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Promouvoir l'électronucléaire en Algérie via l'intelligence artificielle

par Mustapha Benmouna*

L'Algérie envisage la production d'électricité d'origine nucléaire dans le cadre de la transition énergétique marquant l'ère de l'après pétrole et gaz naturel. Le nucléaire est considéré comme une source propre au sens qu'il ne génère pas de gaz à effets de serre.

Seulement, le défi de sûreté posé par cette filière est réel et il est difficile de concevoir, dans les conditions actuelles, le démarrage effectif de la production d'électricité d'origine nucléaire avant deux, voire trois décennies. Les autorités du pays ont, à maintes reprises, affiché une volonté ferme à promouvoir l'électronucléaire mais il n'y a pas eu d'avancées significatives pour concrétiser cette volonté. L'irruption de l'intelligence artificielle (en bref IA) dans ce domaine peut changer la donne, et la décision prise par les autorités de l'ériger en option stratégique dans la formation de compétences répondant aux normes internationales va dans le bon sens. L'Ecole nationale supérieure de l'IA sise à la technopole de Sidi Abdallah (Alger) en est une preuve tangible. La fusion de l'électronucléaire et de l'IA fera, sans aucun doute, booster les performances et la sûreté.

Il y a une double difficulté à mettre en œuvre un programme électronucléaire d'envergure en Algérie. D'abord parce que le nucléaire présente une sensibilité particulière au niveau international, étant toujours accompagnée d'un soupçon d'arme atomique. Ensuite, il y a une forte exigence en ressources humaines capables de gérer les risques à tous les niveaux. Il faut reconnaître que les pays détenteurs de la technologie nucléaire montrent une grande frilosité à partager leur savoir-faire avec d'autres pays pour des raisons politiques. Ils sont parfois farouchement opposés à l'acquisition de cette technologie même si les pays concernés fournissent les garanties nécessaires d'utilisations strictement pacifiques. L'Algérie a été l'objet d'allégations fallacieuses lorsqu'elle a réalisé le réacteur de recherche Salam à Aïn Oussara, en collaboration avec les Chinois, et a été accusée d'avoir un objectif militaire. L'exemple du dossier nucléaire iranien est édifiant à cet égard.

Les problèmes de sûreté sont multiples, variés, complexes, et malgré toutes les précautions que l'on peut prendre, il est nécessaire d'envisager les situations d'urgence parce que le risque zéro n'existe dans aucun domaine d'activité humaine. Le défi dans la mise en place de grosses centrales électronucléaires ne peut être relevé que si les conditions nécessaires sont réunies, après un travail de longue haleine, pour éviter au pays les risques de catastrophes. Les exigences de sûreté nécessitent des infrastructures adaptées, des compétences de haut niveau et un cadre réglementaire adéquat. Tous les scénarios doivent être considérés pour une intervention rapide et efficace en cas d'urgence. Les procédures et moyens doivent être mis en œuvre et opérationnels pour gérer les accidents nucléaires de toutes sortes, du simple incident à l'accident majeur. Les nombreux accidents enregistrés depuis l'avènement du nucléaire dans les années cinquante offrent un registre d'expériences utiles à méditer. Tous les pays qui ont opté pour le nucléaire ont vécu des accidents plus ou moins graves. Il est utile de noter que le budget d'investissement d'une centrale nucléaire est systématiquement supérieur à celui de la version classique (pétrole ou gaz naturel) pour se conformer au cahier des charges concernant la sûreté du réacteur, la partie turbogénérateur étant pratiquement la même dans les deux cas. La préoccupation majeure est d'assurer un fonctionnement normal du système de refroidissement du combustible radioactif pour éviter une élévation de température au-dessus des normes de tenue thermique des matériaux qui entrent dans sa composition. L'histoire de l'électronucléaire est marquée par trois accidents majeurs. Le premier est celui de Three Mille Island en Pennsylvanie (Etats-Unis d'Amérique) et qui a eu lieu le 28 mars 1979. Il est dû à une erreur de maintenance provoquant une panne de plusieurs heures dans le système de refroidissement. L'intervention rapide des équipes de spécialistes a permis de circonscrire l'accident au bout d'une journée et éviter l'extension de la matière radioactive en dehors du réacteur. L'accident de Tchernobyl en Ukraine, le 26 avril 1986, est probablement le plus grave survenu dans une centrale électronucléaire, du point de vue des effets de la radioactivité sur la nature et les populations. Il est dû à une succession d'erreurs humaines et de défauts dans les installations. Une explosion au sein du réacteur a conduit à la dissémination de substances radioactives à l'extérieur de la centrale et la contamination par ces substances a même touché plusieurs pays d'Europe. Les personnes qui sont intervenues en urgence, sans prendre les précautions nécessaires, ont été sévèrement irradiées et la majorité est décédée au bout de quelques jours. Le réacteur a été recouvert de béton et mis en confinement définitif. Le 3e accident grave dans l'histoire de l'électronucléaire est celui de Fukushima au Japon, il a eu lieu le 11 mars 2011 suite à un tsunami provoqué par un puissant tremblement de terre sur la côte pacifique du Tôhuku. Cette centrale était alors l'une des plus grandes au Monde (4.500 MW) comptant six réacteurs dont la moitié est entrée en fusion à cause de la défaillance du système de refroidissement. Les travaux de réparation et de décontamination sont toujours en cours et devront se poursuivre jusqu'à la fermeture définitive de la centrale à une date qui n'est pas encore connue.

