![]() ![]() ![]() Verdir le Sahara : pour une Algérie nourricière et régénérative: Une fête, un paradoxe, une question de fond
par Elhabib Benamara ![]() L'Algérie
célèbre l'Aïd el-Adha, la fête du sacrifice du mouton.
Un moment sacré de mémoire, de partage et de spiritualité. Pourtant, cette année
encore, une large partie de la population se retrouve confrontée à une réalité
cruelle : le mouton est devenu un luxe. Son prix a explosé, l'approvisionnement
devenu incertain, et l'État, dans un effort louable, a dû mobiliser d'importants
moyens pour importer des moutons de Roumanie et d'Espagne. Toute l'année, pour
contenir la pression, la viande bovine est importée du Brésil ou d'ailleurs,
congelée, empaquetée, transportée à grand coût.
Dans le même temps, les éleveurs locaux - notamment ceux de Djelfa, Laghouat, El Bayadh, Naâma - alertent sur la flambée des prix de l'aliment de bétail, lui-même importé, et sur l'effondrement progressif des steppes, grignotées par la désertification. Face à ce paradoxe, une question centrale se pose : comment un pays aussi vaste, aussi riche de ses savoirs et de son potentiel agricole peut-il dépendre autant de l'étranger pour nourrir son peuple ? L'Algérie dispose de la plus grande superficie d'Afrique. Elle détient l'un des gisements solaires les plus puissants au monde, des terres semi-arides aux potentialités énormes, et une jeunesse disponible, volontaire, mais souvent sans emploi. Pourquoi n'arrivons-nous pas à produire notre propre nourriture de façon durable ? Pourquoi importons-nous ce que nous pourrions cultiver et élever nous-mêmes ? Pourquoi la terre fertile est-elle abandonnée, quand nos marchés dépendent de cargos et de devises ? 1. Une urgence silencieuse : dépendance et dégradation La crise n'est pas nouvelle, mais elle s'aggrave. Elle est hydrique, agronomique, sociale. Elle est hydrique, car les pluies, bien que faibles, existent encore, mais nous les perdons. Elles ruissellent dans les caniveaux, les oueds secs, ou s'évaporent sans servir. Chaque année, des millions de mètres cubes d'eau s'échappent vers la mer, ou les deserts alors qu'ils pourraient être retenus pour irriguer, rafraîchir, nourrir. Elle est agronomique, car nos sols s'épuisent. L'érosion gagne du terrain, les monocultures intensives dégradent les surfaces, la biodiversité s'effondre. Les steppes qui nourrissaient autrefois des millions de têtes de bétail deviennent des friches caillouteuses. Elle est sociale, car les campagnes se vident. Les jeunes quittent les terres pour chercher un avenir en ville ou à l'étranger. L'agriculture, au lieu d'être moteur de dignité, devient synonyme de précarité. Le paradoxe est là : il pleut encore, mais la sécheresse s'aggrave. La désertification progresse non parce qu'il ne pleut plus, mais parce que nous avons rompu les cycles naturels de l'eau et de la vie. 2. Reverdissons les marges fertiles : urgence sur les steppes et hauts plateaux À mesure que la désertification gagne du terrain, il faut veiller sur les terres frontières : les steppes de Djelfa, les hauts plateaux de Naâma, les confins semi-arides du Sud constantinois, les piémonts sahariens. Là se joue une bataille décisive. Là se trouvent encore des terres vivantes, capables de redevenir fertiles. Là habitent des communautés qui ont, depuis des générations, su vivre avec peu, élever du bétail, cultiver le grain, protéger les parcours. Les solutions ne sont pas des rêves de laboratoire. Elles existent. Elles sont simples, robustes, reproductibles : - Haies brise-vents pour retenir le sol. - Micro-bassins en demi-lunes pour capter les eaux de pluie et favoriser la pousse d'herbes fourragères destinées au bétail. - Rigoles d'infiltration, cordons pierreux, pour retenir l'eau là où elle tombe. - Compostage local, biochar, amendements organiques pour enrichir les sols. - Agroforesterie, cultures associées, zones de pâturage tournant pour restaurer les cycles. Ces techniques ne coûtent pas cher. Elles demandent du savoir-faire, de l'organisation, de la volonté politique. Des pays comme le Burkina Faso ou le Niger les appliquent avec des résultats impressionnants. Pourquoi pas nous ? 3. Les oasis : foyers de sagesse, clefs de l'avenir Les oasis algériennes ne sont pas des curiosités touristiques. Ce sont des systèmes ingénieux, des lieux où les humains ont su, pendant des siècles, vivre en harmonie avec la nature aride. Les foggaras, les palmeraies, les cultures superposées, les économies circulaires... tout y parle d'intelligence territoriale. Mais aujourd'hui, ce génie oasien est menacé. La bétonisation, la pollution, l'abandon des savoirs traditionnels, le tarissement des nappes et la rupture des transmissions intergénérationnelles sapent leur équilibre. Or les oasis peuvent être les laboratoires du futur : nous pouvons développer : - Des systèmes de phyto-épuration, simples et autonomes, pour traiter les eaux grises. - Des filières locales de transformation de produits du palmier, des plantes médicinales, du figuier de Barbarie, du moringa. - Des écoles d'agro-écologie, où l'on forme les jeunes à la régénération des sols, à la gestion douce de l'eau, à la production vivrière et artisanale. Les oasis sont des modèles de sobriété, de résilience, de beauté. Ce ne sont pas des reliques à photographier. Ce sont des semences de civilisation. 