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![]() ![]() ![]() Mendicité en Algérie : entre misère réelle et système organisé !
par Cherif Ali* ![]() Une activité moins
spontanée qu'il n'y paraît
Il ne faut pas croire que c'est une activité totalement spontanée et désorganisée ; elle obéit à une structuration rodée et hiérarchisée avec des leaders, des kapos et des besogneux, avec à la clef des recettes à faire pâlir les capitaines d'industrie les plus entreprenants : de 8.000 à 10.000 dinars, voire plus, par jour et par mendiant ! Il faut déjà repérer des lieux, savoir se démarquer et apitoyer, quitte parfois à s'appuyer sur des artifices. Quelques-uns peuvent simuler des handicaps ou amplifier une situation pour qu'elle apparaisse plus dure qu'elle ne l'est en réalité ce qui ne signifie pas qu'elle soit simple. D'autres vont miser sur les larmes ou même faire des petites mises en scène pour retenir l'attention. La mendicité est bien plus structurée qu'elle ne peut apparaître au premier abord. Elle est même parfois exploitée par des réseaux qui vont envoyer des enfants mendier. Du besoin sincère à la mise en scène millimétrée Mais c'est bien d'une profession ignoble dont on parle, même s'il ne faut pas oublier qu'il y a encore des nécessiteux qui s'abstiennent souvent de tendre la main et, s'ils s'y résignent, c'est en désespoir de cause. Pourquoi donne-t-on à tel mendiant et pas à un autre ? On donne, rappelait un imminent docteur en sociologie, parce que tel ou tel mendiant nous semble digne de notre don, mais nous sommes touchés de manière différente par une même situation. Par exemple, certains vont être plus généreux avec les plus âgés parce qu'ils estiment qu'ils en ont vraiment besoin alors que les plus jeunes peuvent trouver du travail. À l'inverse, d'autres préfèrent épauler ces derniers pour qu'ils s'en sortent. Donner ou ne pas donner : les ressorts du geste solidaire Les ressorts, souvent inconscients d'ailleurs, varient également d'un individu à l'autre : on donne parfois parce qu'on s'identifie ou, au contraire, une situation trop proche de la nôtre peut nous repousser. Il n'y a pas de règle précise, chacun bricole en fonction de son histoire, ses valeurs, ses émotions. Dans les grandes villes, on est quotidiennement sollicité, on ne peut pas donner à tous, chacun développe ses propres stratégies. Racket social déguisé : quand l'aide devient une exigence Certains ne donnent jamais, à croire qu'ils seraient indifférents face à cette misère ? Voyant un homme encore jeune déjà arrêté une quinzaine de fois, je ne pus m'empêcher de dire : « Mais la mendicité est donc un vice incorrigible ?» Un employé qui passait répondit : « La mendicité est une passion ! » Maxime du Camp) Personne n'est totalement indifférent, selon ce même professeur de sociologie à Sciences Po ; lorsqu'on détourne le regard ou qu'on fait semblant de ne pas voir, c'est qu'on ressent déjà de la gêne, parfois de l'agacement. D'une manière générale, on observe deux types de comportements vis-à-vis de la mendicité : - Ceux qui donnent presque systématiquement à une personne bien précise, - Et ceux qui ne donnent jamais. Les raisons sont multiples : manque de moyens, perception de fraude, contribution déjà faite par les impôts, ou encore peur de financer drogue et alcool. Mendier n'est plus une honte pour beaucoup ! Pire, certains mendiants s'imposent avec autorité : viande demandée chez le boucher, mouton exigé, ordonnances médicales galvaudées, faux gardiens de parking tout y passe. Mineurs instrumentalisés : urgence à protéger l'enfance Les faux mendiants sont organisés en bandes, transportés et ventilés par des réseaux mafieux ; ils agissent comme des employés structurés soumis à des quotas. À Alger comme ailleurs, on remarque souvent de jeunes femmes avec des nourrissons marmonnant des litanies pour faire pitié. Cet étrange duo « mère-bébé », cloné à souhait, ne trompe plus : l'enfant n'est souvent pas le sien. Face à la mendicité des mineurs, il y a urgence absolue à agir : 1. Sauvegarder ces enfants de la rue, stigmatisés avant même d'avoir une prise sur leur propre vie. 2. Demander des comptes aux parents indignes, voire les déchoir de leur tutelle. Un vide juridique à combler face aux réseaux mafieux La loi existe pourtant ! L'ordonnance n°69-51 du 17 juin 1969 interdit la mendicité et le vagabondage sous quelque forme que ce soit sur tout le territoire national. Elle prévoit une peine d'emprisonnement de 2 mois à 2 ans, portée à 5 ans en cas de récidive. Mais cette loi reste insuffisante face à la complexité du phénomène actuel. Il est urgent de légiférer sur l'exploitation organisée de la mendicité pour combler le vide juridique et frapper les véritables instigateurs. Mendicité migrante : nouveau visage d'un ancien phénomène À cette mendicité locale s'ajoute celle, croissante, des migrants étrangers : dans les tramways, le métro, les cafés L'Algérie est confrontée à une pression migratoire, notamment venue du Niger. Ces migrants, souvent sans diplôme ni formation, sont soupçonnés de pratiquer la mendicité comme un métier appris chez eux, notamment à Arlit. Malgré des opérations de retour organisées en 2014, 2015 et 2021, le phénomène persiste : - Les migrants arrivent en famille, attirés par la réputation de la générosité algérienne. - Beaucoup vivent dans l'illégalité, et certains trouvent des emplois précaires chez des entrepreneurs peu regardants. Entre compassion et rejet : quelle politique publique face au fléau ? Le gouvernement alterne entre tolérance et reconduites ponctuelles, sans volonté apparente de régularisation. Les pouvoirs publics plaident pour une approche globale de l'émigration clandestine via le développement économique des pays d'origine. Mais, tant que la mendicité restera une « option rentable », il est difficile d'imaginer : 1. Une politique nouvelle de la ville 2. Un développement touristique ou économique durable 3. Une amélioration réelle du cadre de vie urbain Conclusion : une générosité sous tension Aujourd'hui, le sillon de l'entraide s'est amenuisé. Pour vivre, il faut s'assumer. Le « vivre sur le dos des autres » n'est plus un modèle socialement tolérable. Le bien commun s'est réduit, et le sens du travail et de l'effort a retrouvé sa légitimité.* La rente sociale exigée du prochain s'effrite, laissant place à une nécessité de réforme profonde et de justice sociale* (*)Mendiants professionnels (Abdou Benabbou) *Ancien Cadre supérieur de l'Etat |
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