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Le gaz naturel : pour le codéveloppement ou la confrontation ?

par Amar Tou*

Contrairement aux appréhensions des importateurs du gaz naturel quant aux décisions qui pouvaient sanctionner les travaux du Forum des pays exportateurs de gaz lors de sa septième session tenue à Alger (Algérie) du 29 février au 2 mars 2024, les résolutions furent plutôt rassurantes, appelant à plus de dialogue, de rapprochement, de concertation et de compréhension entre les exportateurs d'un côté et entre exportateurs et importateurs de l'autre. C'est ce que comporta, à la clôture du forum, l'allocution de clôture du président de la République Abdelmadjid Tebboune qui souligna, entre autres, « qu'étant à l'aube d'une nouvelle ère, la coopération renouvelée et le dialogue peuvent contribuer à forger une vision collective consacrant les principes de partage des risques et avantages». Toutefois, le fond de cet optimisme ne négligea pas les appréhensions craintives à l'égard des menaces nées des nombreux foyers de tensions dans le monde. Ce qui induisit, par ailleurs, l'insistance, dans cette allocution, sur les droits de souveraineté des pays membres du forum, sur leurs ressources en gaz et sur la nécessité de sécuriser leurs installations sensibles, de nature à assurer la sécurité des lignes d'approvisionnement et la préservation de leurs revenus. Mais aussi avec l'insistance sur la préservation des intérêts des consommateurs «dans le cadre d'un processus durable garantissant l'équilibre entre la sécurité énergétique, le développement durable et la protection de l'environnement».

L'appel fait à la clôture du forum pour renforcer la sécurité énergétique, au milieu des appréhensions craintes des exportateurs et des importateurs, de fluctuations des prix de gaz dans le monde, sous la persistance de la guerre israélienne contre «Gaza» en Palestine occupée et la crise ukrainienne, (l'appel) exprime sincèrement ces préoccupations. Mais l'augmentation de la demande mondiale sur le gaz et la concentration des exportations entre les mains d'un nombre limité d'exportateurs, constituent une source d'inquiétude chez les consommateurs de voir ce forum (d'exportateurs de gaz) se transformer en organisation de gaz similaire à celle des exportateurs de pétrole où les prix sont régis par la loi de l'offre et la demande. Ceci, en dépit des rassurances consacrées par se forum, des substituts concurrents du gaz naturel à moyen et long terme et en dépit des menaces tendancielles du discours en faveur du retour au nucléaire et au charbon et en faveur du recours aux énergies renouvelables. L'anxiété et les appréhensions craintives des importateurs de gaz trouvent logiquement leurs explications dans la force grandissante du forum dont les membres détiennent déjà 70% du total des réserves mondiales de gaz naturel, plus de 40% de la production mondiale du gaz commercialisé, de 47% des exportations de gaz naturel par gazoducs et de plus de 50% des exportations mondiales de gaz naturel liquéfié.(1)

Pour répondre à ces questionnements et appréhensions, en somme toute légitimes, nous tenterons, par la présente contribution, d'éclaircir les horizons sur les plans de l'industrie et de la commercialisation du gaz naturel à la lumière des données prévisibles et sous le poids des géostratégies en lutte de domination, en relation avec ces données. Nous consacrerons de ce fait, un espace utile au cas «Algérie.»

Pour ce faire, nous organiserons la contribution en cinq sections : la production mondiale du gaz naturel, son industrie, son marché et les géostratégies s'y attachant, nées autour de la crise ukrainienne.

