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![]() ![]() ![]() ![]() «Tous
les hommes ont les mêmes droits. Mais du commun lot, il en est qui ont plus de
pouvoirs que d'autres. Là est l'inégalité». Aimé Césaire Qui peut nier qu'hier,
à l'orée de l'indépendance nous étions tous pauvres ? Qui peut ne pas voir la
démonstration à vue d'œil de nouvelles richesses, de nouveaux noms et de
beaucoup de disparités ? Celles d'hier et d'aujourd'hui ne font pas de
différences.
Seulement, que les unes étaient vécues par les uns et pratiquées par des autres. La situation actuelle est presque identique. Vécues par les uns et pratiquées par des autres qui n'ont en fait que remplacé les premiers autres. C'est kafkaïen. Voilà des notions à vivre dans sa chair et qui symbolisent les confessions de l'aube au crépuscule. Elles tendent à stigmatiser le mal qui ronge l'espèce nationale. La douleur, conçoit-il, n'est pas l'exclusivité d'une sensation pénible à ressentir dans l'une des parties du corps. Elle enflamme chaque jour, dans une quotidienneté éprouvée, l'ensemble du corps. Social, général. La douleur n'est donc que plurielle, intense et polymorphe. Les grandes douleurs sont muettes, dit-on ; mais elles arrivent par paroxysme quand bien même le silence supporté, à trouver pour chacune d'elles une phonie, un cri, un holà. Heureusement que, malgré tout on est électrifié, on a de l'eau qui ne coule pas trop aux robinets, des voitures inaccessibles, des portables, du bon pain et de la débrouillardise. Le bon mérite à l'effort, quant à lui, s'est abstenu de faire résurgence. Car il ne se reconnaît plus dans le talent ni dans la distinction. Il est cette denrée rare, qui hagarde, se mesure à la petitesse des gens qui, encore, la gardent vaillamment à leurs dépens. La promesse s'est érigée en une norme de gestion même dans les décisions des gestionnaires. Chacun va de son pouvoir pour en faire un record de longévité. Des gens pourvus uniquement d'une audace seront les premiers à servir et se servir de la rente et se feront obligeamment élire parmi l'aréopage censé guider le devenir de la cité. Quand tu as des députés ou sénateurs, provenant d'un néant et qui ne privilégient que la pistache dans le cabinet du wali, laissant à leur sort leurs électeurs, c'est que la machine mentale est lourdement grippée. En 1954, l'Algérien était porteur d'un idéal historique par détermination ; il est arrivé à se décider pour en finir avec un ordre injuste, inégal et surtout criminel. L'unique classe, du moins celle à majorité écrasante, était celle des indigènes. L'autre, européenne métissée ou algérienne européanisée, était en face installée dans les villas, les pâtés de maisons, les fermes et les maisons de maître. Elle avait fini de prêter le flanc et fléchir par-devant ce désir ardent d'indépendance que revendiquait la première. Le sacrifice était important et le prix fort douloureux et dramatique. Les choses se sont avancées par doses jusqu'au raffermissement de tout un sentiment nationaliste derrière de grands principes d'égalité et de justice sociale. Les gens y croyaient fermement. Des années durant, le fil communautaire s'est disloqué silencieusement au rythme de l'enchantement d'un socialisme spécifique pour certains et rentable pour les autres. Les mêmes situations paradoxales reprenaient leurs droits de cité. Les inégalités suppléaient aux inégalités, l'injustice à l'injustice même en mode sous-jacent. L'on voyait les avantages pleuvoir sur une classe et les infortunes se rabattre sur la tête de l'autre. Alors que la fortune s'accumule par la force de travail, on la voit se ramasser et se constituer chez certains, sans pour autant qu'il y est dedans un effort méritoire, à l'exception de ce coup de fil à une banque ou à un lotisseur de zone industrielle ou un donneur de lot marginal. C'est sous le miracle de l'investissement que les portes de nouveaux paradis s'ouvrent pour certains. Celles de l'enfer se renferment pour ceux qui y sont déjà. Mais en tout et pour tout, c'est au nom de cette vaste société que les mentors semblent agir, dans le discours. Dans son intérêt, tiennent-ils à rassurer ou à la rassurer. Mais les guichets de banque, les lots industriels et autres trouvailles du genre ont grandement participé à la mutation, parfois contre-nature de l'échelle des valeurs. Il suffit d'un rien pour qu'un rien puisse devenir une somme. C'est tout à fait vrai que le sens des affaires fait partie d'une science bien établie. Mais à voir des affaires se faire sans science des affaires, que faudrait-il déduire, sinon le bourguignon, la rapine et la diablerie ? Néanmoins des capitaineries industrielles bien établies sont venues booster une économie qui se veut digne d'une Algérie nouvelle. L'on peut dire, fièrement que le pays regorge de créateurs de richesse, de bons boss, de véritables patrons. Il est impossible que tout le monde puisse devenir riche, mais possible et recommandé que chacun puisse avoir le même droit d'accès aux faveurs de la félicité. Sinon, le fossé n'ira qu'en s'accentuant. Alors qu'à chaque occurrence jugée vitale pour le maintien, voire la survie d'une approche systémique, le système floue l'image des gouverneurs et amadoue