L'irruption de l'intelligence artificielle dans ce domaine a déjà connu une grande avancée, ce qui permet d'augurer une amélioration significative dans la sûreté à tous les niveaux, depuis la conception du réacteur jusqu'à son démantèlement, en passant par les phases d'opération et de maintenance, en sus de la programmation de l'alimentation en combustible frais, retrait du combustible irradié et gestion des déchets radioactifs. Cette irruption a été rapide parce que l'IA existait déjà dans l'industrie électronucléaire, dès ses débuts dans les années cinquante, sous diverses formes. L'automatisation était présente dans toutes les opérations de contrôle de stabilité du réacteur par la supervision, à distance, de l'évolution de la puissance et de la criticité. Des programmes informatiques puissants étaient mis au point et améliorés continuellement, suivant les progrès de l'informatique et de la technologie, en intégrant les nouvelles connaissances en neutronique, thermodynamique des changements de phases, transferts thermiques, dynamique des fluides ou thermo-hydraulique, etc. Plus récemment, avec l'apprentissage automatique (machine learling), l'apprentissage profond (deep learning) et d'autres avancées, l'IA a franchi une étape de qualité dans la performance et la précision. En apprentissage automatique, l'ordinateur est capable de cumuler une très grande quantité de données et d'informations bien au-dessus des capacités humaines. Les capteurs disséminés au sein du réacteur permettent de charger, en temps réel, des algorithmes puissants de données pour assurer la bonne marche de la centrale. En apprentissage profond, des réseaux de neurones artificiels sont utilisés sous l'œil vigilant de l'opérateur humain qui garde la maîtrise de leur fonctionnement pour comprendre et assurer la fiabilité des résultats générés. L'IA permet d'améliorer les choses aux points de vue technologiques, économiques et de sûreté.

Pour promouvoir l'électronucléaire sous de bons auspices, l'Algérie peut adopter une démarche qui s'articule autour des trois mots-clés : coopération, transparence et diplomatie. Une coopération étroite doit être développée avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (en bref AIEA) pour donner les gages d'attentions pacifiques sincères. Notre pays doit trouver la voie pour se libérer des contraintes pouvant entraver son accès à la technologie nucléaire dans les limites des engagements pris en signant le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Cette coopération doit être accompagnée d'actions dans la transparence pour mener un programme intégré permettant de préserver les droits et la souveraineté du pays, y compris l'enrichissement de l'uranium dans les limites permises. Une diplomatie habile et convaincante doit être menée par des diplomates chevronnés, rodés aux techniques du lobbying et maîtrisant les méthodes modernes de communications et de transmission de l'information.

La Chine est un partenaire privilégié pour l'Algérie dans le nucléaire ayant contribué à la réalisation du réacteur de recherche Salam à Aïn Oussara. De plus, la Chine est impliquée dans de nombreux projets structurants en Algérie dont elle est amie depuis de longue date, ayant toujours été à ses côtés, notamment dans ses luttes pour l'indépendance et le développement économique. La Russie est aussi un partenaire privilégié dans beaucoup de domaines relevant de la politique, de l'économie et de la technologie. L'Algérie a signé au mois de mars 2024 avec la Russie un mémorandum de coopération portant sur les applications pacifiques de l'énergie nucléaire notamment dans le domaine de la santé et de la fabrication des isotopes radioactifs.