1- La production mondiale de gaz naturel

La production mondiale de gaz naturel a atteint quelques 4000 milliards de mètres cube (m3) en 2023, sur la base des projections établies en 2022 et actualisées à fin 2023 pour le cas algérien. Les Etats-Unis d'Amérique y occupent le premier rang avec 1027 milliards m3, la Russie avec 699 milliards m3, l'Iran avec 244 milliards m3, la Chine avec 219 milliards m3, le Canada avec 205 milliards m3, le Qatar avec 170 milliards m3, l'Australie avec 162 milliards m3 (2), l'Algérie avec 132,7 milliards m3 en 2022 et 136 milliards m3 en 2023 (3), la Norvège avec 128 milliards m3, l'Arabie Saoudite avec 105 milliards m3 suivie par la Malaisie avec 76 milliards m3 et l'Egypte avec 68 milliards m3 et d'autres ; en rappelant que la production de l'Algérie connut un saut de 25% entre 2012 et 2023 en tête des pays africains. La production des pays membres du forum des pays exportateurs de gaz, atteignit en 2022 quelques 1657 milliards de m3 contre quelques 2394 milliards de m3 pour les pays non membres du forum. Soit un total de la production mondiale de gaz naturel de 4051 milliards de m3 ; la production projetée de 2023 ne s'écartant pas notablement de ce chiffre.

Il importe, par ailleurs, de rapporter que la production algérienne du gaz naturel liquéfié a atteint en 2023 quelques 13 millions de tonnes, celle du gaz de pétrole liquéfié quelques 9,4 millions de tonnes et celle des condensés de gaz quelques 8,3 millions de tonnes.(4)

2- L'industrie du gaz en Algérie

Les réserves actuelles prouvées de l'Algérie en hydrocarbures de tous produits confondus (pétrole, gaz, condensés de gaz et gaz de pétrole liquéfié) de l'ordre de 4300 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) ou ce qui dépasse 12 milliards de barils de naphte) dont 55% de gaz naturel. Ces réserves sont concentrées dans les principaux champs et gisements actuellement en exploitation.

Il s'agit : du champ de Hassi R'mel, le premier découvert (1956), le premier à être mis en exploitation (1961) et le plus riche(2400 milliards m3 de gaz naturel), le champ Raoud Nouss dans la wilaya d'Illizi qui fut mis en exploitation en 1961, le gisement Krichba situé au Nord de la wilaya d'In Salah, qui a été mis en exploitation en 1957 et qui constitue, avec l'ensemble des nombreux autres gisements de la région d'In Salah, un grand ensemble de gaz naturel, sans compter les réserves prouvées du gaz de schiste classées 3èmes réserves au monde, le champ de Hassi Berkine (découvert en 1995 et mis en exploitation à compter de 1998), le champ Al Rar, le champ Ain Aminaz, Tinhiret et Minzel Ladjimet Est dans la wilaya d'Illizi, les nouveaux champs de Hassi Bahamou et Hassi Mouina dans la wilaya de Timimoune, les champs de Reggane et de Touat dans la wilaya d'Adrar, également comme nouveaux champs et les champs gaziers de Gassi Touil et de Bir Berkine situés dans la wilaya de Ouargla.(5)

Quant à l'industrie du gaz naturel liquéfié (GNL), l'Algérie était parmi les premiers pays à s'investir dans le domaine. Elle réalisa en 1963 au port d'Arzew (Oran) l'une des premières usines de liquéfaction de gaz dans le monde. Le premier méthanier chargé dans ce port en gaz naturel liquéfié y a été chargé, à cette date, à destination des Etats-Unis d'Amérique. L'Algérie possède actuellement deux usines de liquéfaction de gaz naturel ; la deuxième étant localisée au port gazier de Skikda dont l'extension vient d'être réceptionnée (en mars 2024) à l'effet de réceptionner les plus gros méthaniers de GNL.(6)

Le marché du gaz naturel liquéfié et du gaz de pétrole connaissant mondialement un boom croissant, la concurrence l'affectant s'attise actuellement. L'Algérie, par conséquent, est vivement interpellée à l'effet de s'armer conséquemment pour livrer bataille rude dans ce marché et dans le marché spot qui lui est attenant. C'est ce que nous tenterons, ci-dessous, d'expliciter dans la section que nous consacrerons aux géostratégies.

Se posent, par ailleurs, devant l'épineux problème de l'exploitation du gaz de schiste (ou gaz non conventionnel), des problématiques toujours tenaces, en raison des impacts environnementaux dangereux dont les plus importants, pour l'Algérie, sont ceux qui impactent la nappe phréatique non renouvelable et dont Dieu tout-puissant a doté l'Algérie à quelque 75% de l'ensemble de la nappe touchant la Libye et la Tunisie. Les développements technologiques attendus dans le domaine d'exploitation de ces réserves de gaz sans préjudice sur la nature de la richesse aquatique de la nappe, offriront les solutions adéquates aux problématiques posées.

