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De Tianjin à Alger: La naissance d'un monde multipolaire

par Salah Lakoues

Alors que la Chine et l'Inde scellent un accord historique de 75 milliards de dollars en monnaies locales, que l'OCS affirme son rôle face aux incertitudes mondiales et que l'Afrique adopte de nouveaux systèmes de paiement en dehors du dollar, un basculement géopolitique se dessine. L'Algérie, en accueillant la Foire africaine et en lançant des projets stratégiques comme Mindlink, s'impose comme un acteur clé d'un Sud global en quête d'autonomie.

Le basculement du monde : Chine, Inde, Algérie et la fin d'un cycle occidental

Le monde est en train de changer sous nos yeux. Ce n'est plus seulement une impression, mais une réalité confirmée chaque jour par des décisions économiques, politiques et technologiques qui redessinent les équilibres de la planète. Ce basculement n'est pas le fruit d'un hasard, mais celui de décennies d'accumulation de contradictions internes au capitalisme occidental, comme l'a souligné le professeur Richard Wolff : des contradictions que l'Occident a refusé d'affronter et de corriger, préférant les ignorer. Résultat : un système fragilisé, contesté, et désormais concurrencé par de nouvelles puissances.

L'avancée technologique chinoise : semi-conducteurs, automobile et ingénierie

La Chine a pris de vitesse ses rivaux. Dans l'automobile, le véhicule électrique Maextro S800 de Huawei a détrôné BMW et Mercedes, preuve que le luxe ne rime plus forcément avec l'Europe. Dans les semi-conducteurs, SMIC a surpris le monde en produisant des puces de 2 nanomètres sans dépendre des équipements américains ou européens. Une percée qui n'est pas seulement industrielle mais géopolitique, car elle annonce la fin du monopole occidental sur la haute technologie. L'ingénierie civile n'est pas en reste : avec plus de 20 000 ponts construits chaque année, la Chine défie les lois de la nature et s'impose comme leader mondial des infrastructures. Ces prouesses ne sont pas que du béton et de l'acier, elles symbolisent une vision stratégique : relier les territoires, raccorder les économies, rapprocher les peuples.

Inde-Chine : la « danse coopérative du dragon et de l'éléphant »

À Tianjin, en marge du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), Xi Jinping et Narendra Modi ont envoyé un signal fort : la Chine et l'Inde ne sont pas rivales mais partenaires. Ensemble, elles représentent une population de près de trois milliards d'âmes et une capacité économique qui dépasse l'imagination.

La signature d'un accord de 75 milliards de dollars réglé en yuan est un séisme financier : non seulement l'Inde commence à réduire ses réserves en dollars, mais elle envisage désormais un avenir fondé sur les monnaies locales. C'est une remise en cause directe de la suprématie du billet vert, sans réaction forte des États-Unis, englués dans leurs propres contradictions.

Trump, l'UE et la recomposition des alliances

L'élection de Donald Trump a accéléré ce mouvement. Ses tarifs punitifs de 50 % sur certains produits étrangers ont irrité ses alliés, fragilisé le commerce mondial et ouvert un boulevard à Pékin et Moscou. L'Europe, prise en étau, craint à la fois la fermeture du marché américain et l'inondation de ses marchés par les produits chinois.

Dans ce contexte, l'OCS apparaît comme un contrepoids structurant. Comme l'a rappelé Xi Jinping, elle incarne une responsabilité accrue pour préserver la paix et bâtir une civilisation plus équilibrée.

L'Afrique et l'Algérie : un rôle stratégique

Dernière illustration de cette bascule : le nouveau système de paiement lancé par Pékin en Afrique. Désormais, une partie des échanges commerciaux entre la Chine et le continent échappe totalement au dollar. Sans réaction notable de Washington, pourtant conscient que c'est le socle de son hégémonie qui se fissure. En Afrique, cette innovation est accueillie comme une libération : l'accès au commerce international sans dépendance au billet vert.

L'Algérie, qui a accueilli récemment une nouvelle édition de la Foire africaine d'Alger, se trouve au cœur de cette transformation. Elle joue le rôle de carrefour stratégique : connectée à l'Afrique subsaharienne, à la Méditerranée et au monde arabe, elle incarne le potentiel d'un Sud global qui ne veut plus être périphérique mais moteur du nouveau système mondial. Le projet Mindlink, qui prévoit un câble électrique de 2 000 mégawatts vers l'Italie et une production de 10 gigawatts en Algérie, illustre concrètement cette ambition : exporter l'énergie verte africaine vers l'Europe et placer l'Algérie au cœur de la transition énergétique.

Vers un siècle eurasiatique et africain ?

Nous assistons peut-être à la fin d'un cycle. Le siècle qui s'ouvre n'est plus dominé par une seule puissance, mais par une pluralité d'acteurs capables de proposer des alternatives. La « danse coopérative du dragon et de l'éléphant » annoncée par Xi Jinping pourrait bien être le moteur du XXIe siècle asiatique, tandis que l'Afrique, portée par des initiatives comme celles de l'Algérie, trouve une place centrale dans ce nouvel ordre.

L'histoire bascule rarement dans le fracas des canons. Elle bascule souvent dans les détails : un accord commercial en monnaies locales, une puce de 2 nanomètres, un pont qui relie deux mondes, une foire africaine qui redonne du souffle aux échanges Sud-Sud.

Ces détails, aujourd'hui, dessinent le contour d'un monde multipolaire qui n'est plus une hypothèse mais une réalité.