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Performance et rentabilité des guerres américaines

par Abdelhak Benelhadj

Nombreux sont ceux qui cultivent secrètement des sentiments ambivalents à l'endroit de la machine de guerre occidentale, américaine en l'occurrence, y compris parmi ses plus fervents critiques. Certains se pâment discrètement d'admiration devant les « performances » technologiques de l'armée américaine. Washington en a parfaitement conscience. Cela fait partie de son autre panoplie guerrière : le « soft-power ». Et ça marche, surtout parmi les intellectuels en perte de certitudes.

Peu cependant ont conscience qu'ils prêtent plus à l'Amérique qu'elle ne peut rembourser.

Ce qui suit n'est inspiré par aucun cynisme.

Si on n'esquissait une mesure de la performance guerrière américaine qu'en termes coûts/bénéfices, on devrait se rendre à l'évidence : le résultat de ces campagnes militaires est très décevant. Le coût exorbitant des moyens mobilisés dépasse, et de loin, les avantages obtenus sur le terrain.1

Les pertes de l'« ennemi » sont innombrables, mais comme il s'agit dans l'écrasante majorité de civils désarmés, le calcul est bien moins flatteur. Il peut même se retourner contre ceux qui le croient en leur faveur.

C'est encore plus décevant lorsque les guerres se terminent par des défaites et d'ajouter, à la débandade militaire, la confusion politique. L'humiliation est, pour ce qui concerne le retrait d'Afghanistan aujourd'hui, douloureusement ressentie et déplorée par une partie de l'opinion et de la société politique américaines. Et même au-delà. Les dirigeants européens écartés de la décision (à la fois d'attaquer et de se retirer), ruminent ce revers avec beaucoup de dépit et d'amertume.

Antony Blair, désinformateur en chef au service de l'Amérique belliciste (1997-2007), illusionniste de la « 3ème voie » (sans issue) pour opinions en perte de repères, voit dans le retrait chaotique d'Afghanistan un second désaveu, une station de plus dans son chemin de croix et ne retient pas sa colère : « En observant les conséquences de la décision de rendre l'Afghanistan au même groupe que celui d'où est parti le carnage du 11 septembre, et d'une manière telle qu'on semble mettre en scène notre humiliation, la question que se posent alliés comme ennemis est : l'Occident a-t-il perdu toute volonté stratégique ? ».

Certes, les arrière-pensées politiques de cette rancoeur publiquement étalée, relève aussi de la compétition politique interne. Aux Etats-Unis, à peine élu, on est déjà en campagne. Les « midterm » ne sont pas loin et D. Trump affûte déjà ses armes pour régler ses comptes.

Combien de guerres entreprises pour consolider un parti ou pour perpétuer une politique... Les exemples ne manquent pas.

« Juste Rétribution » et déficits israéliens au sud-Liban

Juillet 2006. Tout commence par une attaque du Hezbollah contre une patrouille de l'armée israélienne à la frontière et de tirs de roquettes. Résultat : huit soldats israéliens tués et deux autres capturés en vue d'échange contre des prisonniers en Israël.2

L'ampleur de la réaction israélienne sera, comme souvent, démesurée. Les dégâts côté libanais se comptent à plus de 1 000 morts civils dont 30% d'enfants de moins de 12 ans, plus d'un million de réfugiés, une majorité des infrastructures du pays détruites, de nombreux quartiers résidentiels rasés, une marée noire en Méditerranée...

Argument. Claude Lanzmann, dans Le Monde du 03 août justifie ainsi les « excès » israéliens : On ne s'attaque pas à Israël impunément. Mieux : L'hubris est l'expression constitutive de la survie d'Israël et le prix que paie celui qui ose la menacer. « Voilà bien longtemps qu'Israël n'existerait plus s'il ne réagissait pas avec ?démesure'. Le Hezbollah n'ignorait rien de ce qui allait advenir : il savait quel prix Tsahal attache à la vie de ses hommes... »

Georges Bensoussan (Le Monde du J. 31.08.06, 13h49), lui emboîte le pas et confirme le principe : « Si [les armes] d'Israël renoncent à la disproportion, c'en sera fini de l'Etat d'Israël. »

