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Partenariat public/privé: Une formule et des réserves

par R. N.

Face à ceux qui affirment que «le système de partenariat public/privé (PPP) est une des formules aptes et de nature à permettre un investissement soutenu (...) », d'anciens responsables préviennent que «le procédé tel qu'il a été initié risque d'être une forme d'accaparement des entreprises publiques au prix le plus bas».

C'est l'UNEP (Union nationale des entrepreneurs publics) qui a remis la semaine dernière au goût du jour la formule du PPP et c'est son président, le PDG du groupe Cosider, Lakhdar Rakhrouk, qui a précisé que « si la situation actuelle de nos finances publiques n'autorise pas le recours massif au financement du Trésor public, le PPP peut constituer une alternative fort intéressante pour pallier à la raréfaction des moyens financiers destinés à la réalisation d'investissements (...) ». Il estime même que « le PPP pourrait contribuer à drainer des finances qui évoluent dans un contexte informel pour les orienter et les exploiter dans le cadre des investissements productifs ou des réalisations d'infrastructures ». L'UNEP a, par sa voix «réaffirmé sa disposition à promouvoir cette formule innovante (...) ». Dans son allocution, Rakhroukh a souligné qu'«il s'agit de procéder dans les meilleurs délais à l'élaboration du dispositif législatif et réglementaire fixant les modalités pratiques de sa mise en œuvre (du PPP ndlr) ».

Et a recommandé que «pour la réalisation des grandes opérations dans des secteurs comme les travaux publics, les énergies renouvelables, les transports, les hydrocarbures, les grandes infrastructures de base..., on doit nécessairement faire appel aux étrangers ».

Pour d'anciens responsables, «tout est lié au dispositif qui devra être (ré)initié pour la mise en œuvre du PPP, mais le cadre juridique ne suffit pas, il faut absolument qu'il y ait une volonté politique qui exige, impose et surveille la défense des intérêts de l'Algérie à chaque fois qu'il est question de lier une entreprise publique nationale à un partenaire étranger notamment ».

«Ce sont les étrangers qui en ont profité»

En évoquant les années 90 et en particulier 1996, au cours de laquelle il y a eu, a-t-il rappelé, «l'incarcération des cadres et la destruction des entreprises publiques », le PDG du groupe Cosider a lancé qu'«en 2000, quand on a voulu reconstruire, ce sont les étrangers qui en ont profité». Mais si les invités de l'UNEP ont rappelé, entre autres, «la réalisation réussie des 11 stations de dessalement d'eau de mer», ils se sont abstenus d'inclure dans leur liste le PPP établi entre la régie publique algérienne du tabac (MADAR) et le groupe émirati UTC et dont le PDG est Amara Charaf Eddine (présent à la réunion de l'UNEP) devenu cette année, président de la FAF.

Nos sources proches du Conseil d'administration de la société ont tenu à revenir aujourd'hui précisément sur «ce PPP qui a beaucoup lésé l'Algérie». Mais avant, c'est Boumediene Derkaoui qui nous en a parlé en précisant que «le partenariat algéro-émirati dans le tabac a été certes entrepris en 2000 lorsque Abdelhamid Temmar était ministre de la Participation et la coordination des réformes (MPCR), et moi j'étais son secrétaire général depuis juin de la même année. Temmar l'avait négocié avec deux personnes uniquement, une de son cabinet et la seconde de la présidence de la République, à ce moment, moi j'étais dessaisi depuis juillet 2000 des dossiers compte tenu des divergences d'ordre doctrinal que nous avions le ministre et moi en matière de privatisation ». Derkaoui tient aux détails parce qu'il soutient que « le diable est dans le détail ».

Il note en substance qu' «à l'époque, les négociations devaient être menées par Temmar sur instruction du président de la République, la question de l'opportunité ou pas de ce partenariat ne se pouvait même pas être posée ou discutée».

Notre interlocuteur nous fait savoir que « ce n'est qu'après le remaniement du gouvernement où Temmar a été remplacé par Nouredine Boukroukh que j'ai pris connaissance de ce dossier auquel ni moi ni les organes sociaux du ministère n'avions participé». Derkaoui affirme avoir dit au nouveau ministre que « le dossier est déséquilibré et que je lui conseille de différer son examen par le CPE, et dans l'intervalle, nous devons rappeler le cabinet international français avec lequel le ministère avait une convention pour qu'il nous délègue un expert pour procéder à l'expertise de ce partenariat». Le rapport établi par l'expert envoyé à Alger avait, affirme Derkaoui «effectivement confirmé nos inquiétudes et le dossier avait été renégocié avec la partie émiratie ».

«La priorité aux investisseurs arabes»

Ce qu'il faut savoir, selon lui, est que «le partenariat conclu en 2018 entre MADAR et les Emiratis ou UTC, n'a rien à voir avec celui conclu au début des années 2000 entre la Société nationale des tabacs et allumettes «(SNTA) en tant qu'investisseur public et Sofinance en tant qu'investisseur privé étranger ou (Araf Investment LTD et Arab Investors) pour lequel on est intervenu au temps de Boukrouh pour le rééquilibrer parce qu'on a constaté que trop d'avantages avaient été donnés aux Emiratis ». Il enchaîne que «les Emiratis avaient avancé à l'époque qu'ils avaient des licences pour toute la région Moyen-Orient-Afrique, la nouvelle société algéro-émiratie de tabac (SAET) issue de la SNTA qu'ils avaient créée était une joint-venture et avait donc pour seule mission ou objet social de fabriquer en Algérie les tabacs blonds qui étaient importés». La SAET a été créée sur la base de la règle 51% pour l'entreprise algérienne «dont 2% était détenus par d'autres parties et 49% pour les Emiratis », dit Derkaoui en nous précisant avoir quitté le MPCR suite au changement de gouvernement intervenu en 2002.

