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![]() ![]() ![]() Marché parallèle des devises en Algérie: Absorption par le marché de change formel : une nécessité
par Abderrahmane Chenini* ![]() Voilà
un problème que les experts nationaux et étrangers, les universitaires et les
décideurs en Algérie n'arrivent pas à trouver, ou, du moins, à se mettre
d'accord sur une solution idoine pour l'éradiquer, en dépit du fait qu'ils
veulent tous voir sa disparition.
Ce problème leur donne le tournis, en raison de ses effets néfastes sur l'économie nationale, vu qu'il est un terreau favorisant l'accroissement et l'enracinement de l'économie informelle, sans parler du fait qu'il constitue une voie pour le transfert illégal des devises à l'étranger. Mais le plus important de tout cela, il constitue une menace très sérieuse pour la sécurité nationale. Car il représente une voie royale pour le crime international organisé (drogues, trafic de véhicules volés à l'étranger, traites humaines, achat d'armes, financement d'actes terroristes et autres actions subversives). Parallèlement à ces gros inconvénients, il joue le rôle de soupape économique, une solution alternative pour tous ceux qui ont besoin de devises pour : financer leurs études, se soigner ou visiter des pays étrangers ; acquérir des véhicules neufs ou d'occasion ; l'achat par les entreprises privées, sur leurs comptes propres en devises, les intrants et les équipements nécessaires à leur fonctionnement à cause de leur inéligibilité au marché de change officiel, par le biais des organismes financiers. De par ce rôle, il est, de facto, une extension du marché officiel de change. Ce qui explique, en grande partie, le pourquoi de sa tolérance par les pouvoirs publics. Cependant et étant donné non seulement la profonde transformation de l'économie nationale, entamée par les hautes autorités du pays, mais aussi les enjeux y afférents, deux questions se posent : devons-nous continuer à tolérer l'existence de cet appendice du marché de change officiel ? Dans le cas contraire que devons-nous faire pour l'éradiquer ? Pour répondre à ces deux interrogations, il y a lieu, à mon avis, de peser le pour et le contre de l'existence d'un tel marché. En effet, vu que l'existence de ce phénomène remonte à la fin des années 70 début des années 80 du siècle passé et que ses causes sont connues, il est plus intéressant, au lieu de s'attaquer à celles-ci (les causes), d'apprécier le coût d'opportunité de la tolérance de ce marché noir, en tant que soupape économique. Autrement dit, les solutions se trouvent dans l'analyse du pour et du contre de son existence et sa tolérance. Si les avantages à le préserver sont supérieurs à ses inconvénients, il y a lieu de le maintenir. Dans le cas contraire, il devient vital, voire impérieux de mettre en place une stratégie pour le dissoudre, sans perturber trop le fonctionnement de l'économie nationale et sans mettre en danger les réserves de changes du pays. Très succinctement, en termes de gains, les plus évidents sont ceux qui permettent aux citoyens, aux hommes d'affaires et aux entreprises du secteur privé de couvrir leurs besoins en devises sans recourir directement aux banques algériennes, donc, sans recourir aux réserves de change. Ces besoins sont multiples et variés, tels que : le financement des voyages touristiques à l'étranger ; les soins médicaux à l'étranger ; le financement des études et formations spécialisées dans les universités étrangères et autres instituts ; l'achat de véhicules neufs et d'occasions ; l'acquisition de machines et autres équipements sur propres comptes, etc. Ces besoins sont nombreux et variés. Pour les appréhender, et, donc, comprendre la nature de la demande sur ce marché, il est nécessaire de les regrouper en catégories ou en segment. Parmi ces besoins distincts, on peut citer, en premier lieu l'achat de devises par les citoyens pour passer des vacances à l'étranger, vu le faible montant de l'allocation touristique autorisée. A cette catégorie de demandeurs, il y a lieu de rajouter ceux qui veulent poursuivre leurs études universitaires, suivre des formations spécialisées ou se soigner à l'étranger. Cette catégorie constitue un premier segment de ce marché parallèle. Le deuxième segment est constitué des demandeurs de devises pour l'acquisition de véhicules neufs ou d'occasion à leur propre compte. L'existence de ce segment de ce marché permet de combler, plus ou moins, le déséquilibre du marché de l'automobile en Algérie, en attendant l'entrée en production de toutes les marques agréées par les pouvoirs publics. Le troisième segment de ce marché parallèle est composé de la demande, qui émane des entreprises privées et des petits importateurs de « cabas », qui ne peuvent en aucun cas recourir au marché des devises officiel pour le paiement de leurs achats d'intrants, d'équipements et autres biens nécessaires à leurs exploitations. Ces entreprises, bien