Ces horizons de coopération peuvent être élargis à d'autres pays comme la France, les Etats-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne, l'Italie et bien d'autres dans un souci de diversification et de multilatéralisme dans les relations internationales. La France abrite une forte communauté aux origines algériennes et une diaspora en mesure de tenir un rôle moteur dans le rapprochement et la coopération avec l'Algérie. La France dispose d'un réseau de centrales nucléaires parmi les plus importants au monde. Plus de 65% d'électricité produite en France est d'origine nucléaire. Une coopération entre l'Algérie et la France dans le domaine énergétique en général, et celui du nucléaire en particulier, serait bénéfique pour les deux pays et pourrait créer un climat favorable au règlement du contentieux sur les effets des essais nucléaires dans le Sahara algérien au début des années 60. Pour ce qui est des Etats-Unis d'Amérique, il faut rappeler que de nombreux hauts cadres algériens ont été formés dans des universités américaines et pas seulement dans les hydrocarbures, au profit de Sonatrach. Certains étaient formés dans les universités américaines avant même l'indépendance et ce mouvement s'est poursuivi sans interruption. A titre d'exemple, dans les années soixante dix, un programme d'envergure avait été engagé par notre ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique pour la formation au niveau doctorat en génie nucléaire dans plusieurs universités comme Michigan (Ann Arbor), Massachusetts (Boston), Georgia (Atlanta) et d'autres. Plus récemment, avec la généralisation de l'anglais comme langue d'enseignement à l'université, une nouvelle dynamique de coopération interuniversitaire entre l'Algérie et les Etats-Unis d'Amérique vient d'être enclenchée. Cette dynamique peut ouvrir la voie à des échanges académiques dans beaucoup de domaines, en particulier ceux de l'intelligence artificielle et du génie nucléaire. Notre pays est en mesure de développer une diplomatie scientifique et de ‘soft power' avec beaucoup d'autres pays qui possèdent une bonne expérience dans le nucléaire et qui se situent sur quatre continents comme l'Afrique du Sud, l'Argentine, le Brésil, l'Inde, le Pakistan, l'Italie, etc.

Au plan national, il est suggéré de lancer un programme de formation de grande envergure pour constituer un tissu humain fort en nombres et en qualité. Ce programme devrait impliquer non seulement les organes spécialisés comme le Commissariat à l'énergie atomique (COMENA) et certains instituts nationaux de recherche mais aussi les universités, principalement celles de technologie. Le COMENA est l'organisme en charge de la mise en œuvre du programme arrêté par le gouvernement. Sur son site web, on peut trouver son organigramme ainsi que les infrastructures et les équipements dont il dispose. Parmi ceux-là, on trouve, notamment trois centres de recherche et deux réacteurs de recherche (NUR et Salam). Cependant, il y a un manque d'informations sur les activités, notamment celles des deux réacteurs. Il y a un besoin de communication dans la transparence pour éviter toute campagne malveillante et obtenir l'adhésion de la société à ce programme important pour l'avenir du pays. On devrait disposer d'informations exhaustives concernant les activités des deux réacteurs, les grandes réalisations depuis leur lancement, les travaux de recherche, les personnels exerçant à plein temps et leurs qualifications, les relations avec les organismes internationaux et notamment l'AIEA, les pays étrangers avec lesquels il y a une concertation dans ce domaine, etc.

A maintes reprises, les autorités ont affiché une volonté ferme de se lancer dans l'électronucléaire. A titre d'exemple, en 2011, un haut responsable du secteur de l'énergie avait déclaré que la première centrale de production d'électricité d'origine nucléaire en Algérie devrait voir le jour en 2025, suivie d'une 2e centrale cinq ans plus tard. Ce même responsable avait indiqué que les réserves prouvées d'uranium à Tamanrasset étaient de 29 mille tonnes, suffisantes pour alimenter les deux centrales pendant soixante ans. La réalité montre qu'on est très loin de cet objectif mais l'essentiel à présent est de développer une vision claire intégrée dans la stratégie de transition énergétique. En particulier, l'Algérie a le droit de chercher à produire elle-même le combustible nucléaire en installant les infrastructures permettant l'enrichissement de l'uranium aux taux prévus par la réglementation internationale.

L'Algérie est entrée de plain-pied dans la transition énergétique pour assurer sa sécurité énergétique, son développement socioéconomique, honorer ses obligations internationales en matière de protection de la nature et d'émission de gaz à effets de serre. Pour cela, elle n'a pas d'autres choix maintenant que d'exploiter toutes ses richesses, en particulier le pétrole et le gaz naturel pour amorcer cette transition dans les meilleures conditions possibles. Elle a d'ores et déjà déclenché le plan énergies renouvelables mettant l'accent sur le solaire dans sa version photovoltaïque. Des réalisations concrètes commencent à voir le jour à travers un programme de seize centrales solaires photovoltaïques, ayant chacune une puissance de 50 à 300 MW, réparties sur quatorze wilayas pour un total de 3.000 MW à l'horizon 2030. L'exécution de ce programme est confiée à la Société nationale de l'électricité et du gaz (Sonelgaz) pour 2.000 MW, et à la société algérienne des énergies renouvelables (Shaems) pour 1.000 MW. La production d'hydrogène vert constitue également une réalité que les autorités du pays ont incluse dans la stratégie pour satisfaire non seulement les besoins à l'échelle nationale mais aussi pour alimenter l'Europe à travers un mégaprojet initié en partenariat avec l'Italie. Ces actions s'inscrivent sur le court et moyen termes dans la politique algérienne de développement durable. Il n'y a pas de doute que le nucléaire occupera une place importante dans cette démarche sur le long terme.

Pour conclure, on peut dire que l'ensemble solaire photovoltaïque, électronucléaire et hydrogène vert, appuyé par les moyens de l'IA constitue un axe majeur dans l'implémentation de la transition énergétique en Algérie.

*Professeur de physique (retraité)