« Il y a une énorme différence entre nous (Juifs) et nos ennemis. Pas seulement dans la capacité, mais dans la morale, la culture, le caractère sacré de la vie et la conscience. Ils sont nos voisins ici, mais c'est comme si, à quelques centaines de mètres, il y avait un peuple qui n'appartenait pas à notre continent, à notre monde, mais qui appartenait véritablement à une autre galaxie. ». (Jerusalem Post, 10 mai 2001) Président israélien, Moshe Katsav.3

Les opérations israéliennes ont choqué et indigné politiques et organisations humanitaires, y compris ceux qui comptent traditionnellement parmi les soutiens de « l'Etat hébreu », aujourd'hui uniquement « juif ». Mais là n'est pas le propos.

Le propos s'intéresse à la performance de la réponse israélienne.

Après le combat (et même bien après), les pertes enregistrées par les deux camps révèlent des chiffres contrastés. Les pertes s'établissent comme suit :

Liban : 1385 (Hezbollah : 250), dont pertes militaires totales : 285 (35 soldats libanais)

Israël : 159, dont 120 militaires tués.

Les ratios sont sans appel. Les pertes militaires libanaises sont de 20.6% et israéliennes de 75.5%. A l'évidence, si la guerre vise à réduire la puissance militaire de l'adversaire (mesurée au nombre de ses combattants), aussi peu soient les moyens dont dispose le Liban (en l'occurrence le Hezbollah), son efficacité est supérieure.

Il tombe sous le sens que la supériorité matérielle de l'armée israélienne n'est pas discutable. A l'inverse de sa « productivité ».

Pour illustrer le propos, on peut reprendre une dépêche de Reuters du 23 juillet 2006 relatant l'occupation par les forces israéliennes du village frontalier libanais Maroun al Ras. L'agence diffuse un communiqué de Hezbollah reconnaissant la perte de trois de ses combattants : « L'ennemi ment à son propre peuple et au monde en présentant l'occupation de Maroun al Ras comme un grand exploit militaire ». « Une armée qui, déployant ses forces d'élite et ses chars appuyés par ses forces aériennes, n'arrive à pénétrer dans un village frontalier qu'après plusieurs jours de combats (...) est une armée vaincue et inutile. »

Le soutien dont se prévaut Israël de part le monde, en particulier eu Europe et en Amérique du nord élargit le rapport de forces.

Le ministre italien des Affaires étrangères Massimo D'Alema dans le magazine Time avait alors très vite vu le péril : « La nature du conflit a changé », constate-t-il. « Ce n'est pas simplement un conflit israélo-arabe. Il y a le risque qu'Israël soit considéré comme le premier avant-poste hostile de l'Occident et à l'ère du choc des civilisations, c'est très dangereux ». (Reuters, D. 27/08/2006, 03h04).

Lors du sommet du G8 (avant que la Russie n'en soit chassée en 2014 après y avoir été intégrée en 1998) le 17 juillet 2006 à Saint-Pétersbourg, levant toute équivoque sur l'identité du donneur d'ordres, George W. Bush confiait à Jacques Chirac : «Il ne s'agit pas d'une opération israélienne approuvée par les Etats-Unis, mais d'une opération états-unienne exécutée par Israël.» 4

Les Beyrouthins, eux, ne s'y sont pas trompés : devant chaque ruine, ils ont placé un panneau avec écrit dessus : « Made in USA », signalant au vrai architecte de leurs malheurs qu'ils ne se tromperont pas d'ennemis.

En sorte que, dans le calcul de la « performance » israélienne, on devra intégrer le système global dont il ne représente qu'une partie. Ce qui en augmentera les coûts et en réduira d'autant la rentabilité.

Les réussites d'Israël dans divers domaines des sciences et technologies ne font pas toujours mention des coopérations entretenues avec des universités, laboratoires et entreprises occidentales, n'évoquent pas les chercheurs formés en Europe ou aux Etats-Unis ou venus s'y établir au titre de l'Alya.

Exposition universelle de Paris, juin 1937. Devant le tableau « Guernica », Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne à Paris demande : « C'est vous qui avez fait ça ? » Picasso répond : « Non, c'est vous ».5

Symétrie et asymétrie

L'expression « guerre asymétrique » est paradoxale puisqu'une guerre par définition suppose peu ou prou une symétrie (logique, non une équivalence ou une égalité de moyens militaires). Ce présupposé vient probablement des guerres européennes du XIXème siècle qui sont à l'origine même de la pensée polémologique à la base des théories actuelles, avec des apports rétrospectifs empruntés à Sun Tsu ou à Machiavel.

