Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Il y a cinquante ans, le tournant contre-révolutionnaire

par Nils Andersson

Les années 1980 sont la décennie lors de laquelle Ronald Reagan et Margaret Thatcher accomplissent le tournant conservateur néo-libéral d'un capitalisme débridé, amorcé dans les années 1970. La voie est ouverte à la libération du mouvement des capitaux, au libre-échange des marchandises, à l'austérité salariale, à la flexibilité du travail, à la concurrence « libre et non faussée », à la soumission de l'État aux intérêts économiques et financiers privés.

Il y aurait naïveté à croire que ce fut une mutation spontanée, une transition douce, faisant suite au compromis social qui permit, durant les «Trente glorieuses» - en tirant profit de l'exploitation coloniale des hommes et des richesses naturelles, du pillage des ressources minières et du saccage écologique -, une réduction des inégalités dans les pays développés et à faire croire que le capitalisme avait une nature sociale.

Pour imposer les théories de Hayek et les règles de l'économie de marché, il fallut, au préalable, briser les luttes de libération nationale et sociale des peuples, exterminer les forces révolutionnaires, disqualifier les idéologies de progrès par la guerre, des coups d'État, des dictatures, des massacres de populations et l'assassinat politique.

Ce travail fut mené avec une grande intensité, depuis la fin des années 1950, par les puissances impérialistes en usant de leurs moyens économiques, financiers, médiatiques et militaires, afin d'endiguer et d'écraser les mouvements de libération nationale et révolutionnaire.

LA MONTEE REVOLUTIONNAIRE

Pour comprendre ces années de confrontations intenses entre le capitalisme, l'impérialisme et les forces de libération nationale et d'émancipation sociale, il est utile de rappeler l'état du monde au sortir de la Seconde Guerre mondiale jusqu'au début des années 1960.

La victoire sur le nazisme a éveillé, dans les peuples colonisés, des aspirations à leur indépendance qui sont, implacablement, réprimées dans les Aurès en Algérie, par les bombardements de Haiphong au Vietnam, une cruelle répression à Madagascar, les massacres de Rawagede en Indonésie et de Batepá à Sao Tomé. Dans ce moment est décidée la partition de la Palestine créant une situation de conflits, de discrimination et de colonisation qui perdure jusqu'à aujourd'hui.

De simples revendications afin de limiter la spoliation dont les peuples sont l'objet par les multinationales sont inacceptables pour les puissances colonisatrices. Mossadegh qui a nationalisé le pétrole iranien est renversé par un coup d'État militaire. Il en est de même au Nicaragua où le Président Arbenz a engagé un programme de révolution agraire, la CIA organise un coup d'État pour défendre les intérêts de la United Fruit et installe, au pouvoir, une junte militaire. En Birmanie, Aung San qui a négocié avec les Britanniques l'indépendance de la Birmanie et, avec la Ligue antifasciste pour la liberté du peuple, a accédé au pouvoir, est assassiné avec six de ses ministres.

Si au Kenya, la révolte Mau Mau est écrasée, l'aspiration à l'indépendance des peuples colonisés est irréfrénable. Sous la conduite de Hô Chi Minh, après huit ans de guerre, le colonialisme français est vaincu militairement à Diên Biên Phu. En Indonésie, après quatre ans de lutte armée contre les troupes coloniales hollandaises la «revolusi», indonésienne est victorieuse, Soekarno et Mohammed Hatta proclament, en 1949, l'indépendance de l'Indonésie. La roue de l'Histoire tourne, les peuples savent qu'en consentant des sacrifices il leur est possible de se libérer du colonialisme. «Jetez la révolution dans la rue, le peuple s'en emparera», c'est la conviction qui anime ceux qui déclenchent la lutte de Libération nationale algérienne.

Menées sur les terrains militaire, politique et diplomatique, ces luttes vont changer le rapport de force, dans le monde, en faveur des mouvements d'indépendance. L'Asie joue un rôle essentiel dans le cours de la décolonisation. C'est à l'initiative de la Birmanie, de Ceylan, de l'Inde, de l'Indonésie et du Pakistan que s'organise la conférence de Bandoeng liant les luttes des peuples afro-asiatiques contre le racisme et le colonialisme. Bandoeng est l'affirmation d'un tiers-monde dont la dynamique va modifier le rapport des forces, dans la confrontation internationale. Au sein de l'ONU, les 77 font adopter, en 1960, par l'Assemblée générale, une déclaration très radicale sur l'octroi de l'indépendance aux peuples coloniaux. La résolution affirme que «la sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l'Homme et est contraire à la Charte des Nations unies?», et exige que soit «mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu'elles soient, dirigées contre les peuples dépendants?».