3- Exportations mondiales du gaz naturel

Elles se concentrent dans les dix pays Top suivants : aux Etats-Unis d'Amérique (187 milliards de m3), la Russie (165,5 milliards de m3), le Qatar (134,2 milliards de m3), la Norvège (120,5 milliards de m3), l'Australie ( 112,5 de milliards m3), le Canada ( 82,1 milliards de m3), l'Algérie ( 49,9 milliards de m3), le Turkménistan (40,7 milliards de m3), l'Indonésie (21,8 milliards de m3), le Nigéria (19,6 milliards de m3), sachant que l'Algérie réserve des quantités importantes sur les disponibilités de gaz naturel, à la consommation domestique dans toutes les régions du pays (villes, campagnes, montagnes, plaines et grand Sud) à rix unique et soutenu. La couverture des besoins de la population algérienne en gaz naturel, dit de ville, a atteint en moyenne quelque 62% avec une couverture totale dans les régions à relief, relativement, plus accessible avec la perspective d'une généralisation de cette couverture à échéances proches.(7)

Si, sur le plan de la production, le classement mondial des pays semble se reproduire sur le plan des exportations, sauf à de très rares exceptions, comme le cas de la Chine qui se classe au quatrième rang mondial en production mais qui disparait totalement dans le classement mondial des exportateurs. Elle se classe, par contre, parmi les plus grands importateurs du gaz naturel liquéfié, tout particulièrement à côté de l'Europe réunie qui, elle, importait, avant les effets de la crise ukrainienne, beaucoup plus du gaz naturel gazeux et des appoints en gaz naturel liquéfiéqui iront grandissant sous les effets de cette crise. Ceci se produit dans un marché devenu moins stable qu'avant, sans rien envier au marché du pétrole. Ce qui constitue une source de craintes, tant pour les exportateurs que pour importateurs du gaz naturel, mais pour des intérêts opposés des uns et des autres.

Des géostratégies furent alors échafaudées pour défendre ces intérêts où les considérants économiques, politiques et mêmes militaires sont mis en synergie comme menace déguisée à l'effet de garantir, aux moindres coûts, l'approvisionnement en gaz naturel pour les importateurs et à l'effet de garantir un marché stable aux meilleurs prix possibles pour les exportateurs. Souvent la solution de cette difficile équation s'avérait impossible, à l'image de ce qu'a connu et continue à connaitre, le marché du pétrole comme crises où les intérêts des uns et des autres n'arrivent pas à se rencontrer de manière à satisfaire de façon permanente, les intérêts de toutes les parties.

C'est pourquoi le semblant de stabilité relative du marché de pétrole depuis 2021 ne satisfait, d'une manière suffisante, ni les exportateurs ni les importateurs, même si les exportateurs détiennent entre leurs mains, l'instrument redoutable que constitue l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) avec ses adhérents et non adhérents ; ce qui leur garantit un espace de manœuvres confortable en dépit des sauts d'humeur intempestifs de ses composantes (OPEP et OPEP Plus).

Le Forum des pays exportateurs de gaz naturel saura-t-il se mettre à ce niveau minimum d'efficacité relative en dépit de sa fragilité, eu égard aux sauts d'humeur versatiles de ses exportateurs souvent sous pressions de chantages divers auxquels font recours les pays importateurs individuellement ou réunis, sous des menaces économiques ostentatoirement brandies ou sous menaces militaires à peine voilées ? L'exemple le plus expressif nous est bien donné par les relations gazières entre la Russie et l'Union Européenne, eu égard aux graves impacts que le marché mondial du gaz naturel produit sur les investissements dans le transport du gaz par gazoducs et par méthaniers appropriés. Dans cette logique, la crise de l'Ukraine a été une source d'émanation de géostratégies complexes dans leur construction, à de multitudes entées et sorties, actuelles et futures, sur le marché du gaz dans son état gazeux et liquéfié en Europe, en Asie, aux USA et en Algérie dans ses relations avec l'Europe et avec l'Afrique.

