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Allemagne : la mondialisation contre l’Europe

par Akram Belkaïd, Paris

Quand la mondialisation éternue, c’est la machine économique allemande qui s’enrhume. Nombre d’experts sont en effet catégoriques : l’année 2009 risque d’être terrible pour l’Allemagne qui devrait perdre son titre de champion du monde des exportateurs au profit de la Chine. En 2008, les exportateurs germaniques avaient pourtant vendu à l’extérieur de leurs frontières pour plus de 1000 milliards d’euros de biens soit l’équivalent de 40% du PIB. C’est ce montant colossal qui devrait baisser de 10% cette année en raison notamment du tassement de la demande en provenance des pays émergents.

 

Panne du « made in Germany »
 


C’est un fait bien connu. De tous les pays de l’Union européenne, zone euro comprise, l’Allemagne est celui qui a le mieux profité de la mondialisation. Ses équipements lourds, ses machines, ses systèmes industriels, ont accompagné le formidable essor des fameux BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) sans oublier celui des tigres asiatiques. De fait, toutes les économies émergentes ont fait appel, à un moment ou un autre, au fameux « made in Germany » quel que soit le prix et, surtout, quelle que soit la concurrence, fût-elle américaine, suédoise ou même française.

Bien avant la chute du mur de Berlin ou même, plus tôt encore, avant l’ouverture chinoise, les PME allemandes avaient toujours réussi à se placer sur les marchés difficiles d’accès ou en pleine mutation. L’envers du décor réside bien entendu dans le fait que l’insolente santé des exportations germaniques ne peut que s’étioler quand le monde entier entre en récession. Une récession dont on commence d’ailleurs à se demander si elle n’aura pas la forme d’un L, c’est-à-dire une stagnation du PIB avec, à la clé, une déflation. Déjà, les commandes de machines-outils allemandes ont chuté de 40% au dernier trimestre 2008 et près de 25.000 emplois sont menacés pour ce seul secteur hautement exportateur.

 

Des exportations aux dépens des voisins
 


Sans remettre en cause le dynamisme du commerce extérieur allemand, il faut néanmoins s’atteler à un examen plus fin de sa structuration. Le patronat germanique a su, dès 1992, s’adapter complètement au redémarrage de la mondialisation après la chute du rideau de fer. Il a su corriger sa vision du monde en adoptant un esprit système qui l’a conduit à répartir de manière fine ses délocalisations et à toujours chercher les sources d’approvisionnement les moins onéreuses.

En réalité, l’Allemagne n’était pas la championne du monde des exportations mais celle des réexportations. Nombre de ses biens d’équipements vendus à travers le monde avec le label « made in Germany » n’avaient en fait d’allemand que l’assemblage final, et encore ! C’est donc dans sa capacité à toujours faire évoluer la chaîne de valeur que « Deutschland AG » a pu ravir au Japon la place de numéro un mondial des exportateurs et résister aussi longtemps à la Chine.

Ce triptyque, délocalisation, assemblage, réexportations, a fait de nombreuses victimes à commencer par les voisins de l’Allemagne. Ces derniers ont vu leurs industries incapables de rivaliser avec leur concurrente germanique, dopée par sa réputation et ses délocalisations. De plus, une analyse des chiffres du commerce extérieur allemand sur vingt ans démontre que ses parts de marché dans les pays émergents n’ont guère augmenté en pourcentage. En réalité, si l’Allemagne a gardé sa place de numéro un mondial du commerce extérieur, c’est aussi parce qu’elle a profité de la mondialisation pour renforcer ses parts de marchés à l’intérieur même de l’Europe. C’est en s’attaquant aux positions commerciales de pays européens au sein même de l’Union européenne, que l’Allemagne a exporté plus. En somme, jusqu’à peu, ce pays a joué avec succès la mondialisation contre l’Europe. Et le ralentissement économique mondial risque de pousser les entreprises allemandes à chercher à élargir encore plus leurs débouchés en Europe ce qui n’ira pas sans mal, le contexte étant de plus en plus marqué par les tentations protectionnistes.