Les peuples colonisés s'emparent de l'Histoire. Sur le continent africain, le peuple algérien conduit sa lutte de Libération nationale sans céder à la répression ni aux manœuvres politiques. Nasser nationalise le canal de Suez, contre cette atteinte aux intérêts impérialistes, Israël, la France et le Royaume-Uni lancent une opération militaire pour prendre le contrôle du canal, victorieuse militairement, l'opération est un fiasco politique.

Sous l'impulsion de Kwame N'Krumah, un des concepteurs du panafricanisme, le Ghana est la première colonie d'Afrique noire à être, totalement indépendante. Des soulèvements indépendantistes se propagent dans les colonies françaises, au Cameroun, belges, au Congo, portugaises, en Angola.

En Guinée, Sékou Touré refuse le cadre de la Communauté française, plan néo-colonialiste proposé par De Gaulle, pour éviter la propagation des luttes de libération, dans l'Afrique subsaharienne. L'UPC, au Cameroun et le parti Sawaba au Niger, refusent également d'entrer dans la Communauté française. Pour imposer ce qui deviendra la Françafrique, avec la complicité des collaborateurs africains du néocolonialisme français, Um Nyobé et d'autres dirigeants camerounais sont assassinés, l'UPC est décimée, au Niger, une même répression éradique le parti Sawaba, majoritaire au parlement.

Au Congo, Lumumba crée le Mouvement national congolais avec comme mot d'ordre : «L'indépendance n'est pas un cadeau de la Belgique, mais bien un droit fondamental du peuple congolais». Amilcar Cabral engage, avec le Parti Africain de l'Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, la lutte armée en l'inscrivant dans un projet de libération de toute l'Afrique.

Les luttes sont, également, intenses en Asie ; les États-Unis imposent un régime autoritaire au Sud-Vietnam et interviennent, militairement, contre le Vietnam indépendant. Le Front de Libération national du Sud-Vietnam est créé pour répondre à cette agression, c'est le début de la plus importante guerre de libération de l'Histoire. En Indonésie, contre la menace d'un coup d'État, Soekarno proclame le Manipol, programme pour un socialisme à l'indonésienne, fondé sur le Nasakom, alliance des forces nationalistes, religieuses et communistes.

Des luttes armées sont menées en Birmanie où, à la suite de l'assassinat de Aung San, en 1948, elle se poursuit depuis près de soixante ans. En Malaysie il faudra douze ans pour vaincre l'Armée de libération, aux Philippines, le Front national démocratique qui s'oppose à la dictature de Marcos et de ses successeurs conclut une feuille de route vers la paix, fondée sur le respect des Conventions de Genève, processus qui sera saboté par les États-Unis. Au Kerala, un gouvernement communiste est élu. À Ceylan, Solomon Bandaraneiké, Premier ministre est assassiné, en raison de ses positions neutralistes, entre l'Est et l'Ouest.

En Amérique latine, Fidel Castro, Che Guevara et leurs compagnons débarquent à Cuba et organisent la guérilla contre le régime de Batista, d'importants médias étatsuniens en parlent, favorablement. Après deux ans de lutte armée, ils entrent dans La Havane. Castro, devenu Premier ministre, pour appliquer le programme de nationalisations et la réforme agraire, demande, une aide économique des États-Unis, qui refusent. Les entreprises étatsuniennes sont nationalisées, Nixon instaure le blocus de Cuba et Kennedy couvre l'opération de la ?Baie des Cochons' qui se transforme en une déroute pour la CIA. «La patrie ou la mort», Castro ne cède pas. En Amérique centrale et du Sud, pronunciamientos et dictatures militaires se succèdent. Pour combattre les forces réactionnaires, se créent les premiers mouvements de guérillas qui, s'inspirant de la théorie du foco, vont se développer sur tout le continent pour s'opposer aux dictatures fascistes et à la domination de Washington.

Au cœur même de l'impérialisme le mouvement des droits civiques, malgré la répression, malgré les assassinats, fait reculer l'abomination de la ségrégation raciale, les Noirs se soulèvent pour leurs droits et lient leur lutte à celle des peuples afro-asiatiques.

