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Présidentielle : Les Tunisiens partagés, les islamistes en arbitre

par Yazid Alilat



Les Tunisiens ont voté hier pour élire leur premier président, un exercice électoral dont ils ont été les héros lors des législatives du mois d'octobre.

L'élection du premier président élu tunisien post-Benali a en fait capté l'attention des observateurs politiques et des pays occidentaux. La Tunisie, avec ses 5,3 millions d'électeurs pour cette élection, est en train de confirmer qu'elle a mis en place une solide démocratie. Même si l'abstention sera cette fois-ci encore importante, ce sont les voix de ces 5,3 millions que 27 candidats briguent. Pour autant, deux grands favoris émergent du lot, à savoir l'actuel président qui assure la transition depuis 2011, Moncef Merzouki, et le vieux ?'BCE'' (Beji Caïd Essebsi, 87 ans), un ancien cacique du pouvoir qui a traversé les gouvernements de Bourguiba et de Benali. Cette présidentielle sur laquelle les Tunisiens placent beaucoup d'espoirs quant à une stabilisation des institutions et une relance économique qui signifierait plus d'investissements créateurs d'emploi, met en course tous les courants politiques, de droite, de la gauche, mais pas les islamistes d'Ennahda, première force politique de Tunisie qui a préféré jouer la cooptation. Merzouki ou BCE? Les analystes divergent sur le candidat de la formation de Ghannouchi, qui n'a pas d'ailleurs donné de consignes de vote, même si on lui prête l'intention de ?'donner un coup de main'' au vieux ?'BCE'', qui a créé son parti, Nida Tounès, et qui est soutenu par les jeunes tunisiens en lequel ils voient le candidat idéal du changement.

Après avoir voté, Rached Ghannouchi, l'ancien opposant à Bourguiba et Benali, à la tête du parti Ennahda, a eu ces mots pour cristalliser le changement politique dans le pays: «la démocratie en Tunisie sera de nouveau couronnée, aujourd'hui, par l'élection présidentielle. Qui sera le prochain président élu ne nous intéresse pas autant que le déroulement de l'opération électorale en toute transparence ». Pour autant, si Ennahda n'a pas de candidat, il reste que cette formation proche des Frères musulmans attendra le second tour pour prendre position. C'est ce qu'a d'ailleurs affirmé le N°2 du parti, Ali Laarayedh, qui a abandonné le poste de chef de gouvernement à Mehdi Jooma pour mettre fin à la crise politique en Tunisie et ouvrir la voie aux élections législatives, puis à cette élection présidentielle. Ennahda «examinera les résultats du premier tour et se concertera avec ses institutions pour prendre la décision finale», a-t-il précisé à l'école Khaznadar où il a voté. A l'opposé, le président provisoire Moncef Merzouki qui se présente en tant qu' «indépendant» peut compter sur la gauche tunisienne pour passer ce tour, avec un slogan original: «on gagne ou on gagne». Il doit surtout compter sur les voix de petites formations de gauche, dont «El Bina El Watani» ou le mouvement «Wafa».

Les opérations de vote se sont terminées à 17 heures locales, alors que des réclamations et des cas de fraude ont été signalés dans plusieurs bureaux, notamment dans à Tunis.

L'INCONNUE ISLAMISTE

Mais, si l'affluence a été plus ou moins importante selon les bureaux de vote, l'ambiance était calme hier dans les grandes villes de Tunisie où chacun retenait son souffle pour savoir qui des candidats ayant « fricoté » avec les anciens régimes de Benali et Bourguiba sortira vainqueur. Pour autant, avec un nombre important de candidats et un électorat qui devrait faire de l'abstention une autre arme du refus du fait accompli, il y aura fatalement un second tour, puisqu'aucun des candidats en lice, ainsi que les deux grands favoris, ne pourra avoir la majorité. C'est ce moment-là qu'attend le parti Ennahda, celui de Rached El-Ghannouchi, pour entrer en action et soutenir l'un des deux candidats qui franchiront le premier tour, très probablement Merzouki et Caïd Essebsi, celui qui se prévaut du « bourguibisme ». Car c'est à partir de l'alliance que nouera Ennahda que devra sortir le prochain président tunisien. Et, cette fois-ci, il n'y aura pas de surprise, comme cela avait été le cas pour les législatives, les islamistes (modérés) d'Ennahda devant annoncer publiquement leurs alliances lors du second tour. Mais, pour le moment, les Tunisiens veulent savourer une victoire de la démocratie avec un bon déroulement de cette élection présidentielle qui met définitivement un terme à plus de 20 ans de règne sans partage de Zine El Abidine Benali qui avait évincé du pouvoir le père de l'indépendance tunisienne, Habib Bourguiba qui, lui aussi, avait refusé de «passer la main».