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Zelensky au Capitole

par Djamel Labidi

21 décembre 2022 Zelensky est à Washington. Lecture très particulière d'un (télé) spectateur.

Dans toutes les déclarations, l'une me frappe: durant tout le séjour de Zelensky, lui, Biden, et d'autres responsables américains vont dire et répéter que «l'Ukraine défend le monde libre», qu'elle «défend l'Amérique». À chaque fois , le Congrès américain, réuni au Capitole, va alors applaudir frénétiquement. Et pourtant, à les examiner de près, ces propos sont une aberration de la logique. En effet, comment un État faible, l'un des plus pauvres d'Europe, peut- il défendre les USA, l'État le plus puissant du monde ? Il y a là quelque chose qui échappe à l'entendement ou plus exactement il y a, là, révélé derrière cette absurdité du langage, un marché de dupes, où ce sont les ukrainiens qui sont conviés à déverser leur sang à flot alors que le pays qui est «défendu» ne versera pas une goutte du sang si précieux de ses citoyens. Apparait alors toute l'horreur du marché, de la transaction, celle de l'échange d'un fleuve de dollars et d'armes contre des fleuves de sang et de larmes. Tout le reste n'est que bavardage, propagande, idéologie, habillage de l'horreur.

Au fur et à mesure de la guerre, le flux de dollars grossit, et dans une Ukraine ravagée par les bombardements russes et ukrainiens, détruite progressivement, sans vie économique réelle, et ou pérore chaque soir, sur une scène illuminée par son destin hors norme, son acteur président, l'argent américain paie tout: les services de l'État, les fonctionnaires, les importations de denrées alimentaires, d'équipements, de biens , les soldats, les mercenaires . Peu à peu c'est toute une population qui vit ainsi de la guerre et qui.. en meurt. Et c'est ainsi que le Congrès américain en vient à applaudir la petite Ukraine qui défend la puissante Amérique. Quelle tromperie !

Du cinéma, du mauvais cinéma

Dans un tel contexte, on ne peut mettre de la grandeur là où tout est faux semblant. L'Amérique veut faire de cette visite de Zelensky un moment d'histoire. Comme toujours, elle a cette propension à croire qu'on peut créer un évènement historique à travers un évènement médiatique. On va alors à la recherche du symbole, de la phrase qui va rester, de l'image et du geste symboliques.

Mais dans cette cérémonie du Capitole, là où on voulait fabriquer en direct de l'Histoire, on n'aura que du cinéma, du mauvais cinéma .Les dialogues sont éculés, les phrases attendues, les clichés se succèdent: la défense de la liberté, des valeurs occidentales, du monde libre, de l'agressé contre l'agresseur. À chacun de ces mots et au signal de Mme Nancy Pelosi , la vieille dame respectable qui préside la Chambre des représentants, tout le monde se lève et applaudit frénétiquement. On se lève, on s'assoit, et on se relève, et on s'assoit, et on applaudit Zelensky parfois avant même qu'il ait terminé ou commencé sa phrase. Tout cela, vu de l'extérieur, est désopilant. Une scène, celle de la remise du drapeau ukrainien au Congrès, va être particulièrement médiocre. Elle était d'ailleurs téléphonée. On la sentait venir depuis la veille. Zelensky était allé à Bakhmut ( enfin c'est ce qu'on dit car il n'y a aucune preuve), et des soldats lui avaient remis un drapeau ukrainien pour le remettre, lui disent-ils, au Congrès américain. La scène avait été tournée laborieusement et on a fait répéter aux soldats dans le micro leur message au Congrès car il n'était pas suffisamment audible. Bref, Le lendemain, au Capitole, on voit alors arriver Zelensky, sortir ce drapeau et le remettre à la présidente de la chambre des représentants, Mme Nancy Pelosi. Celle-ci veut alors se pencher par-dessus son perchoir pour atteindre en bas la joue de Zelensky dans l'intention d'une accolade qui ne peut être donnée qu'à moitié vu la difficulté de l'exercice pour la vieille dame. Cocasse, difficile alors de ressentir une émotion historique. Ce drapeau ukrainien, dont nous parlions, que Zelensky vient offrir au Senat, au Capitole, apparait alors lui aussi comme du mauvais cinéma, une erreur de scenario. Dans la Rome antique, ce sont les drapeaux des peuples vaincus que les généraux barbares jetaient aux pieds de César. Mais là, il faudrait offrir celui de la Russie, ce qui est une autre histoire. Faute de mieux, Mme Nancy Pelosi lui offrira alors le drapeau américain enfermé dans une boite. Faute de goût. Quel sens peut bien avoir d'offrir chacun à l'autre son drapeau national ? Absurde. Du jamais vu. L'anachronisme, l'incohérence délirante de cette cérémonie d'accueil au Capitole ne fait que mieux apparaitre l'atmosphère démentielle dans laquelle cette guerre en Ukraine entraine le monde.

Une erreur politique

Cette visite à Washington est une erreur politique à la fois pour Biden et Zelensky. Elle révèle au grand jour, directement, sans masque, sans le camouflage de la propagande, une réalité: celle que cette guerre est celle de l'Amérique, que ce sont les États Unis qui l'orientent, l'inspirent, la dirigent, la financent et que Zelensky et le régime ukrainien n'en sont que les exécutants.

