Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le droit d'avoir des droits

par Mahdi Boukhalfa

Le rapport périodique du département d'Etat US sur les droits humains dans le monde, y compris en Algérie, est une bonne chose. Non pas que cela justifie une ingérence politique que certains milieux n'hésitent pas à qualifier d' «intolérable», ou que cela donne le privilège à la première puissance économique et militaire mondiale le pouvoir discrétionnaire de juger les autres sans prêter attention aux graves violations des droits de l'homme aux Etats-Unis, en particulier contre les minorités raciales. Car il n'y a pas pire pays au monde où les arrestations sont les plus arbitraires, où les assassinats de type «basanés» sont devenus une marque de fabrique de la police américaine, où les droits civiques des minorités raciales sont foulés aux pieds.

Non, cela tout le monde le dénonce, mais ce qui chiffonne dans ces rapports du ministère des Affaires étrangères américain, c'est qu'à chaque rapport sur l'état des droits de l'homme dans le monde, le début commence invariablement par «nous sommes une nation fondée sur la conviction que chaque personne est dotée de droits inaliénables. La promotion et la défense de ces droits sont essentielles pour ce que nous sommes en tant que pays». Une notion des droits humains et civiques à partir de laquelle les politiques américains tentent de jauger ce qui se passe dans le monde sans se préoccuper de ce qui se passe chez eux. Mais, cette partie non négligeable de la politique étrangère des Etats-Unis en fait autrement une force de frappe politique pour amener là où il est impossible de dire les choses crûment, à faire toucher du doigt certains dirigeants de pays où les droits de l'homme sont souvent une notion inconnue.

C'est également une bonne chose, parce que celui qui croit être au-dessus de tous, avoir la force de l'argent et la puissance des armes, peut aider les autres, ceux qui en ont le plus besoin, à avancer, à s'améliorer dans le long chemin du respect de la dignité humaine, de l'Humain, quelle qu'en soient ses conditions sociales et culturelles, ou la couleur de sa peau, ses origines, sa religion. Bien sûr, le «gendarme du monde» reste ce qu'il a toujours été, plus un «cerbère» qu'un philanthrope quand il s'agit de ses intérêts, mais la surveillance des droits de l'homme dans le monde et leur respect impliquent certaines concessions morales que beaucoup ne sont pas prêts à admettre, au nom de la sacrosainte souveraineté nationale ou pseudo-nationalisme débridé.

Mais, si des pays comme l'Algérie sont mentionnés dans ce rapport, et qu'il n'y a pas généralement de protestations officielles, c'est que quelque part il y a forcément, disons-le par euphémisme, des choses à améliorer en matière de respect de la dignité humaine, des libertés publiques, le droit inaliénable des Algériens à être égaux en droits et devoirs. Et, surtout, à ce que toute forme de «hogra», d'où quelle vienne, ne serve pas d'alibi à tous les dérapages. Car il y a cette fierté bien atavique des Algériens qui refusent que des étrangers se mêlent de leurs affaires et leur donnent des leçons de bonne conduite. En particulier sur ces leçons permanentes, parfois dégradantes, sur le respect des droits de l'homme prodiguées ici par des ONG «droits de l'hommistes», là par des pays ou des institutions du style états-unien.

Pour autant, la fierté nationale de tout un chacun fait qu'il faut éviter que les autres ne viennent nous donner des leçons de bonne conduite ou fourrer leur nez dans nos affaires et qu'à ce moment-là, il faut tout simplement être extrêmement regardant sur l'état des droits de l'homme dans notre pays, sur les dépassements, les corriger et les éliminer. Pourquoi «se taper dessus» ou se faire bâillonner, cela n'a pas de sens dans notre pays ? Une raison de plus pour éviter à l'avenir des rapports désobligeants sur le respect de la dignité humaine dans notre pays, établis par un pays où le respect des droits civiques reste un problème, 50 ans et 17 jours après l'assassinat de Martin Luther King.