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La justice et l'historien

par Mazouzi Mohamed*

« La liberté d'opinion et d'expression ne peut être invoquée pour justifier la discrimination et le discours de haine. »

Loi n°20-05 du 28 avril 2020 relative à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine.

Il est déplorable de constater comment un académicien ait pu agir lors de son entrevue télévisée avec autant d'imprudence , de désinvolture voire d'ignorance quant à la ligne de démarcation entre des réflexions et débats menés dans le cadre de recherches académiques et ce qui relève d'un ordre législatif et judiciaire clairement établi notamment au sujet de certaines déclarations publiques passibles de poursuites judiciaires. Par l'arrestation de l'historien Belghit Mohamed Amine pour «atteinte à l'unité nationale , atteinte aux symboles de la nation et de la République, atteinte à l'intégrité de la nation et diffusion de propos haineux et discriminatoires par le biais des technologies de l'information et de la communication», l'Etat algérien démontrera le caractère équitable de la Justice quel que soit le mis en cause : un écrivain franco-algérien pour lequel la France a failli entamer une énième croisade ou un historien algérien impétueux , « un homme au mental malade et un marchand d'idéologie dans le marché de l'Histoire» comme se plaira à le décrire la télévision algérienne en réaction à l'émission diffamatoire et calomnieuse de la chaîne émiratie « Sky News Arabia»

Lors de cette émission, on sera autant décontenancé par les réponses surprenantes de l'historien Belghit Mohamed Amine que par le machiavélisme de l'animatrice et le déroulement du débat. L'enchainement subtil des questions lors de ce malheureux interrogatoire arrivera à pousser notre historien à faire des déclarations publiques hautement compromettantes pour sa propre personne et attentatoires aux valeurs constitutionnelles relatives à l'unité et à l'identité du peuple, à la souveraineté de l'Etat et à la cohésion sociale : il abordera d'abord avec mépris le cas des cinq millions de ressortissants algériens qui selon lui ont choisi le camp de la France de la même manière que les Harkis, il serait utile de préciser que l'on trouve chez la majorité de nos ressortissants un indéfectible patriotisme et un amour du pays aussi fort que celui de tous les Algériens. Il commettra ensuite la monumentale bévue en niant l'une des constantes nationales de son pays 1 et en qualifiant l'Amazighité de projet « franco-sioniste », et en fin de compte il exprimera sa haine viscérale à l'égard d'une France qui ne cessera jamais d'ourdir des complots pour nuire à l'Algérie. Pour l'historien il est inconcevable d'entrevoir le rétablissement d'une franche réconciliation entre nos deux pays qui ouvrirait la voie à des relations honnêtes et définitivement apaisées. En effet, une hypothèse peu probable au sujet de laquelle on est d'accord avec l'historien.

L'animatrice ouvrira sa boite de Pandore au cours de cette entrevue qui paraissait tout à fait ordinaire, laissant à son interlocuteur l'impression qu'il pouvait dominer la situation comme s'il était face à un parterre d'étudiants. Elle ne cessera délibérément de l'interrompre, cherchant à le déstabiliser et provoquant en lui certaines gênes ; il sera soumis à la grande question, un paquet de dossiers aussi toxiques et polémiques les uns que les autres : la question mémorielle, les récurrentes crises franco-algériennes, la théorie du complot et de la main étrangère, l'éviction de la France de son ancien pré carré au profit de nouveaux partenaires, la contradiction entre la présence d'une très forte communauté algérienne émigrée et l'entêtement de Algérie à ne pas tourner la page ainsi que son refus d'admettre sa part de violence et de haine dans ce conflit franco-algérien, et finalement la question amazigh. L'animatrice tissera imperceptiblement autour de l'historien une funeste toile d'araignée qui allait lui être fatale et le mener tout droit en prison. Le choix des sujets et la manière d'orienter le débat traduisait cette volonté caractérisée de salir l'Algérie. Toutes les questions sournoisement posées à l'historien Belghit Mohamed Amine consistaient implicitement à incriminer l'Algérie et à l'accuser de tous les maux parmi lesquels : entretenir la théorie du complot qui consiste à accuser la France d'être à l'origine de tous les déboires de l'Algérie, refuser de tourner la page d'un passé tragique ainsi que cela s'est effectué en Europe.

Refuser d'ouvrir ses archives par crainte de la vérité, camper sur une position vindicative et haineuse incapable de réinstaurer des relations apaisées et pacifiques avec la France sachant que cette décision risque de nuire aux intérêts des ressortissants algériens.

L'animatrice se dévoilera comme une ambassadrice zélée et perfide d'une France coloniale et néocoloniale. L'animatrice semble ignorer que la deuxième guerre mondiale avec son cortège de malheurs n'aura duré que cinq années. Il s'avère extrêmement difficile de tourner la page sur un colonialisme génocidaire qui durera 132 ans suivi d'une Françafrique qui sévira durant plus d'un demi-siècle.

L'animatrice pérorera sur une paix chimérique entre les pays feignant d'oublier le chaos et les injustices qui menacent tout le monde.

