
Le
chroniqueur a lu et relu l'information. D'abord, de haut en bas, puis de
l'indépendance jusqu'à aujourd'hui, puis de l'histoire vers la Préhistoire, puis du
journal vers le destin de tous : des élèves renvoyés prennent d'assaut un lycée
à Oran. C'était dans le journal hier. Sur l'échelle de Richter, cette info est
à classer avec quatre ou cinq autres : le départ de l'Emir Abdelkader, l'assassinat
de Abane Ramdane, la
décennie noire ou la première série d'immolations d'Algériens, cinquante ans
après l'indépendance. Jugez-en : les lycéens renvoyés ont attaqué le personnel
du lycée avec des épées, des couteaux, des armes blanches, de l'acide, avec
l'aide de leurs parents et même après avoir été dispersés une première fois par
la police. L'acte, sa violence inouïe, son sens bouleversant, l'assistance des
parents de ces lycéens laissent sans voix. On ne sait pas par quel bout prendre
ce drame. Commencer à l'analyser à partir de l'indépendance, de 90, du premier
mandat de Bouteflika ou du 8ème mandat de Benbouzid ? Faut-il y voir la fin de l'histoire algérienne
ou le début d'une décennie de violence promise ? C'est le produit fini de deux
décennies d'émeutes et de langage de force entre le Pouvoir et les Algériens ? L'envers
de l'autoroute est-ouest ? Brusquement, cette histoire résume tout ce qui a été
dit sur le désastre algérien ou l'échec national : tout y est dit, dans une
ville, dans un lycée et avec quelques lignes. Ça ressemble un peu aux émeutes
classiques, à la prise d'assaut des trottoirs et des logements vides, à une
jacquerie habituelle, à une colère de chômeurs, mais il y a dedans quelque
chose qui fait plus peur que n'importe quoi depuis longtemps. L'Ecole
algérienne est l'un des mythes fondateurs du pays. C'est le premier fruit de
l'indépendance, l'institution fondatrice de notre espoir à cette époque, le
bastion de la « morale » et du sens du respect que l'on avait jusqu'à récente
date. C'était jusqu'à là, jusqu'à hier.
Du coup, c'est la peur, la vraie, celle qui
vous fait réfléchir à changer de terre pour sauver ses propres enfants. Jamais
le chroniqueur n'a lu d'information plus grave, plus tragique sur ce pays. C'est
une nation qui meurt, qui se tue pendant que les propriétaires du peuple
récitent des chiffres. Ce qui s'est passé dans ce lycée impose qu'un président
de la république y aille, qu'un gouvernement dépose sa démission, sa ceinture, ses
chaussures et rembourse la moitié des salaires encaissés. Ce n'est pas un fait
divers, un accident ou un drame : c'est un pays qui se barbarise. Jamais le
chroniqueur ne s'est senti aussi mal et aussi affolé face à l'obscurité.