qu'elles peuvent importer de l'étranger les biens et services qui leurs sont nécessaires, ne sont pas éligibles au marché de devises formel. En l'absence d'études scientifiques, sérieuses, bien documentées, il est extrêmement difficile de chiffrer le montant total des transactions effectuées annuellement sur ce marché noir des devises et, encore moins, par segments de ce marché : achat et vente de devises pour voyages touristiques ; pour soins à l'étranger ; pour études et formations ; pour acquisition de véhicules neufs ou d'occasions ; pour achat d'intrants et équipements ; etc. Cependant, un chiffrage, quoique approximatif, du volume de ces transactions peut être obtenu en ayant recours aux services des douanes algériennes. En effet, sur la base des avis de retraits des devises déposés par les voyageurs dans les guichets des douanes dans les aéroports, ports et postes frontaliers ainsi que les documents de dédouanement des biens et services importés, effectués par tous ceux qui entrent dans les deux derniers segments, un proxy peut être calculé pour ce montant total. Ce qui donnera, par ailleurs, une idée sur les volumes de transactions effectuées dans chaque segment, et, par voie de conséquence, sur le total échangé sur ce marché. Mais une chose est certaine, c'est que ce volume total dépasse la dizaine de milliards de dollars US. Ce qui est important. En ce qui concerne les inconvénients, qui sont beaucoup plus pernicieux, vu qu'ils constituent un danger pour la sécurité nationale et la stabilité des institutions, sont nombreux et, pour la plupart de par leur essence même, invisibles. Pour cela, certains d'entre eux passent sous les radars des services de sécurité. Par conséquent et contrairement aux premiers types de demandes, il est pratiquement impossible de mesurer leur volume total. En ce qui concerne les inconvénients, qui sont beaucoup plus dangereux, leur désavantage fondamental est que ce marché favorise et facilite les crimes internationaux organisés, tels que : le trafic des drogues, la traite des êtres humains, le terrorisme, les actions subversives, le grand banditisme, etc. De par leur nature même, leur caractéristique principale est qu'ils sont invisibles, facilitant leur passage sous les radars des services de sécurité, malgré leur professionnalisme et leur vigilance. Ce qui peut porter atteinte à la sécurité nationale et, donc, à la stabilité des institutions nationales. En effet, étant donné que l'Algérie n'est pas productrice de drogues sous toutes ses formes, pour couvrir la consommation interne qui ne cesse de s'accroître, les gros dealers doivent l'importer de l'étranger, essentiellement du Maroc, de la France, de la Libye et des pays du Sahel. Pour cela, ils ont besoin de recourir à ce marché parallèle, pour payer en monnaies étrangères leurs achats et convertir le produit, en dinars algériens, de leur vente en devises étrangères et renouveler leurs opérations. Il en est de même pour la traite des êtres humains autochtones, maghrébins ou venant de l'Afrique subsaharienne. Pour payer les passeurs, qui constituent des réseaux très bien organisés en Algérie et à l'étranger, les « harragas » doivent payer en devises leur traversée de la Méditerranée. D'où, beaucoup d'entre eux sont tenus de recourir au marché parallèle des devises. Les passeurs, pour blanchir leurs butins effectuent l'opération inverse, alimentant, en partie, ce marché, en vendant les devises acquises illégalement pour les convertir en dinars algériens et, par la suite, les blanchir dans l'immobilier, entre-autres. Pour les services étrangers, qui visent sans relâche la déstabilisation de l'Algérie, pour exécuter leurs sombres opérations, ont besoin de recruter et de financer des agents autochtones. Ils auront besoin d'acheter des informations et des renseignements à l'intérieur du pays, etc. Pour se faire, ils doivent recourir à ce marché noir pour acquérir le dinar, vu qu'il n'est pas librement convertible. Même s'ils paient en devises, les agents recrutés sont tenus de recourir à ce marché pour convertir l'argent perçu en monnaie nationale. Le même phénomène se répète pour tous les autres crimes, ayant une relation directe ou indirecte avec l'étranger. Toutes ces transactions sont très difficiles à quantifier, car elles sont soumises à la discrétion, voire au secret, condition sine qua none pour tromper la vigilance des services de sécurité et garantir leur réussite. D'où, de par leur nature, elles sont toutes invisibles. Mais leurs conséquences peuvent être incommensurables pour la sécurité du pays et la stabilité des institutions, sans parler des effets néfastes sur la société algérienne. Par conséquent, en pesant le pour et le contre de l'existence de ce marché informel des devises, il est clair et évident que le contre l'emporte aisément. Car, il y va de la sécurité et de la stabilité de l'Algérie et de ses institutions, sans parler de leurs conséquences sociétales. Cette