Entre Israël et ses voisins, en l'occurrence le Liban et la Palestine, il ne s'agit pas à proprement parler de guerre. Même les guerres antérieures « guerre du Viêt-Nam », « guerre d'Algérie », « guerre du Golfe »... ne sont pas des guerres, comme celles que la France et la Grande Bretagne ont déclarées à l'Allemagne en 1939, après l'invasion de la Pologne, ou que celle que l'Allemagne a déclarée aux Etats-Unis en décembre 1941, après Pearl Harbor.

L'expression « guerre d'Algérie » a eu la préférence des Algériens récusant les « opérations de police, de rétablissement de l'ordre public » et pour internationaliser les « événements d'Algérie » afin que le monde sache qu'il s'agit bien non à proprement parler d'une guerre (fût-elle de libération) mais bien d'un processus de décolonisation.

La « guerre asymétrique » signifie l'agression du faible par le fort. Une guerre que fait le fort au faible. Et la réponse de celui-ci à celui-là. Car c'est bien cette réponse qui fait problème.

Ce n'est pas la manière de se battre qui doit être interrogée. Seule la légitimité de la cause importe.

On reproche aux mouvements de libération de choisir la guérilla pour se battre. Et on les traite de « terroristes ». Aurait-on voulu que les partisans du Hezbollah se battent avec des chars et des avions et se manifestent ainsi au regard de leurs ennemis dotés d'une puissance qui les réduirait en poussière ? Les Etats arabes ont choisi de se doter d'armes « classiques » importées qui coûtent cher à leur économie et leurs armées servent tout juste à parader ou se retourner contre leur propre peuple.

Argument : L'armée de Saddam Hussein, son aviation notamment, a été éliminée dès les premières heures du déclenchement de la « Tempête du désert » en janvier 1991. Ayant pris en compte cette leçon, en mars 2003, il a enterré ce qu'il a pu et déménagé (paradoxalement en Iran qui l'a nationalisée en « réparation » de la guerre déclarée par l'Irak en 1979) une partie de son aviation.

Conclusion : Chaque adversaire adopte la tactique et la stratégie de ses moyens et de sa culture militaire. Tout le reste est polémique et propagande, relevant d'un autre espace de la guerre.

Des multiples facettes de la guerre

Il serait toutefois insuffisant de s'en tenir à ce niveau d'analyse car il ne prend pas en compte toutes les facettes du problème.

Si, pour un bref instant, on laisse de côté la dimension affective et morale des conflits, on peut approfondir et enrichir cette question à l'examiner sous un autre angle de vue.

Il est entendu que l'armée américaine a perdu des soldats -toujours trop nombreux dans un pays où la mort des « boys » coûte cher politiquement. Et cela même si les Etats-Unis, après la guerre du Vietnam, ont professionnalisé leurs opérations et ont renoncé -comme d'autres- aux soldats du contingent, en augmentant les compétences et le contenu technique des moyens mobilisés.

Cependant, ces coûts humains et matériels considérables, s'ils affaiblissent la « rentabilité de l'investissement » à l'échelle militaire, lui donnent une dimension différente lorsqu'on considère ses impacts plus larges, à l'échelle économique, technologique et industrielle. Le principe de la séparation des activités militaires et civiles est discutable quand on sait leur inextricable interpénétration et interférence : de nombreuses entreprises ont un pied dans le civil et un autre dans le domaine militaire.

Si on fait abstraction des objectifs explicites de l'un et de l'autre, il n'y a au fond que peu de différences. D'un point de vue purement professionnel, un ingénieur de l'aéronautique civile ou militaire fait face souvent aux mêmes contraintes scientifiques et techniques, quel que soit le contexte. L'observation du secret et de la confidentialité s'impose aux deux.

Et cela, même si le caractère militaire des activités civiles n'échappe à personne. Dans un conflit tout peut être objet de coercition et utilisé pour obtenir un avantage décisif : un vaccin, un gazoduc, un procédé de fabrication industriel, un cryptage informatique, un brevet...