4- Le marché et le transport du gaz naturel, actuellement et dans le futur

Avant la crise ukrainienne qui éclata le 24 février 2022, le marché mondial du gaz naturel connaissait une admissible stabilité où se superposaient l'offre et la demande sans déséquilibre notable, même si ce marché ne satisfaisait pas les exportateurs, y compris les mécanismes de révision des prix. La demande sur le gaz naturel dans sa forme gazeuse, était satisfaite par exportations à partir de nombreux gisements de production dans le monde au travers d'importants réseaux de gazoducs parcourant, pour certains, des milliers de kilomètres sur terre et/ou par mer, sous des conditions et règles commerciales et sécuritaires contractuelles des plus sévères. La partie de la demande mondiale de gaz naturel sous la forme gazeuse qui ne pouvait ainsi être satisfaite, l'était en gaz naturel liquéfié qu'assurait le transport maritime par bateaux méthaniers géants conçus spécialement à cet effet. Ils sont chargés et déchargés dans des ports gaziers aménagés pour la liquéfaction et pour la regazéification du gaz naturel.

A la veille de la crise ukrainienne, les réseaux de transport du gaz naturel par gazoducs dans différentes régions du monde, se présentaient comme suit :

4.1- Le réseau «Russie-Europe»

Il est composé de quatre lignes (gazoducs) principales :

- le gazoduc situé le plus au Nord (Nord Stream 1) passant par la mer Baltique et qui relie directement la Russie à l'Allemagne. Il était prévu de le seconder par un autre gazoduc de même capacité (Nord Stream 2) passant, lui aussi, sous la mer baltique.

Mais des mains criminelles l'ont dynamité après l'achèvement des travaux et avant sa mise en service et dont les enquêtes devant déterminer les auteurs et leurs commanditaires, n'avancent pas,

- deux autres gazoducs transportant également le gaz naturel russe vers l'Europe de l'Ouest (la Pologne, l'Allemagne...) via l'Ukraine, furent mis en service en 1979,

- un quatrième gazoduc «Transbalkan» passe par «Odyssa» en longeant la Moldavie avant d'approvisionner la Bulgarie et la Roumanie.

Ce réseau est complété par des lignes secondaires telles celles qui alimentent en gaz naturel russe, la Finlande et la Lettonie à concurrence de 90% de leurs besoins en 2021. Ainsi, l'Europe dépendait-elle du gaz russe acheminé par gazoducs à hauteur de 40 à 45% de ses besoins en 2021.

Aussi, dans cette équation, ne pourrait-on pas négliger le gazoduc reliant la Russie à la Turquie sous la mer noire, sur une distance de quelques 900 kilomètres, tout en sachant que la Turquie dépend à 45% du gaz naturel russe.

4.2- Le réseau de gazoducs «Algérie- Europe».

Il est composé de deux gazoducs et du projet d'un troisième (gazoduc) :

- le gazoduc «Algérie-Espagne»(le Portugal et la France, dans le prolongement) traversant la mer Méditerranée et qui, à l'origine, depuis 1996 jusqu'à sa mise en exploitation, alimentait le Maroc pour environ 9 à 10 milliards de m3 annuellement. Mais à l'expiration le 31 octobre 2021 du contrat s'y rapportant sans renouvellement, il fut remplacé immédiatement, par un autre gazoduc reliant, directement, l'Algérie à l'Espagne qui fut lancé en réalisation par l'Algérie dès 2012 en pressentiment de mauvais augure. C'est ce qui a garanti à l'Espagne et au Portugal la continuité de leur approvisionnement en gaz naturel algérien sous sa forme gazeuse sans rupture notable. Il a transporté, en effet, 8,7 milliards m3 durant l'année 2023.

- Le gazoduc «Algérie-Italie» qui, également, traverse la mer Méditerranée via le territoire tunisien. Durant l'année 2023, ce gazoduc a transporté quelques 26,2 milliards m3. Il est attendu, durant l'année 2024, une quantité de l'ordre de 28 milliards m3 ; sachant que les capacités annuelles de ce gazoduc sont de l'ordre de 32 milliards m3 en rappelant que ce gazoduc a été mis en exploitation en 1983 et que ses capacités furent augmentées par la réalisation d'une deuxième ligne entre 1991 et 1997.

