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M’Hamed El Anka, le maître de la chanson chaâbie

par Mohamed Benrebiai

Il y a trente-deux ans disparaissait Hadj M’Hamed El Anka, le grand maître de la chanson chaâbi. De son vrai nom Aït Ouarab Mohamed Idir Halo, Hadj M’Hamed El Anka naquit le 20 mai 1907 à Alger. Son oncle maternel remplaçant son père Mohamed Ben hadj Saïd, souffrant ce jour-là, pour l’inscrire à la mairie, a répondu «Khalou» («Ana Khalou») au préposé du guichet qui cherchait à compléter le nom du petit. Ainsi, Khalou fut traduit par «Halo» et c’est ainsi que le préposé inscrivit «Halo». Il devient alors Halo Mohamed Idir.

Après avoir fréquenté, à la Casbah, l’école coranique de la rue Gariba (1912-1914), il entra à l’école primaire où il eut comme maître Brahim Fatah qui lui enseigna le français (1914-1917). Puis son oncle maternel et sa grand-mère l’inscrivirent dans une école à Bouzaréah où ils demeurent. Après deux années, il dut interrompre ses études pour aider à subvenir aux besoins de sa famille. Son attirance pour la musique populaire fut très précoce. Dès l’âge de neuf ans, il se ‘’débrouillait» pour assister aux veillées musicales organisées à l’occasion de fêtes dans la Casbah.

C’est durant le mois du Ramadhan de l’année 1918 que sera tracé son futur chemin. Il amenait quotidiennement à son oncle maternel, qui travaillait comme gardien au port, son ftour. Dans le cours du trajet qu’il devait emprunter, se trouvait le café de la Gare, tenu alors par Rabah Charbonnier, où, pendant tout le mois, le maître incontesté alors de la musique populaire Cheikh Mustapha Nador (de son vrai nom Mustapha Saidji - 1874-1926) animait des soirées.

 Le jeune M’hamed, attiré par la musique s’attardait, le soir, à l’extérieur du café pour écouter tout en tambourinant sur la table. Un jour, le patron, attendri par cette scène, le fit entrer dans la salle où, raconte-t-on, Cheikh Nador lui avait, une fois, remis entre les mains un tambourin. Après un certain temps passé chez Kehioudji, demi-frère de Hadj Mrizek qui l’a reçu en qualité de musicien à plein temps au sein de l’orchestre qui animait les cérémonies de henné, réservées généralement aux artistes débutants, Si Saïd Larbi, musicien et figure respectable de la Casbah, l’introduira dans l’orchestre de Cheikh Nador. La réticence montrée, au départ, par ce dernier, s’estompera au fil du temps, face à la grande persévérance et les qualités indéniables montrées par le jeune musicien en devenir.

Après le décès de cheikh Nador au mois de mai 1926 à Cherchell, où ce dernier venait juste de s’installer, El Anka prit son relais dans l’animation des fêtes familiales. L’orchestre était constitué, entre autres, de Si Saïd Larbi (Birou Saïd), Omar Bébéo (Slimane Allane) et Mustapha Oulid El Meddah. La veuve de Cheikh Nador lui remettra généreusement, à sa demande, le diwan de son défunt mari. Hadj M’hamed El-Anka va parfaire sa formation musicale auprès de Cheikh Saïdi (de son vrai nom Reghaï Abderrahmane). « Je recevais de lui, confiait-il, des leçons dans le domaine du chant populaire. Il m’orienta ensuite vers le conservatoire de Sidi Abderrahmane et-Thaâlibi où professait Sid Ali Oulid Lakehal. Un conservatoire que je fréquenterai utilement de 1927 à 1937 «. Il profitera également des connaissances, concernant notamment les grands poètes algériens, d’un des plus brillants érudits d’Alger, Sid Ahmed Ben Zekri, proviseur du lycée franco-musulman.

A la mort, en 1931, du cheikh Abderrahmane Saïdi, El Anka se retrouvait seul dans le genre musical populaire répandu alors dans la casbah (mdih).

Le chaâbi, sous sa forme actuelle, est l’œuvre de Hadj M’hamed El Anka. Il est le créateur incontestable de ce genre particulier de musique populaire. EI-Hadj El-Anka introduit, dans une musique réputée mono vocale, un jeu instrumental plus ardent, dépouillé de sa nonchalance. Sa manière de mettre la mélodie au service du verbe était tout simplement unique. Il avait, soulignait Bachir Hadj Ali, « intégré dans le tissu mélodique des qaçaïd, des thèmes parfois étrangers et, dans le rythme, des figures nouvelles, sans que l’allure algérienne, ou plutôt maghrébine, en soit fondamentalement affectée».

De l’école El Kamendja rue du Lézard à la Casbah, en 1938, au Conservatoire central d’Alger, après l’indépendance, El Anka formera des disciples à qui il lèguera un très riche patrimoine. Depuis les plus anciens, Boudjemâa El Ankis, Hassan Saïd, Amar Lachab, Rachid Souki, Rahma Boualem aux Mehdi Tamache, le défunt Kaouane, Dahmane El Kobi, Chercham, Bourdib, H’cissen, Ferdjallah et tant d’autres.

En 1966, lors de la célébration d’une circoncision, El Hadj M’hamed El Anka, qui animait la fête, rencontra Kateb Yacine qui l’avait un jour qualifié d’Himalaya. Ils se congratulèrent chaleureusement et le cheikh lui demanda qu’est-ce qu’il avait écrit récemment. Kateb Yacine lui répondit humblement qu’il était justement venu chercher l’inspiration en l’écoutant.

Le grand maître mourut le 23 novembre 1978 à Alger, et fut enterré au cimetière d’El-Kettar après des obsèques mémorables. Des dizaines de milliers de personnes lui rendirent un dernier hommage.