Avec cependant une différence déterminante, en ce qu'elle confère un avantage comparatif : l'activité militaire, ainsi labellisée, est placée sous la protection de la sécurité nationale qui la soustrait à toute inquisition relevant des accords économiques et commerciaux, de l'OMC en l'occurrence.

Ainsi affranchie de cette contrainte, l'industrie civile américaine joue sur les deux tableaux et bénéficie de l'assistance financière et logistique de l'Etat que ses industries exploitent pour maintenir leur compétitivité dans la production et la commercialisation des biens civils qui bénéficient des recherches militaires contournant ainsi les règles de loyauté économique et commerciale.

Les pays qui ne disposent pas d'industries militaires de pointe en sont dépourvus.

J'invite ceux qui veulent approfondir cette question à se pencher sur la controverse chronique entre Européens et Américains, en particulier à propos de leurs industries aéronautiques.

De quel intérêt peut être cette question à propos de la « rentabilité des guerres » ?

Si on intégrait dans le calcul tous ces bénéfices technologiques tirés des campagnes militaires (perdues ou gagnées, ici peu importe), la valeur ajoutée des opérations militaires qui permettent par exemple de tester en grandeur réelle, « in vivo », les performances à la fois militaires et technologiques des armes utilisées, en vue de mettre au point des produits destinés à l'industrie civile, alors les résultats devraient être reconsidérés et différemment appréciés.

Les Etats-Unis ont perdu de nombreuses guerres, mais les retombées de leur recherche militaire et spatiale ont conféré à ses industries des avantages considérables exploités dans leurs industries civiles (informatique, matériaux, aéronautique, logistique, électronique...).

Et comme nous l'indiquions plus haut, à peu près toutes les entreprises américaines, grandes ou petites participent d'un marché gigantesque, sous le contrôle direct ou indirect, via des organismes liés au Pentagone (DAPRA par exemple...).

Ainsi élargi, le calcul nous donne un résultat peu discutable. Les guerres américaines sont rentables.

Toutefois, et si on élargissait un peu plus l'espace du calcul ? Qui gagne et qui perd réellement à ce « jeu » ?

Dialectique de l'ordre et du désordre.

Sur les trois ou quatre derniers siècles, la puissance militaire occidentale est un fait avéré. L'Occident dispose des moyens (même si la « Communauté internationale » qu'il représente n'est pas la seule à en disposer) de faire d'exploser la planète Terre et de faire disparaître la vie qu'elle a vu naître.

Appuyée sur une mondialisation progressive des réseaux de transport et de communication, les pays occidentaux ont généré une économie, une science et une technologie à même de leur assurer, fut-elle contestée, une domination globale sur le monde.

La réserve apportée à ce succès repose sur une observation simple et élémentaire.

La création considérable de richesses s'est faite au prix d'un coût considérable et multiple qui relativise notablement ses avantages.

La génération de valeur ajoutée accumulée en Occident a produit des désordres irréductibles et menaçant en retour aussi bien l'Occident que le reste du monde.

1.- Le premier désordre se situe dans les pays dont on a exploité sans limites les richesses humaines, culturelles et naturelles. Sans entrer dans les polémiques infinies et pour la plupart de mauvaise foi, concernant les « bienfaits de la colonisation », on peut aisément convenir de l'état d'indigence durable dans lequel les pays du sud ont été (et sont toujours) réduits.

La guerre d'Afghanistan (la énième du genre depuis le XIXème siècle) qui s'achève en témoigne.

Les débats critiques sur la prise en charge par les « libérateurs » de leurs pays après les indépendances peuvent être récusés en ce que ces « nuisances », dans toutes leurs variétés tératologiques, peuvent être mises au débit de la colonisation génératrice de désordres, y compris après le départ (très relatif, car souvent très formel) des occupants occidentaux.

Contrairement à l'idée simpliste, vendue aux opinions publiques occidentales, il n'y a pas de séparation nette, de frontière insurmontable, de Murs entre l'ordre et le désordre, entre ici et ailleurs, la civilisation et la barbarie, entre l'urbi et l'orbi, le cosmos et le chaos, le « nous » et les « autres »...

Le « Tout » ne relève pas de l'utopie, de la charité ou d'un humanisme dévoyé. C'est une donnée irréductible.

