leurs actes.

Au 15 avril 1999, des hordes de fanatiques, désespérément à mort, obéissaient à la déraison de l'Emir.

Au 15 avril 1999, l'Algérie était cette contrée où on ne voulait que rien ne soit réglé, mis à part le partage de la rente pétrolière, cette contrée où on voulait que le mort ait plus d'avenir que la vie. Dix années durant, elle a été ce théâtre où se jouait le face à face avec la mort. Dix années durant, elle a été ce morceau de la planète où le mauvais génie des siens, dans l'indifférence de la conscience internationale, a élaboré le terrorisme le plus concentré, le plus explosif qui lui avait ravi 200.000 des siens et qui l'avait écrasée sous le poids de 20 milliards de dollars de destruction. Dix années durant et jusqu'à la date fatidique du 11 septembre 2001, l'Algérie, dans l'incompréhension d'une communauté internationale ankylosée par l'entretien de ses intérêts et menée en bateau par les pseudo-experts de l'Internationale islamique tentait de l'endiguait en solitaire. Elle n'avait de cesse d'appeler à l'aide un Occident qui lui tournait le dos et qui conférait à des égorgeurs d'enfants le statut d'opposants.

Remarque : le soutien depuis 1990 au Fis obéissait à une logique, à une stratégie d'ensemble, devant aider l'émergence de pouvoirs vassaux de Washington en Afrique de Nord, au Proche-Orient, en Asie Mineure. On prédisait même durant la période 93-95, la chute imminente du pouvoir républicain algérien au profit d'un Etat théocratique. Cependant, la résistance citoyenne algérienne en avait décidé autrement.

Rappelons que ce même Occident avait transnationalisé le terrorisme, en tout genre, tout en l'attribuant aux Musulmans, les qualifiant de «voyous», d'égarés, pour l'ériger au rang de rapport de force. L'objectif était d'abord stratégique. Il fallait défigurer l'islam originel parce qu'il est l'islam du consensus et de le réduire à une multicouches d'islam de minorités, à un islam «affairiste». Le tout était tactique. Il s'agit, par souci d'épaissir la dépendance Sud-Nord, d'entretenir des tensions, des conflits propices au développement du complexe militaro-industriel occidental et ralentir enfin, sinon annuler les efforts de croissance de nombreux pays, en les occupant à des luttes contre ce fléau qui n'est rien d'autre que le bébé éprouvette de la CIA, du SIS britannique et de la DGSE française.

De l'Algérie, des voix s'étaient élevées, appelant assistance à un peuple en danger de disparition. A ces voix et en guise de réponse, une question leur était posée, qui tue qui ?

Au 15 avril 1999, «L'Etat était malade, malade dans son administration, malade dans ses institutions, malade des pratiques à large échelle, du passe-droit, du clientélisme, des abus de force et d'autorité, de l'inefficience et de la vanité, des privilèges inconsidérés du gaspillage et des détournements impunis des ressources collectives, de toutes les circonstances qui ont affaibli l'esprit civique et la nation, éloigné des compétences et des probités dans la gestion des affaires communes et perverti gravement le sens de l'Etat et du service public» -Président Abdelaziz Bouteflika-

L'Etat était malade parce que le régime qui l'incarnait était structuré autour de clans dont les intérêts et les pouvoirs n'étaient pas exprimés par ses représentations officielles. Par souci de perdurer, il a choisi de se nantir de gouvernements fusibles, sans prérogatives ni mission précise, de gouvernements qui feront office de pare-chocs.

Les insuffisances, qui s'étaient égrainées lors de la prise en charge du projet modernisateur de feu Boumédiène par les médiocres, avaient semé la désillusion et la frustration. Sur les dérives et les déviations s'incrustèrent alors le découragement et la déception, lesquels enfantèrent l'amertume, le dépit et même le rejet de la conscience nationale qui, sous la houlette des promoteurs du statu quo et de ceux qui en tirent des bénéfices (ceux émargeant à la classe politique qu'elle soit au pouvoir ou à celle qui lui est opposée), parmi lesquels on reconnaît des pans entiers de «politiques» simplets, des gestionnaires inspirés par leurs seuls instincts de base, des députés soutenus, dans leur narcose, par leurs matrices politiques, des walis, des Pdg, des gouverneurs de banque, le cartel financier, des directeurs, des chefs de service, des agents d'exécution et qui, profitant de l'absence, quoique momentanée, (Dieu soit loué), du chef de l'Etat, le Président Abdelaziz Bouteflika, ces rentiers du hasard refusant que soient remis en cause leurs privilèges à travers l'instauration d'un quelconque nouvel ordre de développement, ont fini par s'exprimer à travers une dynamique dévastatrice qui menace l'Algérie d'une sclérose qui risquerait de l'enfoncer inlassablement dans les profondeurs des divers classements mondiaux. D'ailleurs, le FMI et la Banque mondiale la guettent en brandissant des conditions qui ne feront qu'emprisonner ou, à la limite, qu'altérer sa souveraineté. Les multiples virages socioéconomiques entrepris pour tenter de rétablir l'équilibre qu'ils ont fragilisé en faisant dans l'innovation sans mémoire, y sont des plus capitalistiques, donc des plus aléatoires, donc des plus défaillants. Moralité, l'inflation y est galopante. La paupérisation des classes moyennes y est érigée en hygiène de vie. La croissance économique n'y arrive pas à décoller. Le taux de chômage n'y est plus maîtrisable. La structure du marché du travail y est fortement bouleversée. La fiscalité s'impose aux petites bourses et épargne les grosses fortunes. La sécurité sociale y est absente.

La couverture sanitaire n'y est pas conséquente. Le système éducatif y est des plus délétères. En prime, le cyclone de la mondialisation, non maîtrisé, y a aspiré l'ambition citoyenne, vivre et évoluer au rythme de l'international. Intrépides, ils font supporter le coût de leur gestion aux collectivités. Autrement dit, l'important est de maintenir l'équilibre de la structure des intérêts des rentiers, quand bien même il faudrait y assujettir les préoccupations de la société. Faudrait-il donc changer le système politique au pouvoir ? Oui, mais pour quel autre système ?

*Directeur de l'Education, professeur INRE, écrivain