4. Le monde change : les exemples internationaux nous montrent la voie Dans un monde secoué par le changement climatique, ceux qui s'adaptent gagnent. En Arabie Saoudite, le projet Al Baydha a permis de reverdir un désert montagneux par la permaculture, la gestion de l'eau, et la revalorisation des savoirs tribaux. En moins de 10 ans, des dizaines d'hectares stériles sont redevenus vivants. En Chine, la Grande Muraille Verte repousse le désert de Gobi depuis 1978. À Kubuqi, un désert stérile est devenu un pôle d'agriculture, d'énergie solaire et d'écotourisme. Dans le Sahel, les demi-lunes, les cordons pierreux, les baissières changent des villages entiers. Les arbres reviennent. Le bétail revient. L'eau revient. Ces techniques partagent un principe commun : Planter l'eau avant de planter les arbres. Ralentir, infiltrer, stocker, revaloriser chaque goutte. Pourquoi l'Algérie, qui a les moyens techniques et humains, ne serait-elle pas à l'avant-garde de cette révolution tranquille ? 5. Investir dans la vie : une boussole pour la souveraineté Il ne suffit pas d'avoir les bonnes idées. Il faut changer la destination de l'investissement. Aujourd'hui, trop de fonds vont vers le béton, l'importation, les réponses à court terme. Demain, il faudra : - Financer la restauration des sols, - Soutenir la formation d'une armée de régénérateurs (hydrologues, agro-écologistes, forestiers, ingénieurs du vivant), - Rediriger les subventions vers ceux qui rendent les territoires vivants, - Encourager les coopératives rurales, les économies circulaires, la transformation locale. Chaque dinar investi dans une haie, un bassin, un composteur, une formation au vivant... c'est un dinar qui évite l'importation, la dépendance, l'exode. Ce n'est pas de la charité. C'est de la stratégie nationale. 6. Le Sahara peut refleurir : un horizon pour l'Algérie Le Sahara est souvent présenté comme un vide, un espace hostile. C'est une erreur de regard. Le désert n'est pas stérile. Il est fragile, complexe, puissant. Il contient une mémoire enfouie, des eaux dormantes, des savoirs en attente. Et s'il devenait le laboratoire mondial de la régénération territoriale ? Imaginons : - Une alliance Maghreb-Sahel-Europe pour cofinancer la restauration des sols désertifiés. - Des zones pilotes dans l'Atlas saharien et les Hauts Plateaux, combinant agro-écologie, rétention d'eau, énergies renouvelables, architecture vernaculaire. - Des universités de la régénération, où se forment des jeunes venus de toute l'Afrique à la gestion du vivant. - Une diplomatie écologique qui remplace le langage des pipelines par celui des arbres, de l'eau, et de la coopération. Ce n'est pas une utopie. C'est un choix de vision. Et l'Algérie a toutes les cartes en main pour en être le moteur. 7. L'Aïd, le mouton et la souveraineté pastorale Revenons à l'image initiale. Chaque mouton importé, chaque tonne de viande congelée achetée au Brésil est un aveu d'échec structurel... mais aussi un signal d'alerte positif. Cela signifie que le politique cherche des solutions. Qu'il y a une volonté d'apaiser la tension sociale. C'est honorable. Mais au-delà de ces mesures ponctuelles, il faut poser les vraies questions : - Comment redonner aux éleveurs de Djelfa, de Mechria, d'El Bayadh la capacité de produire à coût maîtrisé ? - Comment mobiliser l'eau qui tombe, au lieu de l'égarer ? - Comment soutenir une agriculture vivrière, pastorale, de territoire ? L'Algérie peut produire ses propres moutons, nourrir ses propres enfants, valoriser ses propres écosystèmes. Mais pour cela, il faut : - Oser changer de logiciel économique. - Valoriser l'eau de pluie, les circuits courts, le savoir local. - Écouter ceux qui travaillent la terre, qui voient les sols souffrir, les puits se tarir, les jeunes partir. 8. Une politique régénérative : feuille de route pour un pays vivant Voici quelques priorités concrètes : 1. Sauver les marges : steppes, piémonts sahariens, oasis menacées. Ce sont les zones tampon, à restaurer en premier. 2. Réparer le cycle de l'eau : retenir l'eau là où elle tombe, infiltrer plutôt que drainer, restaurer les oueds, revitaliser les nappes. 3. Généraliser la phyto-epuration et l'utilisation des eaux ainsi recyclées pour faire pousser des pâturages. 4. Massifier les pratiques agricoles adaptées : perma-culture, haies vives, agroforesterie, techniques des basins en demi- lunes, récupération des eaux grises. 5. Former, équiper et valoriser les métiers du vivant : agriculteurs régénérateurs, hydrologues, artisans du sol, jeunes coopérateurs. 6. Réorienter les priorités d'investissement : moins d'importation, plus de résilience ; moins d'annonces, plus de chantiers visibles. 7. Créer un signal national fort : un pacte pour la régénération, porté par l'État, les collectivités locales, les universités, et les citoyens. Conclusion : Le choix de la vie Ce texte n'est pas un rêve naïf. C'est un plaidoyer lucide et enraciné. L'Algérie a tout ce qu'il faut pour redevenir une grande nation nourricière : du soleil, de l'eau (rare mais suffisante), des terres immenses, des mains disponibles, des savoirs puissants, une foi profonde. Ce qu'il lui faut maintenant, c'est un changement de regard, une coalition pour le vivant, une stratégie nationale régénérative. Chaque goutte compte. Chaque hectare peut revivre. Chaque jeune peut devenir artisan de souveraineté. Le Sahara n'a pas dit son dernier mot. Il attend. Il observe. Il espère. L'heure n'est plus aux discours. Elle est à la régénération. Maintenant. |
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