analyse démontre que le coût d'opportunité est largement en défaveur de la tolérance de marché informel des devises en Algérie. Il est vrai que les pouvoirs publics ont mis et continuent de mettre en place tout un arsenal juridique pour lutter contre le blanchiment de l'argent sale. Mais cela reste insuffisant sans la résorption du marché parallèle des devises. Car ce marché est une échappatoire pour tous ceux qui alimentent ces fléaux néfastes pour le pays. Pour toutes ces raisons vitales et capitales, il est impérieux de mettre en place rapidement une stratégie d'absorption de ce marché parallèle des devises par le marché officiel de change, en provoquant l'assèchement, de manière séquentielle, graduelle, étape par étape, de la demande des devises, qui s'exprime sur ses différents segments. La solution préconisée, qui induira cet assèchement, se fera par la réduction progressive de la demande de devises sur ce marché jusqu'à sa disparition totale. En effet, l'existence de tout marché est engendrée par l'apparition d'une demande d'une commodité et, sa contrepartie, son offre, provoquant et facilitant son échange. Pour faire disparaître ce marché, il suffit de faire disparaître l'une de ses composantes : l'offre ou la demande. Etant donné, dans ce cas, qu'il est extrêmement difficile, pour des raisons évidentes, d'agir sur son offre, il suffit de faire disparaître sa demande, pour que ce marché noir disparaisse de facto. Même si l'offre de cette commodité persiste. Pour atteindre un tel objectif, compte tenu de la contrainte des réserves de change, il est nécessaire d'aborder ce marché informel des devises, non pas en tant qu'un tout, mais de manière segmentée. Autrement dit, l'approcher de manière séquentielle, en absorbant un segment de ce marché à la fois dans le marché officiel de change. D'où, l'intérêt de sa segmentation. En effet, la solution, à mon humble avis, est d'orienter graduellement, au fur et à mesure, les demandes de devises de ces trois segments de ce marché informel, pour permettre, à la fin de ce processus, leur intégration totale dans le marché formel des devises. Ainsi dans une première étape, il a lieu d'assécher la demande de devise du premier segment, par la couverture de ce type de besoins, en autorisant l'achat des devises par les citoyens constituant cette première catégorie de demande. Ceci peut commencer par l'application sans délai de la décision du Conseil des ministres de valoriser l'allocation touristique à 750 euros. Par cette mise en œuvre, une bonne partie de la demande sortira du marché parallèle des devises. Ce qui provoquera une première contraction de la demande. Ensuite, dans un délai relativement court, ne dépassant pas l'année, après leur évaluation approximative, les besoins des étudiants et des malades seront couverts. Ceci accentuera la contraction de la demande sur ce marché. A la fin de cette première étape, qui ne peut être prolongée au-delà de trois ans, les autorités monétaires doivent mettre en œuvre la seconde étape, qui consistera à prendre en charge les besoins des entreprises privées et les petits importateurs de « cabas », en classant les priorités du nécessaire à l'accessoire par exemple. Leur éligibilité au marché officiel des devises permettra l'assèchement de la très grande majorité de la demande de devises, qui s'exprime sur le marché parallèle de cette commodité. Quant au dernier segment, celui des acquéreurs de voitures neuves et/ou d'occasion, cette demande disparaîtra d'elle-même avec l'interdiction de ce type d'importation dès que tous les constructeurs d'automobiles commenceront la fabrication de leurs modèles. Il est bien entendu qu'un marché résiduel persistera. Mais à la longue, il s'éteindra vu qu'il ne sera pas suffisamment attractif pour attirer les offreurs de devises, en l'absence d'une demande suffisamment élevée pour maintenir ce marché en vie. Toutefois, l'exécution de cette stratégie ne peut réussir, sans une réforme du marché de change1, qui permettra de sortir de l'ornière imposée par le régime et le système de change choisis en Algérie. Réforme tant nécessaire, mais absente du package des réformes structurelles de l'économie nationale, pour sa renaissance. Pour conclure, il devient urgent, compte tenu des enjeux sécuritaires et des défis pour assurer la stabilité de l'Etat algérien, de se pencher sérieusement sur cette question du maintien ou pas du marché noir des devises en Algérie et de mettre en œuvre, sans trop tarder, une stratégie efficace et efficiente pour l'éradiquer définitivement. Note: 1 -Voir article du même auteur, intitulé : « Réforme du marché de change : la grande bataille économique en Algérie » publié dans Le Quotidien d'Oran, le mardi 08 juillet 2025 *Docteur d'Etat en Sciences Economiques. Professeur des universités en retraite. Ex-Doyen de faculté et ex-Vice-Recteur des relations extérieures. |
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