L'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine sont la zone des tempêtes, aux portes de l'Europe, l'Algérie, devenue indépendante, remplit un temps le rôle de plaque tournante des mouvements de libération. La question est posée de la fusion des luttes sociales ouvrières, dans les pays dits développés et des luttes nationales d'indépendance dans les pays dits sous-développés, si cette jonction se réalise, le rapport de forces peut basculer en faveur d'un monde différent.

L'impérialisme est sur la défensive, pour le capitalisme la menace est réelle, il faut, par tous les moyens, combattre les mouvements d'indépendance et révolutionnaires. La contre-révolution idéologique, politique et militaire conceptualisée depuis les années 1950, sur la base de la théorie des dominos d'endiguement du communisme et de la doctrine Eisenhower d'aide «aux régimes qui se sentiraient exposés à une agression communiste» va être portée à un degré de violence extrême contre les peuples du tiers-monde.

LA CONTRE-REVOLUTION IMPERIALISTE

En Afrique, la Belgique concède l'indépendance du Congo, mais veut conserver l'exploitation des exceptionnelles richesses du pays ; pour maintenir le Congo dans un cadre colonial, sociétés minières et puissances impérialistes organisent le démantèlement du pays. Le Katanga puis le Sud-Kasai font sécession, Lumumba en appelle à l'ONU pour défendre l'intégrité du Congo, mais instrumentalisées par les colonialistes et les multinationales, ces sécessions sont avalisées. Lumumba organise, alors, la résistance, le ministre des Affaires étrangères belge déclare que «les autorités constituées ont le devoir de mettre Lumumba hors d'état de nuire». La CIA et ses affidés congolais agissent, Lumumba est arrêté puis assassiné par des mains noires et des balles blanches. Le Congo entre dans un cycle de guerres civiles qui a fait des centaines de milliers de morts.

En Afrique du Sud, après le massacre de Sharpville, contre une ségrégation, de plus en plus, brutale, Nelson Mandela et Oliver Tambo organisent la lutte armée contre le régime d'apartheid et créent le mouvement, «Fer-de-lance de la nation» qui a pour mot d'ordre «œil pour œil, dent pour dent, vie pour vie», Mandela est arrêté sur la base d'informations des services israéliens, est condamné à la prison à perpétuité.

Pour le maintien de l'ordre colonial, les militaires français interviennent au Gabon et au Tchad. En Guinée, Jacques Foccart, l'homme de la Françafrique, organise une tentative de renverser Sékou Touré. Jouant sur les divisions communautaires, au Nigéria, la France est directement, impliquée dans la guerre et la tragédie humanitaire au Biafra, dont l'enjeu sont les ressources pétrolières, dans l'est du pays. C'est le temps de Bob Denard et de ses sinistres mercenaires au service des intérêts occidentaux et des multinationales, au Congo, en Angola puis aux Comores.

En contrepoint, les luttes de libérations en Angola, au Mozambique et en Guinée Bissau, ébranlent la dictature de Salazar ; le leader de l'opposition portugaise, Humberto Delgado, qui a ouvert la voie à la révolution des œillets, est attiré, sous le prétexte de négociations, dans un guet-apens et est assassiné. Mais, le colonialisme portugais, à bout de souffle, l'indépendance des colonies portugaises se profile sans qu'il soit mis fin à son œuvre meurtrière ; six mois avant l'indépendance de la Guinée Bissau et du Cap-Vert, Amilcar Cabral, l'un des plus grands dirigeants révolutionnaires de la décolonisation, est comme Lumumba assassiné par des mains noires agissant pour l'impérialisme. Le fascisme et le colonialisme portugais n'en sont pas moins condamnés.

En Asie, c'est l'escalade. Au Vietnam, le Nord et le Sud sont soumis à des bombardements d'une rare intensité, les États-Unis ont recours au napalm et à l'agent orange ; la guerre s'étend au Laos et au Cambodge, mais c'est ignorer la capacité de lutte et de résistance de ces peuples qui va leur permettre de vaincre la plus grande puissance économique et militaire du monde.

Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien perdure, le Fatah mène des opérations contre ce crime humanitaire que constitue le pompage des eaux du Jourdain par Israël et le FPLP intensifie la lutte armée contre Israël. La résistance des Palestiniens doit être brisée, c'est l'opération ?Septembre noir' pour exterminer sa résistance, massacres qui seront suivis par ceux de Sabra et Chatila et de Gaza. Le Yémen se divise entre Yémen du Sud, panarabiste, et le Yémen du Nord pro féodalités arabes ; domaine colonial réservé de la Grande-Bretagne, domaine réservé, Londres intervient, militairement, contre le Yémen du Sud.

