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Fin de partie à Dubaï

par Akram Belkaïd, Paris

C’est un texto qui a fait le tour de Dubaï et du Golfe. La tour Burj Khalifa (ex-Burj Dubaï) ne serait qu’un immense doigt d’honneur adressé à la presse occidentale qui n’a de cesse de dénigrer l’Emirat depuis plusieurs mois...
 De fait, de l’avis de tous ceux qui ont couvert l’événement, CNN en tête, l’impressionnant feu d’artifice qui a accompagné l’inauguration officielle du gratte-ciel a été une véritable réussite. Le spectacle pyrotechnique, avec ses centaines d’étoiles lumineuses et multicolores, a ainsi redonné du baume au coeur aux habitants de la cité-Etat quelque peu déprimés par ses déconvenues financières à répétition.
 Avec 828 mètres de hauteur - un record mondial qui détrône les 512 mètres de la tour Taipei 101 à Taïwan -, le Burj va désormais être l’emblème de Dubaï, voire des Emirats Arabes Unis (EAU), et il drainera certainement à terme des millions de touristes.

La fête est finie

 Pour autant, il faut tout de même convenir que cette inauguration avait aussi l’allure d’un dernier baroud, un peu comme si elle venait clore un long chapitre de l’histoire de Dubaï. Un chapitre fait de boom économique et démographique sans précédent dans la région du Golfe et peut-être même dans le monde arabe. Un chapitre glorieux qui a vu naître des centaines de projets hôteliers, touristiques, immobiliers et commerciaux marqués par l’extravagance, la démesure et, souvent aussi, par le mauvais goût et l’ostentation, ce qui dans la presse anglo-saxonne a régulièrement valu à l’Emirat le surnom peu glorieux d’«Al Bling-Bling»...
 C’est un fait, l’inauguration du plus haut gratte-ciel du monde (1,5 milliard de dollars ont été déboursés pour sa construction) marque plus la fin d’une époque plutôt qu’il n’en annonce une nouvelle. Alors même que l’on se demande si les 1.044 appartements du Burj Khalifa vont tous trouver preneur, de nombreux chantiers immobiliers sont à l’arrêt tout autour du gratte-ciel. Et faute de liquidités et de clients, ces derniers ne sont pas près de redémarrer.
 Pour mémoire, il faut se souvenir que dans le projet initial, le Burj devait être entouré d’une «forêt» d’autres tours de plus petite taille. Las, le Burj Khalifa risque fort de trôner seul au milieu d’un vaste no man’s land fait de terrains vagues sablonneux et de constructions modestes plus ou moins achevées.
 Dans le même temps, les autres grands projets de Dubaï sont eux aussi en voie d’être redimensionnés à la baisse. Les projets d’îles artificielles en forme de mappemonde ou de palmier, ceux d’hôtels sous-marins ou de centre commercial géant ne sont certes pas officiellement abandonnés, mais l’on se demande bien comment et par qui ils vont être financés.

Retour au réel

 Car la situation de Dubaï reste préoccupante. Avec 100 milliards de dollars de dettes, l’Emirat n’est toujours pas sorti de la zone rouge et le fait que le Burj porte désormais le nom du Cheikh Khalifa bin Zayed al-Nahyan, qui est à la fois le président de la fédération des Emirats Arabes Unis mais aussi, et surtout, l’Emir d’Abou Dhabi, est loin d’être neutre. Pour sortir définitivement la tête de l’eau, Dubaï a en effet besoin de l’aide de son riche et puissant voisin, lequel lui a déjà avancé près de 25 milliards de dollars depuis deux ans.
 Officiellement, cette aide s’est faite sans aucune contrepartie, mais rares sont les experts qui acceptent cette version. A ce sujet, si, de par son nom, le Burj Khalifa est symboliquement la propriété d’Abou Dhabi, il est vraisemblable que d’autres pépites économiques de Dubaï passeront tôt ou tard sous le contrôle réel de la capitale des EAU.