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L'indifférence «sensible»

par Kamal Guerroua

Parfois, faire semblant de n'avoir rien su, rien vu ni rien entendu, est un signe de bonne santé mentale. L'indifférence est un remède contre la bêtise. Les gens doués sont, peut-être j'exagère un peu ici, les plus indifférents. Etre indifférent permet le repos de l'âme et une certaine liberté intérieure qui nous approche de «l'orgasme de la raison. On ne peut penser efficacement que quand on est vraiment indifférent, c'est-à-dire, quand on évite le sentimentalisme et les passions débridées. L'indifférence est un art, avant qu'il ne soit un état d'esprit. Notre prof de sociologie à l'Université d'Alger nous conseillait souvent en classe d'être des «indifférents sensibles». Et face à notre étonnement de l'absurdité de cet oxymore, il disait que «trop de sentimentalisme et de générosité font souffrir l'âme plus qu'ils ne la guérissent. L'indifférence pour le vieux prof n'est pas de l'égoïsme pourvu qu'elle soit nourrie d'une certaine sensibilité intérieure sagement endormie. Autrement dit, «l'indifférent sensible» sait que, quelque part, il y a un mal fait et comme il ne pouvait rien faire, il préfère se taire, le temps de reprendre ses forces pour agir. Car, si l'on est «sentimentaliste généreux» et qu'on ne peut rien faire, on deviendra doublement malades et on perdra un peu trop d'énergie pour rien. Pire, on peut même sombrer dans la dépression. C'est le cas des perfectionnistes qui veulent que le monde soit parfait et que rien n'y manque. Ce qui est impossible! «Prenons, poursuivait le prof, l'exemple d'un orphelin qui a perdu ses deux parents et qui se trouve élevé dans sa famille élargie. Pour y vivre, ce dernier doit apprendre à encaisser les coups, c'est-à-dire à voir, entendre et subir beaucoup d'épreuves difficiles. S'il arrive à soigner son indifférence, il résistera facilement à la sauvagerie du monde et s'en sortira vainqueur. Mais s'il cultive avec exagération le sentimentalisme, il tombera dans le complexe de la victimisation et il verra la faille partout chez les autres, à part lui-même. Or, les autres ne sauraient être ses sauveurs s'il ne se sauve pas lui-même.»