l'entièreté de la société. L'espoir est cependant à garder pour la génération postérieure qui devra lutter encore pour une meilleure visibilité des choses. Les start-up pourront lui constituer une voie impériale. L'on voit beaucoup plus de jeunes- rares certes- qui s'échinent à sortir de l'ornière de l'oisiveté et du compter sur l'Etat. Fonceurs, parfois frondeurs ; ils construisent un avenir qui ne peut que leur être radieux. Ainsi, pour calmer la galerie, l'on extirpe de temps en temps de simulés créateurs du mal algérien. Ils deviennent un accablé idéogramme de la gabegie dans la manipulation des deniers publics. Clairsemant le paysage sous des cieux diversifiés, ils portent d'autres patronymes, assurent d'autres fonctions. Ils ne sont pas mis au devant de l'actualité tant leur «travail » ne constitue pas encore une monnaie d'échange dans une opération de règlement de compte. Ici, dans ces années d'incertitude et de perpétuelle suspicion, lorsque l'on ne peut toucher la cible, on tâtonne dans son environnement. C'est comme pour abattre un immeuble, l'on commence par creuser d'abord dans ses abords, étendre par la suite la sape dans ses alentours et attendre l'effondrement automatique de l'édifice. Il est malheureux de constater ces fortes disparités qui se voient clairement et semblent susciter la provocation en donnant l'impression de narguer les gens qui n'ont de cure que souffler des soupirs. Au moment où des gens nombreux et multiples n'arrivent pas à joindre les deux bouts, manquent encore de logements ou souffrent dans les hôpitaux populaires; les autres meurent de festins, de plages privées et de séjours dorés. A eux les résidences madrilènes et les duplex de Neuilly-sur-Seine. A eux les cliniques de Schengen, les frais de santé et la bonne forme physique. A eux le plein soleil des rudes hivers et les douceurs vespérales des torrides étés. A eux la crevette royale, les liqueurs et le hadj spécial. A eux les magasins chics, les hauteurs d'Alger et ses façades maritimes. A eux l'alimentation canine et l'amour des oiseaux exotiques. Est-ce là une situation normale, quand tout le monde sait comment cet «autre monde » est arrivé à devenir ainsi ? D'où proviennent ces nouveaux fortunés ? Ils ne dérivent pas d'un héritage ancestral ou de grosses propriétés foncières. Ils n'ont pas rencontré par pur hasard l'ange distributeur de richesses ou ont découvert des jarres de louis d'or. Ils tirent leur origine tout simplement d'un système où la compromission dans ces cas-là s'entend avec assourdissement. La magie et l'interconnexion des intérêts ont fait le reste. C'est ainsi qu'ils se sont fait des titres et des noms. L'on croirait en fait de la régénérescence d'un nom qu'une fois sa bourgeoisie physiquement visible est rattachée à un poste ou une fonction. Ainsi, chaque jour l'on voit une dénomination commerciale prendre naissance, un groupe se constituer, un sigle s'arborer, une entreprise neuve se mettre en route. Le marché public, les transactions qui n'ont rien comme doute occulte, les commissions qui ne se lisent pas sont autant de dispositions à prendre pour rentrer dans le club des nouveaux nantis. On les voit promettre, simuler, poster, nommer et garantir des sièges et des centres de décisions. Loin de faire un lobby au sens didactique; ils ne sont que des faux modèles pour une société à peine émergente. C'est de cette rapidité d'aisance que prennent forme toutes les dérivations. Si, du moins, enseignement sera tiré au profit des adeptes de la réussite sociale. L'on ne peut bâtir une économie forte sur du précaire, de l'aléatoire et du compter sur l'ailleurs. C'est dire aussi qu'un bon système national cohérent et soudé ne peut réussir qu'à partir où sa volonté est déterminée à faire finir les inégalités sociales. Sans dire toutefois que l'égalitarisme est une bonne chose. Ce qui fait mal en finalité, c'est quand le départ est reculé pour les uns et carrément arrangé et devancé pour les autres. Vivre dans une inégalité, c'est se voir mourir à moitié. Pire, c'est prouver avec haine un acte de violence commis par son semblable envers son être et toute son existence d'humain, de citoyen. Cet acte finira un jour par créer le grand malaise et fera répéter autrement l'histoire. Seuls le mérite et le bon sens demeurent aptes à hisser une nation encore en quête d'impartialité et d'équation équitable au niveau d'une dimension harmonieuse acceptable pour tous. L'égalité des chances pour tous ne doit plus être un titre d'une feuille de route ou une consécration textuelle. Seule son application, en vrai est capable d'atteindre sa profondeur substantielle. L'Algérie est riche, ses enfants rêveurs, les idées ne leur manquent pas, les opportunités sont grandioses, alors que reste-t-il à faire ? Charger de perception de quoi doit être dotée une nation, loin d'une mentalité providentielle. Aller vers des raccourcis producteurs d'un projet social bénéfique à tous, faisant de l'intérêt commun un socle axial par le partage du bonheur pour une égalité sociale. Car, comme l'avait dit l'autre «ce à quoi il faudrait viser, c'est moins l'égalité des fortunes qu'à l'égalité des chances». |
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