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Les «aspects positifs de l'independance»

par Mutsapha BENCHENANE

Les relations franco-algériennes restent, cinquante ans après l'Indépendance, un drame passionnel.

On constate, en effet, que six années après la fin de la seconde guerre mondiale, la France et l'Allemagne on été les acteurs principaux du processus de construction européenne par le Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (C.E.C.A) en 1951. En revanche, un demi-siècle après la fin de la guerre d'Algérie, ce conflit et les souffrances qu'il a provoquées semblent être des obstacles infranchissables pour l'instauration de relations apaisées entre les deux pays.

Pour comprendre ce que représente l'indépendance pour les algériens, il est nécessaire d'avoir à l'esprit une idée claire de ce qu'a été la colonisation.

Deux personnalités françaises engagées dans l'entreprise coloniale en Algérie apportent leur réflexion.

-Guy de Maupassant a effectué trois séjours en Algérie à partir de 1881. Il écrit :« Notre système de colonisation consiste à ruiner l'Arabe, à le dépouiller sans repos, à le poursuivre sans merci et le faire crever de misère, nous verrons encore d'autres insurrections», ou encore : «Enfin, pour résumer la question de la colonisation, le gouvernement, afin de favoriser l'établissement des Européens, emploie vis à vis des Arabes, des moyens absolument iniques»[1]

-Jules Ferry, pourtant farouche partisan de la «mission civilisatrice» en Algérie déclare devant une commission sénatoriale en 1892 «Nous les avons vues, ces tribus lamentables, que la colonisation refoule, que le séquestre écrase, que le régime forestier pourchasse et appauvrit. Il nous a semblé qu'il se passait là quelque chose qui n'est pas digne de la France, qui n'est ni de bonne justice ni de politique prévoyante».[2]

Henry Laurens, Professeur au Collège de France écrit: «La conquête de l'Algérie a été une guerre de terreur et l'oppression de la colonisation de peuplement une réalité permanente».[3]

Quelques données quantifiées donnent la mesure de ce qu'était la situation des musulmans en Algérie à la veille du déclenchement de la lutte armée le 1er novembre 1954. Chez les musulmans, il y a à peine 10% d'une classe d'âge scolarisable qui sont scolarisés. 97% des enfants européens étaient scolarisés. En 2011, selon l'UNESCO et l'UNICEF, le taux de scolarisation dans le primaire en Algérie est de 97,96%.

En 1962, le taux d'analphabètes était de 85%. Il est aujourd'hui de 17 à 18%.

En 1954-1955, le taux de mortalité infantile chez les musulmans était 13 fois supérieur à celui des français. L'espérance de vie était de 47 ans chez les musulmans et de 65 ans chez les européens.

Chassés par la force des terres les plus fertiles, les musulmans possédaient des exploitations agricoles 10 fois plus petites que celles des français....

En 1936-1937, le projet Blum-Violette visait, en particulier, à accorder la nationalité française à environ 20 000 musulmans, «ceux d'entre eux qui sont les plus évolués ou qui ont apporté des garanties importantes de loyalisme «... Le lobby «pieds noirs» s'est mobilisé contre ce projet et l'a fait échoué. Au Congrés d'Alger du 14 janvier 1937, les 300 maires d'Algérie se sont prononcés à l'unanimité contre le projet de loi. Le maire d'Oran, l'Abbé Gabriel Lambert a dénoncé comme «anti-français» ceux qui soutenaient le projet Blum-Violette.

Côté algérien, le mouvement des Oulémas (Experts en science islamique) ne s'est pas prononcé contrairement à Messali. Hadj, leader nationaliste, qui s'y est opposé.

Quant aux conditions d'existence matérielles calamiteuses des musulmans, il suffit de se reporter aux «chroniques algériennes» -1939-1958- d'Albert Camus pour être édifié. La situation n'était pas meilleure au plan psychologique. En effet, pour le vainqueur, le vaincu n'a pas d'histoire, pas d'identité, pas de culture. La conséquence est que le moins méritant des «pieds-noirs» avait la conviction qu'il était supérieur au meilleur des musulmans et il le lui faisait savoir....

Toute révolte était durement réprimée, le point d'orgue de cette violence coloniale étant les dizaines de milliers de morts à Sétif et Guelma en 1945.

L'ensemble des facteurs favorables à une insurrection étaient réunis en 1954. Mais quand la guerre éclate le 1er novembre 1954, la classe politique française ne comprend pas la nature des événements. François Mitterand, ministre de l'Intérieur, martial, déclare : «la seule négociation, c'est la guerre»... Pierre Mendes-france, président du Conseil n'est pas plus lucide.

Il prend la parole à l'Assemblée Nationale le 12 novembre 1954 : «A la volonté criminelle de quelques hommes doit répondre une répression sans faiblesse, car elle est sans injustice. Les départements d'Algérie font partie de la République, ils sont français depuis longtemps. Jamais la France, jamais aucun parlement, jamais aucun gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. Entre l'Algérie et la métropole, il n'y a pas de sécession concevable. Cela doit être clair pour tout le monde»...

Par rapport à 1954 ou 1962, l'Algérie en juillet 2012 n'est pas seulement un autre pays, c'est une autre planète. Depuis juillet 1962, le destin des algériens est de nouveau entre leurs mains, pour le meilleur et pour le pire, comme pour tout peuple qui a échappé à la domination. Les Juifs et les «pieds-noirs» n'ont pas pu rester en Algérie après 1962 pour de nombreuses raisons : le trop lourd contentieux accumulé au cours de 132 années de colonisation ; la guerre d'indépendance (1954-1962) qui a meurtri tout le monde ; la séquence OAS au cours de laquelle les commandos de cette organisation d'extrémistes «pieds-noirs» ont massacré tout musulman qui avait la malchance de croiser leur chemin ; l'impossibilité pour les européens, comme le soulignait Germaine Tillion, d'envisager une vie en Algérie à égalité de droit avec les musulmans ; l'absence d'un Mandéla côté algérien...

La diversité est certes une richesse, mais encore faut-il la mériter en maîtrisant le très difficile art du vivre ensemble à égalité de droits et de devoirs. Néanmoins, 50 ans après, l'histoire commune, la proximité géographique, les liens de toutes sortes -l'Algérie est le deuxième pays francophone après la France- devraient inciter les uns et les autres à donner sa chance à l'avenir à travers des partenariats dans tous les domaines. Ce que les français et les allemands ont réussi, ce que les noirs et les blancs sont parvenus à surmonter en Afrique du Sud, devrait aussi être à la portée des algériens et des français.

*Politique (Université Paris-Descartes)

Conférencier au Collège de défense de l'Otan (Rome).