Contacté par nos soins, d'anciens responsables proches du Conseil d'administration, qui ont suivi le processus de «cession» de la régie publique de tabac aux Emiratis, ont accepté de nous donner quelques «bribes» des conclusions arrêtées par le CPE réuni en date du 23 décembre 2001. Le pacte des actionnaires qui a été signé en mai 2001 après une année de négociation, a été gelé, disent-ils, «après avis juridique de l'expert désigné par le Cabinet international à propos de la 1ère version du pacte d'actionnaires, avis sur la base duquel le CPE avait demandé aux actionnaires d'adapter le projet de partenariat au nouveau dispositif législatif et réglementaire relatif à l'activité du tabac et des produits tabagiques et de renégocier certaines clauses jugées restrictives et en défaveur de la partie algérienne ». A cet effet, plusieurs articles du pacte et des statuts de la nouvelle société ont été révisés, amendés ou carrément supprimés, l'un d'entre ces articles évoquait «la priorité accordée aux investisseurs arabes dans le cas d'une privatisation partielle ou totale de SNTA et au titre de laquelle elle devait «céder tout ou partie de ses équipements sur une période de dix (10) années ».

«La SNTA cédée à 700 millions de dollars»

Selon ces anciens responsables, «le plus dur et le plus pénalisant pour la SNTA a été décrété en 2018 lorsque la SNTA dont l'évaluation oscillait entre 2,5 et 3 milliards de dollars, a été cédée aux Emiratis pour 700 millions de dollars ». Dans une dépêche datée du 10 avril 2018 reprenant un communiqué du 1er ministère, l'APS avait fait savoir que « le Conseil des participations de l'Etat (CPE) a donné son accord pour l'élargissement du partenariat industriel entre le Groupe public MADAR (ex-Société nationale des tabacs et allumettes, SNTA) et l'entreprise mixte algéro-émiratie United Tobbacco Company (UTC)». Bien que la réalité des choses a démenti toutes ces données, le Premier ministère avait précisé qu'il s'agissait de «la location (et non pas la cession comme avancé par certaines sources) des installations et des licences de l'ex-SNTA à UTC contre un paiement de 3,5 milliards DA par an et la modernisation des installations et méthodes de la société publique». L'APS a précisé que «la société UTC est une entreprise mixte algéro-émiratie avec 51% d'actions algériennes et 49% d'actions émiraties ». L'agence avait rappelé que «l'ex-SNTA avait été restructurée en 2017, en groupe et a pris la dénomination de MADAR Holding lequel détient aussi des participations dans des sociétés telles la Société des tabacs algéro-émiratie (STAEM), la société mixte algéro-turque de textile Tayal et la Société d'investissement hôtelière (SIH) ».

En effet, c'est le premier pacte des actionnaires qui, selon les anciens responsables, avait décidé de fixer la part des Emiratis à un peu plus de 700 millions de dollars. En notant en outre que le capital de la SAET devait être détenu à hauteur de «49% par la SNTA, 40% par Araf, 4% par Sofinance et 9% par d'autres investisseurs émiratis », ils rappellent que l'un des articles stipulait que «les versements effectués par les investisseurs arabes pour le compte de la SNTA et SOFINANCE (7.400.000 US dollars), non remboursables se font au titre et en raison de la conclusion du partenariat, objet de ce pacte ».

«1,8 milliard de dollars de pertes pour l'Algérie»

D'autres clauses exigeaient que «le 1er appel de fonds par le directoire au titre de la libération du capital restant, s'effectue dans le mois suivant la conclusion du premier contrat de licence; et le reliquat du capital devant être libéré s'effectue sur appel de fonds du directoire sans toutefois excéder le délai de cinq (05) ans, conformément aux dispositions du code de commerce». En fait, relèvent nos sources, «ce partage du capital de la SNTA montre que la règle 51/49 a été inversée pour en accorder 51% aux Emiratis réunis (Sofinance, Araf et autres investisseurs émiratis) et 49% à la SNTA». Ils estiment que «le partenariat entre MADAR et les Emiratis est contraire aux lois de la république. C'est avec un ton amère que ces anciens responsables rappellent qu' «avant ce partenariat, l'Algérie était le seul pays à maîtriser de bout en bout le processus de fabrication du tabac, de sa culture à sa production, à sa transformation, à son emballage, de 62 à 88, la SNTA en fabriquait 80% des marques nationales et 2% provenaient de l'informel». Pis encore, ils affirment que «la fiscalité du tabac qu'engrangeait l'Algérie avant cette cession a été totalement bloquée pour bénéficier aux Emiratis». Ils soutiennent ainsi que «depuis que le paquet d'une certaine marque fabriquée ici en Algérie est passé de 120 à 330 DA, l'Algérie perd chaque année plus de 1,8 milliard de dollars parce que ce sont les Emiratis qui lui en fournissent les matières premières de l'étranger». Vu sous cet angle, pour eux, « le PPP est une forme d'accaparement des entreprises publiques au prix le plus bas». En interrogeant «si le PPP ne serait pas une formule pour céder les entreprises publiques pour une bouchée de pain ? », celui conclu par MADAR leur fait dire toutefois que «ce genre de partenariat est une absurdité en soi, loin de toute vision patriotique de l'économie, sur le long terme, il fait perdre au pays l'outil de production sous couvert de son redressement, son renflouement financier et sa relance ».