En Amérique centrale et du Sud, les propos lénifiants sur la «coexistence pacifique» sont démentis, la CIA organise des coups d'État, installe et consolide des dictatures. Au Mexique, à la veille des Jeux olympiques, le gouvernement tire sur les étudiants, des révoltes paysannes sont implacablement, réprimées en Bolivie. La mort de Che Guevara ne signifie pas la fin de la guérilla contre la dictature, elle se poursuit en Colombie, au Venezuela, au Brésil, en Équateur puis s'organise en Uruguay, en Argentine, au Salvador et au Honduras. La répression est implacable avec le recours, comme en Algérie, aux méthodes de la guerre contre-révolutionnaire, conçues dans l'école de guerre française selon le triptyque : torture, action psychologique, retournement.

Même la théologie de la libération préconisée dans l'église est inacceptable pour l'impérialisme : l'un de ses défenseurs, l'archevêque de Salvador, Oscar Romero, est assassiné. Les États-Unis interviennent directement, en République dominicaine et au Guatemala, contre des soulèvements populaires et mènent dans les Amériques centrales et latines l'opération ?Condor'. C'est dans le cadre de cette opération qu'au Brésil, un coup d'État instaure la dictature des colonels et que Joao Goulart est renversé puis assassiné, en exil, et que sont organisés et financés les «contras» au Nicaragua contre le gouvernement sandiniste et mené le coup d'État au Chili, contre Salvador Allende, installant Pinochet au pouvoir.

Au cœur même de l'impérialisme, aux États-Unis, les assassinats de Malcom X, qui appelle pour défendre les droits civiques, à lutter «par tous les moyens nécessaires» et de Martin Luther King, préconisant la voie pacifique, sont la démonstration que tout mouvement d'émancipation et de libération quel qu'il soit, est à anéantir, afin de sauvegarder les intérêts impérialistes.

Pour renforcer les forces révolutionnaires est créée la Tricontinentale qui élargit le front afro-asiatique à l'Amérique latine. La première conférence de la Tricontinentale réunit, à La Havane, en 1966, des représentants des gouvernements, mouvements révolutionnaires et de libération nationale de 82 pays, il y est affirmé que la coexistence pacifique ne doit empêcher ni la lutte anticolonialiste ni la lutte des classes. Mais, avant même la tenue de la Conférence de La Havane, en 1965, Mehdi Ben Barka qui œuvre à fédérer la Tricontinentale est assassiné.

Cette même année 1965, en Indonésie, dans le cadre de sa politique d'indépendance, Soekarno décide de prendre possession de toutes les sociétés pétrolières étrangères ; en rétorsion, le FMI retire son aide économique. Soekarno ne cède pas et se place fermement, dans le camp de l'anti-impérialisme. L'Indonésie s'opposant à ce que la Malaisie, qualifiée de néocolonialiste, soit au Conseil de sécurité, se retire de l'ONU. Neuf mois plus tard, la CIA organise un coup d'État, lors duquel 500.000 Indonésiens, essentiellement communistes ou accusés de l'être, sont assassinés et plus de 600.000 personnes sont arrêtées. Dans un pays qui a ouvert la voie aux luttes d'indépendance et qui fut au fondement du mouvement de Bandoeng, un pouvoir militaire est mis en place, toute opposition à l'impérialisme est éradiquée, un ordre de fer règne en Indonésie, sous la chape de Suharto. Le camp des Non alignés est durement affaibli, le rapport des forces révolutionnaires avec l'impérialisme s'en trouve, profondément, modifié. Même si d'importantes luttes sont encore menées on peut considérer le coup d'État en Indonésie comme un acte déterminant dans l'affaiblissement du camp anti-impérialiste.

Dans ce contexte, le positionnement du Vietnam et de Cuba, deux expressions fortes du courant révolutionnaire, jouissant d'un grand prestige mobilisateur, revêt, également, une grande importance. Le Vietnam a conduit à la victoire sa lutte de libération nationale, démontrant la possibilité de vaincre l'impérialisme, si puissant soit-il. Cuba, en lançant le mot d'ordre de Guevara, «un, deux, trois Vietnam !», se situe clairement dans le camp des luttes révolutionnaires. Mais les guerres et la répression impérialistes, les politiques néo-coloniales, les assassinats politiques affaiblissent l'intensité du mouvement révolutionnaire, dans le monde, cette situation amène le Vietnam à renforcer sa neutralité sur la question de la coexistence pacifique et Cuba, confronté à des réalités géopolitiques et économiques, en conséquence du blocus de l'île, à infléchir sa position.

