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Pour l'honneur de la France, une indemnité annuelle à l'Algérie est une nécessité historique

par Salah Lakoues

A la lumière de nouvelles révélations documentées sur l'utilisation d'armes chimiques par l'armée française durant la guerre d'indépendance algérienne, la question de la reconnaissance juridique et historique des violences coloniales se pose avec une acuité renouvelée.

En s'appuyant sur des précédents internationaux tels que ceux de l'Allemagne avec Israël ou la Namibie, cette tribune plaide pour l'instauration d'une indemnité annuelle symbolique, non comme une dette financière, mais comme un acte de responsabilité historique et de réparation morale inscrit dans une démarche de justice mémorielle.

Alors que les relations franco-algériennes traversent une phase de tension permanente, minées par les non-dits et les blessures mal cicatrisées, une vérité fondamentale doit enfin émerger du silence d'État : la France a commis en Algérie, durant 132 ans de colonisation et sept années de guerre, des crimes qui appellent réparation. Non pour solder le passé, mais pour reconnaître les responsabilités et préserver l'avenir.

Il ne s'agit pas ici de revendiquer une dette matérielle, mais d'exiger un acte politique fort: le versement par la France d'une indemnité annuelle à l'Algérie, en reconnaissance des souffrances infligées, comme l'Allemagne l'a fait avec Israël et la Namibie.

Ce geste, moral et historique, serait une réponse digne à ce que la République française a été - et doit redevenir : un État capable de regarder ses fautes en face.

Une guerre chimique longtemps niée

En 2025, le documentaire « Algérie, sections armes spéciales » a mis au jour un pan jusqu'ici occulté de la guerre de libération : l'usage systématique de gaz chimiques par l'armée française contre les maquisards algériens réfugiés dans les grottes des Aurès et de Kabylie. Des substances interdites - cyanure, arsenic, irritants - ont été utilisées dans plus de 450 opérations recensées.

Des milliers de combattants et de civils ont été gazés à mort dans le silence, leurs cadavres effondrés dans des cavernes aujourd'hui encore inaccessibles.

Cette guerre chimique, longtemps classée secret-défense, vient s'ajouter à une longue liste de crimes de guerre : torture systématique, bombardements au napalm, camps de regroupement (plus de 2 millions d'Algériens déplacés), villages rasés, exécutions extrajudiciaires, mines antipersonnel, sans oublier les essais nucléaires dans le Sahara, dont les retombées radioactives affectent encore des générations.

Des précédents historiques incontournables

En 1952, l'Allemagne fédérale, pourtant elle-même en reconstruction, a signé avec Israël l'Accord de Luxembourg, prévoyant des réparations continues pour les crimes nazis. En 2021, Berlin a reconnu le génocide des Herero et des Nama en Namibie, et s'est engagé à verser 1,1 milliard d'euros sur 30 ans, en soutien au développement des descendants des victimes.

Pourquoi la France, dont la colonisation a duré bien plus longtemps et causé des centaines de milliers de morts, ne pourrait-elle pas faire preuve d'un courage comparable ? Pourquoi un tel aveuglement républicain sur les crimes commis au nom de la République?

Ni repentance ni vengeance, mais reconnaissance

Le versement d'une indemnité annuelle ne serait ni un chèque en blanc, ni une humiliation. Il serait un acte de reconnaissance historique. Il montrerait que la République française, forte de ses valeurs, est capable de se réconcilier avec elle-même et avec ceux qu'elle a opprimés. Cette indemnité pourrait être versée à un fonds commun de mémoire, de recherche, et de réparation, servant à :

Financer la recherche historique indépendante. Soutenir les zones touchées par les essais nucléaires ou les bombardements chimiques.

Créer des lieux de mémoire communs.

Ouvrir les archives restées secrètes.

Ce ne serait pas une faveur faite à l'Algérie, mais une exigence que la France se doit à elle même.

Une voie vers la paix des mémoires

Soixante-trois ans après l'indépendance, le temps n'efface pas l'injustice. Les excuses présidentielles, les rapports édulcorés ou les visites mémorielles ne suffisent plus. La mémoire blessée a besoin de justice, pas de compassion abstraite. Refuser la reconnaissance, c'est entretenir les blessures. Offrir une réparation, c'est préparer la réconciliation. Comme le disait Aimé Césaire : « Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. » Il est temps pour la République française de redevenir une civilisation lucide et responsable. L'histoire ne demande pas d'être oubliée. Elle exige qu'on l'honore.