Il n'y a pas que l'Algérie qui refuse de tourner la page, l'éviction de la France de plusieurs pays africains en est un puissant témoignage. L'animatrice fera semblant de manifester son étonnement et son mécontentement face au repositionnement géostratégique de l'Algérie et par ses nouvelles alliances (Chine, Russie, Italie, Espagne, Turquie...) au détriment d'une France qui voit son leadership et ses intérêts grandement menacés.

Par des insinuations et des sous-entendus indélicats et révélateurs d'arrière-pensées belliqueuses, l'animatrice donnait l'impression d'instruire une forme de procès bien huilé contre l'Algérie en portant frontalement et avec vigueur des griefs face auxquels l'historien réagira avec une maladresse inouïe. En abordant la question de l'Amazighité, l'animatrice dira à notre historien « Ne pensez-vous pas que vous êtes en train d'effacer une culture millénaire, est-il permis à un historien de nier avec autant de légèreté la culture de tout un peuple ? » Le Docteur Belghit Mohamed Amine, imperturbable, péremptoire, persiste et signe avec véhémence.

La dame de Sky News Arabia réussira à conduire l'historien à radicaliser davantage sa position sur la question amazighe. Empêtré dans le traquenard subtil que lui avait tendu l'animatrice, le Docteur Belghit Mohamed Amine semblait oublier la seule chose qu'il aurait dû garder en tête : la responsabilité pénale de l'historien. La missionnaire de Sky News Arabia aura quand même la délicatesse de prévenir notre historien qu'il allait au devant de sérieux problèmes suite à ses déclarations sulfureuses. Chose qui finira inéluctablement par arriver.

En ces moments particuliers où l'Algérie se trouve menacée de toutes parts au point qu'un projet de loi portant mobilisation générale vient d'être présenté au parlement, le pays n'avait nullement besoin de déclarations intempestives susceptibles de réveiller de vieux démons, d'attiser la discorde et la haine. L'unité nationale est l'une des préoccupations majeures du pays qui ne cesse de déployer avec extrême vigilance des efforts considérables pour parer à toutes les formes de provocations.

De son côté, la télévision publique algérienne réagira vigoureusement face à ce traquenard médiatico-politique et accusera les dirigeants émiratis (ce mini-État artificiel) de franchir toutes les lignes rouges en s'attaquant à «ce que les Algériens ont de plus cher : leur unité, leurs constantes constitutionnelles, leur identité et leur appartenance», par l'instrumentalisation d'« un homme au mental malade et un marchand d'idéologie dans le marché de l'Histoire»

Les déclarations de l'historien provoqueront un tollé général, ces propos ont été largement condamnés par des partis politiques, des intellectuels et des défenseurs de la culture amazighe, qui y voient « une incitation à la haine et une tentative de division nationale ».

On ne pourra manquer de rappeler que l'historien Belghit Mohamed Amine jouit d'une grande popularité en Algérie, notamment pour ses positions patriotiques anticoloniales et néocoloniales, pour ses constantes prises de positions contre les attaques islamophobes. Certains membres de sa famille furent victimes de la barbarie coloniale, d'indicibles cruautés dont il sera terriblement affecté dans son enfance et qui le marqueront à vie.

L'immense colère que l'historien éprouve à l'égard d'une certaine France criminelle et incurable est le même ressentiment que nous portons tous dans notre cœur. Pendant l'occupation française, une journaliste suédoise interrogera un petit enfant algérien qui se trouvait dans un camp, parmi des centaines de réfugiés. Cet enfant de sept ans présentait de profondes blessures faites par un fil d'acier avec lequel il fut attaché pendant que des soldats français maltraitaient et tuaient ses parents et ses sœurs. Un lieutenant essayait de lui maintenir ses yeux ouverts, afin qu'il se souvînt de cela longtemps. Cet enfant fut porté par son grand-père pendant cinq jours et cinq nuits avant d'atteindre le camp. L'enfant dira par la suite à la journaliste qui l'interrogeait : « Je ne désire qu'une chose : pouvoir découper un soldat français en petits morceaux, tout petits morceaux.»

Nul ne peut nier le droit à l'historien de mener des recherches académiques sur n'importe quel sujet et en tirer les conclusions qui lui semblent justes en se référant à des sources archéologiques, philologiques, épigraphiques probantes et après avoir confronté le résultat de ses recherches et ses convictions au travail de ses pairs qui exercent dans le même domaine et in fine tenter de valider de manière irréfutable les conclusions de ses recherches. Néanmoins, ses déclarations publiques doivent se conformer inconditionnellement aux Lois de son pays.

*Universitaire

(1) Constitution algérienne (Préambule)

« Le 1er Novembre 1954 ainsi que sa proclamation fondatrice auront été les clés de son destin.

Aboutissement d'une longue résistance aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes fondamentales de son identité que sont l'Islam, l'Arabité et l'Amazighité, à la promotion et au développement desquelles œuvre l'Etat... L'Algérie, terre d'Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe et amazigh, méditerranéen et africain, s'honore du rayonnement de sa Révolution du 1er Novembre et du respect que le pays a su acquérir et conserver en raison de son engagement pour toutes les causes justes dans le monde. »

(2) Frantz Fanon, Sociologie d'une révolution, collection Maspero, 1978, p.8