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Alger, Washington et l'inconnue d'Ansar Eddine

par Kader Hannachi

La chef de la diplomatie américaine Hillary Clinton sera à Alger le 30 octobre prochain. Sa visite dans notre pays sera la deuxième après celle qu'elle a effectuée en février dernier. Néanmoins, elle sera différente de la précédente pour au moins deux raisons : la première, de pure forme, est que Mme Clinton, contrairement aux autres fois, ne vient pas en Algérie comme au Maghreb. Son escale algérienne, cette fois, sera l'unique de la sous-région pour un parcours et un agenda qui la conduiront aux Balkans. La deuxième, de contenu, est que la secrétaire d'Etat américaine vient en Algérie à un moment où le curseur de ses relations bilatérales avec les puissances occidentales indique une nette amélioration avec les Etats-Unis.

Entre Alger et Washington, a déclaré récemment Abdelkader Messahel à son retour d'un périple américain qu'il a consacré à la première session du «dialogue stratégique» entre les deux capitales, c'est le temps d'un «nouvel élan» dans leurs relations politiques et économiques et celui des «approches fédérées» en ce qui concerne les solutions à trouver à l'épineux dossier malien et le soutien que les Américains leur apportent. Le ministre chargé des Affaires maghrébines et africaines a sans doute raison d'avoir de telles affirmations : depuis l'époque de l'administration du président Bill Clinton et de l'initiative Eizenstat, aujourd'hui oubliée mais fondatrice, jamais la relation algéro-américaine n'a suscité chez les officiels des deux pays autant d'enthousiasme ni autant de déclarations sur la nécessité à la fortifier en la sortant de l'unique créneau pétrolier et en l'appuyant sur l'économique et le sécuritaire, dossier pour lequel Washington, c'est une évidence depuis «11 septembre» 2001, considère Alger comme un partenaire clé dans le renseignement pour la lutte contre le djihadisme et le terrorisme labellisé «Al-Qaïda».

Pour autant, rien n'est définitivement acquis. Si Mme Clinton a déclaré qu'elle quittera son poste en janvier 2013, rien n'indique que l'administration Obama restera à la Maison Blanche et que le républicain Mitt Romney, en cas de victoire, poursuivra le même rapprochement avec l'Algérie même si la politique étrangère américaine à l'égard du Maghreb se décline en doctrine qu'en nuances personnelles ou de courants politiques. Il reste alors de tenter de comprendre ce que les «approches fédérées» dont parle le ministre Messahel veulent dire. Depuis la résolution onusienne 2071 qui ouvre la voie à une intervention armée dans le nord du Mali, Washington, contrairement à Paris, n'a pas cessé de déclarer qu'elle soutient l'option algérienne de privilégier une issue par la négociation avec les différents acteurs touaregs avant le recours à la force contre les groupes terroristes d'Aqmi et du Mujao. Sa position n'a, semble-t-il, pas encore changé comme n'a pas été pour l'instant modifié son soutien à la volonté algérienne d'impliquer les «pays du champ» (Algérie, Mauritanie, Niger) pour inclure dans le processus de dialogue entre Bamako et les rebelles indépendantistes touaregs toutes les factions y compris le versant islamiste ou intégriste de celles-ci incarné par Ansar Eddine.

Les Américains, en effet, restent très soucieux à ce que le conflit malien se règle vite à Bamako. Ils comptent sur les «pays du champ» et sur l'Algérie en particulier pour encourager les parties antagonistes, c'est-à-dire le gouvernement provisoire malien et les factions touarègues, à se parler, pour que le premier reconnaisse aux deuxièmes des droits en fonction de leur identité et de leur ambition à développer leurs régions oubliées et livrées aux islamo-gangsters et pour que les deuxièmes enterrent leurs ambitions de se constituer en territoires souverains amputés du Mali. Leur objectif, qui conforte celui des Algériens, est de dissocier les Touaregs des groupes d'Aqmi et du Mujao afin d'isoler ces derniers pour mieux les neutraliser et éviter à ce qu'ils trouvent des soutiens encore plus complexes à gérer que ceux auxquels on assiste depuis le début de la crise.

Le problème est que le temps court vite et qu'on ne sait pas encore si Alger réussit à convaincre les surprenants Touaregs islamistes d'Ansar Eddine que Paris considère comme un groupe terroriste et veut abattre au bénéfice d'un groupe qui lui est plus proche, le MNLA soupçonné de servir les seuls intérêts de la France. Or, au fur et à mesure que le temps passe et que le vote d'une nouvelle résolution par le Conseil de sécurité approche, la position algérienne aura du mal à résister. Washington, qui n'a pas encore digéré l'attaque de sa représentation consulaire à Benghazi et l'attentat qui a coûté la vie à son ambassadeur, risque en cas d'échec algérien d'opter pour l'option armée et de faire pression sur Alger sans attendre que le groupe d'Iyad Ag Ghali montre «patte blanche» ou qu'il réussisse à s'entendre avec son rival MNLA avec qui il est, dit-on, en «discussions» pour un accord. Dans ce cas, tout le dispositif déployé par notre diplomatie d'éviter une guerre à ses frontières sud risque de s'effondrer. D'où l'importance de la visite de Mme Clinton.