2.- L'Humanité n'est pas responsable du réchauffement climatique.

Le second désordre est plus grave car il concerne la planète dans sa globalité.

Les gouvernements du monde ont mis du temps à reconnaître, après les avoir niés, que les déséquilibres qu'il subit sont le produit direct de leurs activités et non de l'évolution naturelle. Les catastrophes et les déséquilibres occasionnés ont une inertie qu'il est impossible d'endiguer.

La supercherie vient de l'« humanisation » de ces catastrophes et c'est l'Homme, en tant qu'espèce, qui en est déclaré solidairement responsable.

Cela n'est pas vrai ! Ce n'est pas l'Homme, mais des hommes qui en sont la cause.

L'humanisation du désordre fait assumer à tous ce qui n'est de la responsabilité que d'une partie.

L'industrie née en Europe puis étendue de proche en proche partout, aussi bénéfique a-t-elle pu être, a produit des nuisances incommensurables. Sa délocalisation dans les autres pays du sud a été commandée par au moins deux facteurs : le constat progressif de sa dangerosité pour les populations occidentales, les déséconomies et surtout les coûts générés abaissant des profits des entreprises industrielles.

Les délocalisations n'ont pu être effectuées qu'après le contrôle (plus ou moins militarisé) des pays d'accueil, avec une parfaite maîtrise de l'organisation logistique et un développement normalisé et multimodalisé des transports (par containers) fiables et sécurisés, à l'échelle de la planète.

En sorte que la pollution générée par habitant ne devrait pas être calculée par pays, mais par unité consommée.

En conséquence, l'empreinte carbone générée par exemple en Chine pour chaque unité produite et transportée devra être imputée à tout consommateur européen ou nord-américain à qui elle est servie, ajoutée à l'empreinte produite dans les pays importateurs.

Malheureusement, le réchauffement climatique dérivé de cette recherche de profit n'épargne personne. Ce qui est gagné d'un côté est perdu de l'autre.

Ni frontières, ni les professionnels de com' ne peuvent arrêter les nuages de Tchernobyl...

3.- Entre répartition et capitalisation, l'endettement.

Depuis la fin des « Trente glorieuses », l'arrivée de R. Reagan à la Maison blanche et l'effondrement de l'Union Soviétique, l'économie mondialisée accroît sa financiarisation, mais aussi ses déséquilibres qui se manifestent surtout par un creusement des inégalités aussi bien entre les nations qu'en chacune d'entre elles.

Le chômage partout s'étend, le travail précaire augmente, le rôle régulateur des Etats et des institutions internationales décline, les « filets » sociaux se dégradent, les opérateurs privés gagnent en poids et en influence, le contrat se substitue peu à peu à la loi...

Pour conforter l'« Etat providence » nécessaire à la stabilité économique, sociale et politique dans les pays du nord, le recours à l'impôt est désormais limité. Depuis Reagan et Thatcher, on constate une rupture irréversible en faveur du marché contre la répartition équitable des richesses et la solidarité.

Ainsi coincées entre ces deux tendances structurellement opposées, la plupart des autorités nationales ont recours à l'endettement, c'est à dire au déplacement du désordre non pas dans l'espace, mais dans le temps, légué aux générations futures.

La richesse accumulées des nations et la force de leurs instruments de guerre sont considérables au point qu'ils ont atteint une limite qu'aucune fuite dans l'espace interplanétaire ne suffira à combler. Ces armées au fond ne cherchent pas à gagner des guerres et encore mois à gagner la paix. D'ailleurs, pour l'essentiel, toutes les guerres que l'Amérique a engagées ont été perdues.

En réalité elle cherche à optimiser la recherche du profit pour une toute petite minorité, en mobilisant des moyens disproportionnés, avec le risque de provoquer des déséquilibres mortels pour l'ensemble du genre humain et même pour la vie sur Terre. Ce qui est le cas aujourd'hui.

En attendant, l'inflation des créances financières, produit d'une surabondance de liquidités et d'une fuite en avant « déraisonnable », prépare l'économie mondiale à un affaissement devant lequel celui de 1929 fera figure de querelle de bac à sable.

