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L'art de vivre en société

par Kamal Guerroua

En langue arabe, quand on parle de littérature, on dit «adab», qui donne au pluriel «âadab», c'est-à-dire, l'art de la politesse, du respect, de l'éducation, de bonnes manières. Etre poli, éduqué et courtois fait partie du savoir-vivre en société. Et c'est le savoir-vivre qui engendre le savoir-être. Savoir-être, c'est en termes terre-à-terre, comprendre les défauts de la société et tenter de composer avec, sans se renier soi-même.

Autrement dit, essayer d'améliorer en douceur, en pédagogie. El-adab, ce n'est pas " seulement " l'instruction, le niveau intellectuel, l'appartenance à la bonne et haute société, mais c'est " surtout " la compréhension de soi et des autres. Ce qui ne se concrétise que grâce à la communication. Quand on ne se parle pas, on ne se comprend pas et quand on ne se comprend pas, on entre en conflit avec soi-même et les autres. Et le conflit crée des hommes de ressentiment qui souhaitent tout le mal de la terre à tout le monde, sauf à eux-mêmes, comme si leur salut dépend du naufrage des autres. J'aime l'expression anglaise : " we are in the same boat " (nous sommes dans le même bateau) qui illustre, à mon humble avis, cette communauté du destin entre les enfants de la même cité, du même coin, de la même contrée, etc.

Il est quasiment impossible d'être heureux quand son voisin ne possède pas de quoi s'acheter une pincée de sel pour son dîner. Et que dire de ceux qui n'ont pas de toit ? Mince alors, un calvaire! Un ventre creux, dit-on, n'a point d'oreilles. Un ventre creux ne peut écouter que ses grouillements et n'a plus de temps pour écouter la philosophie de ceux qui se vautrent dans le luxe et la luxure, en parlant de l'égalité des droits entre femmes et hommes, de la laïcité, de la démocratie, etc.

Les Algérois répètent à ceux qui veulent bien les entendre cette maxime : " el khobz we el ma, we rassi fe sema ", en traduction littérale : " du pain nu, mais la tête haute ! " Mais cela reste, par les temps qui courent, un défi bête à ce monde déréglé où les valeurs n'ont plus pignon sur rue.

Comment expliquer, par exemple, à un enfant à l'école, que le printemps est beau, alors que ce dernier ne mange pas à sa faim, qu'il traverse pendant tout l'hiver des kilomètres sur une benne d'un tracteur pour rejoindre sa classe, qu'il ne sort nulle part en vacances avec ses parents? Je reformule ma question, de façon à être bien compris : comment peut-on espérer construire un gratte-ciel, alors qu'on n'a même pas réussi à planter un arbre ? Cet arbre, c'est l'enfant, l'adulte de demain, l'homme de l'avenir.