Il importe de rappeler ici, l'idée de projet d'un deuxième gazoduc reliant l'Algérie à l'Italie qui avait été sérieusement envisagée durant les années 1980 qui ne put être concrétisée en raison de la détérioration des données économiques du moment, se rapportant à l'étude de faisabilité du projet, liées principalement la chute vertigineuse des prix des hydrocarbures qui constitua, entre autres, l'un des facteurs essentiel de l'effondrement de l'économie algérienne à compter de 1986. Mais la réanimation, actuellement en cours, de l'économie algérienne, ressuscita ce projet sous une nouvelle vision et avec plus d'ambitions et une plus grande diversification en produits à transporter (gaz naturel, électricité, hydrogène et ammoniac) et en rapidité d'exécution. Ce projet qui relie directement l'Algérie à l'Italie, fut ficelé lors de la visite qu'a effectuée en Algérie, la Présidente du Conseil des ministres italien au début de l'année 2023, en réponse à la visite qu'avait effectuée le président de la République algérien Abdelmadjid Tebboune en Italie en mai 2022. C'est ce dont nous traiterons dans le cadre des géostratégies qu'ont induites les relations internationales en réaction à l'éclatement de la crise ukrainienne. (8)

5- Les géostratégies nées de la crise ukrainienne

L'Occident réagit à l'opération militaire russe contre l'Ukraine comme une réaction à piège surprise, par une série graduelle de diverses sanctions économiques et de soutien militaire. La pire des sanctions économiques fut le boycott du gaz naturel russe, source énergétiques dominante pour l'approvisionnement de l'Europe en général et l'Allemagne en particulier et qui représentait 40 à 45% des besoins européens en 2021. C'est alors que ce taux se réduisit, au fur et à mesure, jusqu'à chuter à 15% en fin 2023. Le gaz naturel russe, transporté par gazoducs vers l'Europe, tel qu'indiqué plus haut, fut, alors, progressivement remplacé par le gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance de la Norvège, du Qatar et du gaz schiste liquéfié des Etats-Unis d'Amérique à prix forts ayant atteint pour le gaz schiste liquéfié américain, quatre fois son prix en périodes normales.(9) S'activa, alors, le marché spot autour du gaz naturel liquéfié russe pourtant «banni» par les européens, sans que cela n'ait pu dérangé les recettes financières russes, manœuvres que la Russie avait bien anticipées. Les intermédiaires y sont nombreux et tirent de grands profits de ce marché (spot), la Russie comprise. L'économie russe, en effet, sut s'y adapter. Elle enregistra, contre toute attente, des taux de croissance économique positifs de l'ordre de 3,6% en 2023.

Au moment où les économies des pays européens détracteurs, connaissent toujours des taux de croissance, généralement de niveaux très faibles, frôlant les niveaux de la dépression économique. En plus de ces adaptations dans le domaine de commercialisation de son gaz, la Russie réorienta, progressivement, ses ventes de gaz de l'Ouest vers la destination asiatique, à moyen et long terme.

Par conséquent, elle réalise actuellement, un autre gazoduc (Sibérie 2) pour approvisionner la Chine en gaz naturel comme marché prometteur, de l'ordre de 50 milliards de m3 annuellement et dont le contrat (avec la Chine) a été conclu en mars 2023, venant s'ajouter au gazoduc qui fut mis en exploitation le 2 novembre 2019 d'une capacité de l'ordre de 61 milliards de m3. C'est de quoi remplacer l'essentiel de ses ventes traditionnelles à l'Europe après que celle-ci ait abandonné le gaz russe.

La Turquie, de son côté, exploite, à son profit, la circonstance géostratégique qu'a induite la crise ukrainienne pour encourager la réalisation d'un deuxième gazoduc traversant son territoire à destination de l'Europe, en provenance du Turkménistan, pays riche en énergie (pétrole et gaz) et qui est classé comme sixième réserves mondiales et ce, à côté du gazoduc actuellement en service et transportant, via Azerbaïdjan et l'Anatolie (turque) vers l'Europe, le gaz naturel de la mer Caspienne, en plus du gazoduc traversant la mer noire venant de Russie que nous avons déjà évoqué.

