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D'un scandale l'autre, la tempête Libor menace les banques

par Said Mekki

Des grandes banques européennes et américaines sont impliquées dans un grand scandale, le Liborgate. Des manipulations qui font scandale et qui accentuent les doutes sur le caractère totalement illusoire de l'autorégulation des banques. Retour sur une affaire qui ébranle la planète finance.

Les politiques occidentaux ont beau éviter de relancer le serpent de mer, le renforcement de la régulation du système bancaire s'impose plus que jamais comme une nécessité implacable. Le dernier scandale qui a éclaté fin juin à Londres se propage à toute la planète finance et concerne cette fois une véritable institution du marché, le Libor (acronyme de London Interbank Offered Rate) dénomination, vieille de plusieurs décennies, d'un indice de référence très usité et donc bien connu de tous les acteurs du marché international des capitaux. Il s'agit du taux moyen auquel un échantillon de grandes banques établies dans la capitale britannique est susceptible de prêter à d'autres banques. Il est publié tous les matins à Londres à 11 heures par la British Banker's Association (BBA), à partir d'un sondage réalisé auprès d'un panel de 18 établissements financiers.

Or ce taux qui fournit l'indication essentielle du prix auquel les banques se prêtent de l'argent a été manipulé par des banques et des opérateurs de salles des marchés en Grande-Bretagne entre 2005 et 2009 causant un important préjudice à de très nombreuses entreprises. Certaines banques d'affaires ont préféré manipuler artificiellement le Libor pour augmenter leur rentabilité sur les activités de produits dérivés au détriment de leurs clientèles. Les échanges de courriers électroniques entre traders ne souffrent d'aucune ambiguïté et montrent une organisation rodée des manipulations sur un indice central des transactions financières globales.

DES DEDOMMAGEMENTS ATTENDUS DE PLUS DE 100 MILLIARDS DE DOLLARS !

L'ampleur du scandale est immense et ses répercussions énormes mais difficiles à quantifier. Le Libor est, en effet non seulement utilisé pour définir les taux de crédits entre banques et ceux accordés aux entreprises mais il constitue la base de référence pour les centaines de milliards d'euros de produits dérivés qui s'échangent annuellement sur les marchés mondiaux. Selon des sources bancaires, les dédommagements attendus des banques impliquées dans cette affaire pourrait dépasser cent milliards de dollars.La Barclays dont des traders seraient à l'origine de l'affaire a été la première à en subir les contrecoups, trois de ses principaux dirigeants, dont le tristement célèbre directeur-général Bob Diamond, ont été débarqués sans ménagement au début du mois de juillet dernier. La banque a dû s'acquitter d'une amende de 362 millions d'euros pour mettre fin aux poursuites dont elle était l'objet de la part de la Banque d'Angleterre. Mais le scandale est loin d'être confiné à la seule banque londonienne, une vingtaine des plus grandes banques internationales, HSBC, Société générale, UBS, Crédit suisse, Royal Bank of Scotland, JPMorgan et Citigroup seraient actuellement auditées au titre de cette affaire. Aux Etats-Unis, une quinzaine de banques sont citées à comparaître devant des juridictions de New York et du Connecticut.

EMBARRAS DES AUTORITES FINANCIERES

L'affaire embarrasse au plus haut point les autorités financières des pays concernés, la Grande-Bretagne au premier chef, le Liborgate survient après le scandale des subprimes, la faillite douteuse de LehmanBrothers, le rôle de Goldman Sachs dans la crise grecque, le blanchiment opéré par HSBC. La Banque d'Angleterre est ouvertement critiquée en raison de ses connivences supposées avec la direction de Barclays. La vieille dame de Threadneedle Street est soupçonnée d'avoir couvert la manipulation des taux, malgré plusieurs alertes, émanant notamment de Tim Geithner, alors qu'il présidait la Federal Reserve de New York en 2008. Et une autre au moins de la BRI, la banque des règlements internationaux, qui,à la même époque, soulignait dans un document officiel les risques inhérents au mode de fixation du Libor, fondé uniquement sur des déclarations des banques.

RAPPORT SUR LA SEPARATION BANCAIRE

C'est dans ce contexte qu'est publié le rapport du gouverneur de la Banque de Finlande Erkki Liikanen sur la séparation bancaire. Le banquier finlandais a présidé un groupe de travail sur la séparation des activités des banques européennes en Europe dont les conclusions ont été diffusées le 2 octobre dernier. Le rapport commandé par la Commission Européenne préconise notamment d'instaurer une séparation légale entre les activités classiques des banques - le financement de l'économieréelle - et les activités de banque d'affaire, notamment les activités de trading à haut risque et en particulier les activités pour compte propre sur les titres et produits dérivés et certaines autres activités étroitement liées aux marchés de titres et dérivés.

 Pour certains spécialistes les préconisations d'Erkki Liikanen représentent une voie médiane par rapport aux dispositions de la règlementation Volcker aux Etats-Unis, qui prévoit d'interdire aux banques de spéculer sur les marchés pour leur propre compte, et au rapport Vickers au Royaume-Uni, qui vise à séparer clairement les activités de banque de détail. Mais les recommandations du gouverneur finlandais ne règlent pas le problème du conflit d'intérêts qui existe souvent entre l'activité de dépôt et l'activité de marché au sein d'une même banque et dont le Liborgate est une illustration particulièrement éloquente. Le chemin est encore long vers une supervision effective d'un secteur bancaire dont l'autorégulation proclamée s'est révélée, pour le moins, peu probante.