L'ALLIANCE MANQUEE ENTRE MOUVEMENTS DE LIBERATION ET MOUVEMENT OUVRIER EN EUROPE

Quatre victoires révolutionnaires des peuples, celle de l'Algérie sur le système colonial français, du Vietnam sur la plus grande puissance militaire dans le monde, de Cuba, résistant aux difficultés imposées par le blocus des États-Unis puis de l'Afrique du Sud qui va se libérer de l'apartheid, vont masquer le fait que la contre-révolution impérialiste a réussi à endiguer l'impétuosité du mouvement de libération nationale et révolutionnaire et que les conditions sont, dès lors, remplies pour imposer au monde l'idéologie néo-libérale.

Pierre Grosser en fait le constat : «c'est en étudiant l'année 1989 que j'ai compris que le tiers-monde avait été vaincu, avant l'Union soviétique». Défaite qui n'aurait pas été possible sans les guerres, répressions et massacres perpétrés dans le tiers-monde et sans l'élimination de ses dirigeants par l'impérialisme. Défaite qui n'aurait pas été possible sans les politiques néo-coloniales et l'imposition des règles économiques du FMI qui ont accompagné la répression.

Force est de constater que dans les luttes révolutionnaires et d'émancipation, après 1945, il y a un absent, la gauche et les forces révolutionnaires en Europe. Le fascisme est toujours présent sur le continent ou de retour, en Espagne, au Portugal, en Grèce ; mais alors qu'avec l'accession à l'indépendance de plusieurs pays africains et asiatiques, il y avait nécessité de rechercher une plate-forme stratégique commune avec les mouvements de libération nationale, le manque de solidarité, d'internationalisme de la gauche européenne, plus encore des compromissions avec les politiques impérialistes et coloniales ont influé sur le cours de l'Histoire. Comment était-il possible de briser les intérêts impérialistes, pour un autre monde, sans que soit, également, engagé un processus de transformation révolutionnaire en Europe même, au cœur du système ?

Un facteur important de cette désaffection : nous sommes dans les «Trente glorieuses» et la classe ouvrière européenne est, plus ou moins, bénéficiaire du développement économique qui résulte de l'exploitation coloniale des autres continents.

Lors d'un colloque, au début des années 1960, une voix africaine déclare : «Une des conséquences les plus caractéristiques de l'exploitation coloniale est l'aliénation qui amène les masses européennes à ne plus voir leurs propres intérêts.»

En écho, une autre voix précisait qu'une des causes de la division des exploités et que : «la tension révolutionnaire décroît lorsque l'opprimé, la classe ouvrière européenne, a au-dessous de lui, quelqu'un à opprimer, les peuples colonisés.»

La gauche européenne, ses dirigeants, n'ont pas compris la véritable importance des révolutions dans le «Tiers monde», ils ont considéré les mouvements de libération nationale comme un fait particulier, n'ayant pas le caractère de classe, requis dans le processus révolutionnaire mondial. Une conséquence majeure d'un tiers monde vaincu a été de créer les conditions de l'hégémonie du néo-libéralisme économique et, effet collatéral dû à l'inintelligibilité du cours de l'Histoire, par la gauche européenne, l'affaiblissement dans lequel elle est, aujourd'hui.

Ce rappel ne répond pas aux questions que nous avons à résoudre, mais cela doit nous convaincre, s'il en est besoin, de la violence inhérente au système capitaliste. Il est évident que, dans les faits évoqués, l'hétérogénéité des mouvements et luttes anti-impérialistes (ce qui les a amenés, parfois, à s'opposer) est escamotée, mais les impérialistes les ont combattus, dans toutes leurs composantes, avec la même violence et intensité, par la guerre, les coups d'État, les massacres de masse, les assassinats ciblés1 ou la corruption.

Ces leçons tragiques de l'histoire, ne sont pas la fin de l'Histoire, le cours de l'émancipation humaine peut connaître de longs temps de revers, mais, aussi puissantes soient les forces qui s'y opposent, il ne peut être arrêté.

1- Plus d'une dizaine de dirigeants ou responsables de mouvements indépendantistes ou antifascistes d'Algérie, du Maroc, de Palestine, d'Afrique du Sud, du Tchad, d'Argentine ou internationalistes ont été assassinés en France.