Ceci transformera, à coup sûr, la Turquie en «Hub» gazier stratégique vers l'Europe.(10)

Quant aux quantités de gaz naturel algérien à l'état gazeux et liquéfié destiné à l'Europe durant ces circonstances, elles n'étaient que marginales, en raison de la saturation des capacités algériennes des gazoducs reliant l'Algérie à l'Europe et en raison des limites de ses capacités de liquéfaction du gaz naturel. Mais une augmentation progressive des exportations algériennes du gaz naturel est programmée à destination de l'Italie. Elle est de l'ordre de 12% pour 2024 pour atteindre 28% en 2025 par rapport à 2022. Augmentèrent également, les exportations algériennes de gaz naturel liquéfié vers la France de 30% en 2023 par rapport à celles de 2022.

Mais l'important dans l'interaction de l'Algérie avec les évolutions géostratégiques qui sont survenues sur les investissements dans l'industrie du gaz naturel, dans son transport et dans son marché, tel que nous venons de le voir, à côté de son respect des contrats d'approvisionnement de l'Espagne et l'augmentation des quantités livrées à la France et à la Bretagne et la conclusion de contrats stratégiques avec l'Italie et l'Allemagne dans le domaine de coopération industrielle et commerciale dans le domaine du gaz naturel et des énergies renouvelables, est le rôle éminemment stratégique que prend l'Algérie à sa charge dans la garantie d'une part de plus en plus importante dans l'approvisionnement de l'Europe résignée en gaz naturel. L'Italie y joue, en vertu d'accords conclus en juillet 2022 et en janvier 2023 avec l'Algérie, un rôle de «hub» consistant à réceptionner de l'Algérie, gaz naturel, électricité, ammoniac et hydrogène afin de les commercialiser en Italie, en Allemagne et en Autriche et dans d'autres pays européens. Comme l'Algérie a conclu avec l'Allemagne, au mois de février 2024, un accord dans le but de créer un groupe commun de travail pour produire, stocker et transporter l'hydrogène vert propre et ses dérivées destinés au marché allemand, tout particulièrement.(11)

Ce rôle stratégique de l'Algérie dans le marché européen du gaz naturel ira grandissant après la fin des travaux de réalisation du gazoduc transsaharien devant transporter le gaz du Nigéria via le Niger et l'Algérie et dont l'accord le concernant a finalement été conclu lors du forum des pays exportateurs du gaz qui s'est tenu en Algérie visé au début de la présente contribution. Ce gazoduc garantira annuellement à l'Europe des quantités supplémentaires de l'ordre de 30 milliards de m3 de gaz du Nigéria auquel pourraient venir s'ajouter le gaz sénégalais et celui de la Mauritanie après l'adhésion de ces deux pays au Forum des pays exportateurs du gaz lors de sa septième session et ce, hors les suppléments qui pourraient venir du gaz malien et nigérien si les prospections des hydrocarbures engagées avec la participation de la société nationale algérienne Sonatrach dans ces deux pays, pouvaient déboucher sur des résultats concluants.

A moyen terme, l'Algérie aura la lourde responsabilité d'approvisionner annuellement l'Europe pour quelques 80 à 100 milliards de m3 de gaz naturel par gazoduc (en direction de l'Italie, de l'Espagne, de l'Allemagne et de l'Autriche via l'Italie). Mais pour le gaz naturel liquéfié, l'Algérie ne participe actuellement qu'à concurrence de 9,4% dans la satisfaction des besoins du marché européen qui croissent proportionnellement au recul des importations européennes du gaz naturel russe par gazoduc ; sachant que les besoins globaux annuels de l'Europe en gaz naturel gazeux et liquéfié s'élèvent à quelques 400 milliards de m3 dont 155 milliards de m3 étaient satisfaits par le gaz naturel russe avant la crise ukrainienne. A croire que l'objectif affiché par l'Algérie par la voix de son président de la république le 13 décembre 2022 pour exporter annuellement quelques 100 milliards de m3 de son gaz naturel, verse aussi dans le but de contribuer à la prise en charge de cette préoccupation européenne.(12)