Tout dans cette visite le trahit. La venue de Zelensky pour exprimer son allégeance, la montrer, en convaincre, la liste qu'il remet de ses demandes et de ses suppliques à l'empire.

Quand il arrive, Zelensky est d'évidence troublé, impressionné d'être ainsi à la Maison Blanche dans le saint des saints de l'Empire, marchant dans les couloirs du pouvoir impérial, à côté d'un Biden, en César très protecteur.

Dans la séance obligée de l'entretien au coin du feu, Zelensky inconsciemment s'assoit tout au bord du fauteuil, les mains croisées sur les genoux, en face de Biden. Il est respectueux, déférent. Sa posture, son dos qui se voute légèrement, irrésistiblement, indiquent l'allégeance. C'est qu'il est en face de César, du Maitre, celui sans qui il ne serait rien. Biden s'efforce de le mettre à l'aise , quelques gestes amicaux, qui se veulent paternels, pour introduire un peu de démocratie, d'égalité, dans cette relation, mais en vain, le caractère inégal de la relation s'impose. Quelle différence dans cette attitude de Zelensky devant Biden comparée à celle qu'il a devant les autres dirigeants occidentaux. Le déclin des empires offre probablement des similitudes. Les généraux américains depuis 60 ans sont allés de débâcle en débâcle dans des aventures sans fin: Vietnam, Irak, Afghanistan... L'Amérique ne veut plus désormais que «ses boys» meurent à l'étranger. Maintenant les généraux américains commentent la guerre sur les plateaux de télévision. À l'époque du déclin de Rome, les romains ne pouvant ou ne voulant plus faire la guerre, c'est aux généraux barbares que Rome confiait la défense des marches de l'Empire, un peu comme aujourd'hui des pays européens veillent pour l'OTAN aux frontières de la Russie.

La revendication de Zelensky et de ses hommes de défendre l'Amérique et l'Occident prend alors tout son sens. Zelensky n'est pas comme il le croit, et comme lui et ses partisans le proclament sans cesse, un représentant du «monde civilisé», ce qui au passage nous révèle l'idée qu'il a de nous le «reste du monde». Zelensky est un général barbare qui vole au secours de l'Empire et à qui on fait croire un moment, par la flatterie et le clairon des trompettes, qu'il est le héros de l'Occident.

L'impérialisme russe

Au fond, c'est la première fois depuis des lustres, que ce ne sont pas les américains qui envahissent un pays. Pour la première fois depuis longtemps les américains se réfèrent au droit international, à l'intégrité territoriale, à la charte de l'ONU et non au droit d'ingérence. Ils ont le sentiment aujourd'hui de défendre la bonne cause, de tenir une cause juste. Partout leur personnel politique idéologique et médiatique répète sans arrêt « qu'il y a un agresseur et un agressé». Dans les pays occidentaux, certains militants, intellectuels, progressistes, hommes de gauche, qui pourfendaient naguère l'impérialisme américain sont tout heureux aujourd'hui d'avoir l'occasion de regagner le bercail .Ils dénoncent désormais le nouvel impérialisme, l'impérialisme russe. Ils sont même plus va-t'en guerre que leurs adversaires traditionnels. Mais ne faut-il pas se méfier des apparences. N'y a-t-il pas derrière celles-ci en fait les mêmes objectifs, ceux de toujours, la même politique d'hégémonie et de domination occidentales. Les révélations, dernièrement, de l'ex Chancelière Merkel, montrent comment le conflit a été préparé. Les accords de Minsk, suivant ses propres dires,» ont servi à donner du temps à l'Ukraine» pour qu'elle se prépare à la guerre.(7 décembre 2022, journal Die Zeit») Sur les plateaux, des généraux français confirment que depuis 2014 les États Unis et l'Europe préparent et forment l'armée ukrainienne aux standards de l'OTAN. Il est admis désormais que La «révolution de Maïdan» des forces antirusses a été un coup d'État contre le président démocratiquement élu, Viktor Ianoukovytch, et qu'elle a été appuyée au grand jour par les États-Unis.

Je ne sais où j'ai lu cette pensée qui m'a semblé d'une grande lucidité:

«Celui qui prend le premier les armes n'est pas forcément le coupable. Il peut y avoir quelqu'un qui est plus coupable, c'est celui qui l'a forcé à prendre les armes».

Au Capitole, les américains, toujours friands de ce genre de cérémonies, ont voulu faire revivre la pompe antique de l'accueil des héros. Mais cela n'a été qu'une caricature. Ils n'ont prouvé finalement que leur inconscience dramatique des dangers mortels de la situation actuelle. La volonté de paix a été la grande absente de la cérémonie.

Le conflit armé en Ukraine nous a fait entrer dans une zone inconnue de l'Histoire humaine, celui de la possibilité réelle d'une guerre entre deux grandes puissances à l'âge nucléaire. Actuellement la Russie ne fait pas la guerre aux États- Unis, mais les États- Unis font la guerre à la Russie par le relais des Ukrainiens . Si la Russie faisait de même, c'est-à-dire que, poussée dans ses derniers retranchements, elle faisait alors, elle aussi, la guerre aux États- Unis, ce serait la troisième guerre mondiale et l'holocauste nucléaire.

Que Dieu nous protège.