Le 31 août prochain, les forces armées de 38 pays, pilotées par la première puissance militaire de la planète (à elle seule environ 50% des dépenses mondiales), quittent l'Afghanistan défaits après 20 ans de guerre.

Le ratio moyens mobilisés/résultats obtenus, qui a servi d'amorce à cette réflexion, est sans appel. Le principal objectif fixé à cette campagne, par-delà la « vengeance du 11 septembre » à l'évidence, ne semble pas avoir été atteint.

Certes, le président américain a mentionné l'exécution (sur laquelle nous reviendrons) de O. Ben Laden.

Certes, les Etats-Unis auraient pu atomiser l'Afghanistan, mais alors -août 2021 après août 1945- ce n'aurait été une guerre que ce pays aurait perdue...

L'illusion serait de croire que l'Afghanistan est retourné aux conditions initiales. L'Afghanistan de 2021 serait identique à celui de 2001.

Un peu comme si les Algériens avaient retrouvé en 1962 l'Algérie qu'ils avaient perdue en 1830.

L'humiliation des perdants ne vient pas seulement de leur défaite. Elle vient de ce que leur cause s'avère rétrospectivement une mauvaise cause. Ils ont perdu parce que les Dieux les ont punis. Ils sont aussi été humiliés parce qu'ils ont perdu face à un adversaire plus faible qu'eux.

Par le passé, des nations défaites ont eu du mal à s'en remettre.

D'où le calcul qui a accompagné ce cheminement.

A quoi ça sert une guerre ?

Dans cet article il fut surtout question de ce qui été perdu, mais pas de ce qui a été gagné.

Le vainqueur, du fait même des rapports de forces initialement en sa défaveur, capitalise un gain inestimable et non évaluable : une fierté, une cohésion, une image, un potentiel de développement quantitatif et qualitatif que jalouseraient bien des nations.

Cependant, insuffisamment exploitée, cette ressource peut être dilapidée.

Soixante ans après l'indépendance, on peut se demander collectivement, car nous en en sommes collectivement responsables, y compris les générations nées après l'indépendance, si le capital légué par des centaines de milliers de victimes au cours de l'occupation coloniale de 1830 à 1962, n'a pas été dilapidé en vain.

Qu'avons-nous donc fait de notre libération ? Au point que même en Algérie des voix (sournoises) s'élèvent pour se demander si la sujétion coloniale n'était pas après tout un état si détestable...

Face à son état, l'Algérie menacée de toutes parts, dans un contexte géopolitique brouillé, est en situation et en devoir de réinitialiser les termes de son destin.

Et il ne s'agit bien évidemment pas seulement de gestion des ressources naturelles, de l'« après pétrole », d'administration optimale et pragmatique de ses affaires...

L'histoire n'est pas affaires de bilans comptables.

Au fond, perdre ou gagner une guerre, n'est pas vraiment la question primordiale.

La seule question qui vaille est : qu'est-ce qu'on en fait !

Notes

1- Lire Abdelhak Benelhadj : « 20 ans après, débâcle américaine en Afghanistan ». Le Quotidien d'Oran, J. 19 août 2021.

2- Cette attaque intervient au 18e jour de l'opération Pluie d'été menée par l'armée israélienne contre les militants du Hamas (faisant suite à l'enlèvement d'un soldat et à des tirs de roquettes sur la ville d'Ashkelon.

3- En matière de morale et de conscience, le président israélien a donné l'exemple. En janvier 2011 il a été condamné à sept ans de prison ferme pour viols, subornation de témoins, entrave à la justice... et a été aussitôt écroué dans la prison de Maasiyahu au sud de Tel-Aviv. Son appel devant la Cour suprême avait été rejeté en décembre 2010. Il a été libéré en décembre 2016.

4- Le poids des intérêts israéliens défendus aux Etats-Unis par une multitude de lobbys devrait relativiser du moins nuancer la confidence du président américain. Au crédit de ce point de vue, lire Abdelhak Benelhadj « Netanyahu en Amérique », Le Quotidien d'Oran, J. 19 mars 2015.

5- Cette répartie eut plusieurs avatars. On la trouve sous la plume de Roland Penrose, Picasso, Flammarion, coll. « Champs », 1958, no607, p. 393. On sait par ailleurs que Picasso possédait un art consommé de la mise en scène de ses oeuvres et de leur exposition.