C'est une lourde responsabilité qui pèse déjà sur les épaules de l'Algérie à ainsi contribuer à soutenir le climat de coopération entre les pays exportateurs et les importateurs du gaz naturel, en traduisant dans les faits, l'esprit qui a sanctionné les travaux du forum des pays exportateurs de gaz lors de sa dernière session. Ce qui autorise, en contrepartie, le droit de bénéficier, sans restriction, des technologies avancées et à participer à leur innovation dans le cadre de la politique de promotion des «start up» que l'Algérie a méthodiquement engagée pour sa concrétisation. Ceci dans le but d'un codéveloppement plus profond avec les importateurs de gaz.

Puissent, alors, le câble de fibre optique qui a atteint à ce jour les frontières sud de l'Algérie avec le Mali et le Niger en parallèle avec la réalisation de la route transsaharienne au départ des côtes algériennes et dont la réception est imminente, et la voie de chemin de fer à grande vitesse fort prometteuse, programmée sur le même tracé et dont une grande partie, située en Algérie, a déjà été réceptionnée, (puissent) ces colossales et synergétiques infrastructures, constituer des conditions suffisantes pour la concrétisation des objectifs du codéveloppement de tous les pays de cette sous région africaine en saine collaboration avec les pays du Nord.

En guise de conclusion de ce que nous venons de traiter dans cette contribution pour répondre à la question que nous lui avons choisie comme titre, rien ne sépare, métaphoriquement, «le paradis» et «l'enfer de notre monde,» sauf un très mince fil tel l'emblématique «cheveux de Mouâouya»(13) que renforcent les valeurs humaines qu'incarnent l'amour du bien à tous les peuples au travers d'une coprospérité pour tous, mais que les égoïsmes peuvent saper, que l'acharnement de domination peut assouvir et que les relations internationales nées d'un système mondial toujours déséquilibré et injuste peuvent perpétuer. Cet ordre mondial que le défunt président algérien Houari Boumediene avait merveilleusement identifié en lui proposant des remèdes salutaires, un certain 10 avril 1974 du haut de la tribune des Nations Unies. L'Algérie demeure convaincue de ses hypothèses, fort croyante en elles et aux propositions de solutions préconisées, y compris ce qui a traitaux conclusions de la présente contribution.

*Economiste, ancien ministre

Notes :

1. Agence Algérie Presse APS. Publié le 17 décembre 2022 à 16 :46 sur le site électronique de l'Agence

2. Ekwateur. Fr1- 2024 La production mondiale globale du gaz. Et les plus importants pays producteurs de gaz, leur classement en Top 10 et le total des exportations mondiales de gaz naturel et les principaux pays exportateurs.

3. Agence Algérie Presse APS.

Publié le 02 mars 2024. A 17 :22

4. Le Président Directeur Général de Sonatrach le 29 février 2024.

5. Agence Algérie Presse APS. Publié le 02 mars 2024 à 17 :22

6. Abdelmadjid Attar ancien ministre de l'énergie . Ancien PDG de Sonatrach

7. http//wwwenergy.gov.dz

8. Agence Algérie Presse APS. Publié le 23 janvier 2023 à 17 :35 sur le site électronique de l'Agence.

9. Le courrier international. L'ancienne Chancelier allemande .Publié le 12 décembre 2022

10. LA TRIBUNE. latribune.fr2

11. H2 mobile.fr Publié le 19 février 2024

12. Agence Algérie Presse . APS. Publié le 13 décembre 2023 à, 20 :23.

13. Mouâouya est le premier Khalif des musulmans de la dynastie des Omeyades, venu aux règnes des musulmans après le dernier des Khoulafa Er-Rachidine, réputé pour son habilité, ses ruses, son ingéniosité, sa perspicacité... Il conseillait aux négociateurs dans toute affaire de sa Raiya , (ses sujets)de ne jamais rompre les négociation en les comparant à un cheveux en tiraillement entre deux personnes auxquelles il conseillait de ne jamais trop dans un sens ou dans l'autre de lâcher le cheveu quand le vis-à-vis le tire et de le tirer quand le vis-à-vis le lâche. D'où le dicton «cheveu de Mouâouya».