Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Nouveau coup de force: Le président et le Premier ministre maliens arrêtés

par R. N.

Le jour même de la réunion du Conseil de sécurité de l'Union africaine consacrée à la situation au Mali, les membres du Comité de transition opéraient un coup de force par la mise aux arrêts du président Bah N'daw et de son 1er ministre Moctar Ouane.

Le lundi 24 mai dernier, l'Algérie a en effet présidé une réunion ministérielle du CPS sur la situation au Mali. Le ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum a affirmé à cette occasion que «la mise en œuvre de l'accord de paix et de réconciliation au Mali issu du processus d'Alger doit être encore accélérée». Il a exhorté «les acteurs maliens à construire le consensus nécessaire autour des réformes essentielles pour assurer le succès des élections prévues en 2022». Pour rappel, l'accord en question a été signé en 2015 à Bamako après d'importantes et nombreuses réunies de négociation tenues à Alger entre le pouvoir malien et les différents groupes armés. Le même jour, le 1er ministre malien de transition Moctar Ouane a été surpris par l'arrivée d'un groupe de militaires armés qui l'ont pris tout de suite après chez le président de transition Bah N'daw. Les membres de la junte militaire ont emmené les deux responsables à leur commandement général à Kati situé à 15 km de Bamako. «Ils ont été emmenés à Kati pour des affaires les concernant», a fait savoir un haut responsable militaire à des médias étrangers. Cette arrestation qui n'a pas encore été expliquée officiellement a été opérée une semaine après la constitution par le 1er ministre Moctar Ouane d'un gouvernement de transition de 25 membres. Gouvernement qui s'est ouvert à certains partis politiques à l'exemple de l'Union pour la république et la démocratie née du mouvement de contestation du 5 juin 2020, à des groupes armés de l'ex-rébellion et à des proches du 1er ministre mais qui a surtout vu les colonels Sadio Camara et Modibo Kone respectivement ministre de la Défense et ministre de la Sécurité remplacés le premier par le général à la retraite Souleymane Doucoure et le second par Mamadou Lamine Balla.

La France, cette présence militaire encombrante

Le commandement militaire venait ainsi de perdre deux portefeuilles d'une importance stratégique et cruciale dans un pays fortement déstabilisé par le terrorisme et les ingérences étrangères dont la plus en vue une forte présence militaire de la France sur ses territoires. «Ce qu'ils ont fait n'est pas bien», a déclaré un militaire à des agences de presse étrangères à propos de ces arrestations. Des médias étrangers rapportent aussi la présence à Kati du nouveau ministre de la Défense Souleymane Doucoure.

«L'Algérie suit avec une très grande préoccupation les derniers développements intervenus au Mali et souligne son ferme rejet de toute façon de nature à consacrer un changement de gouvernement par la force en violation du principe de l'Union africaine en la matière», soulignait hier un communiqué du ministère des Affaires étrangères signé le directeur général de la communication, de l'information et de la documentation, l'ambassadeur Noureddine Sidi Abed. «L'Algérie appelle tous les acteurs concernés à faire preuve d'un sens de responsabilité et à privilégier le dialogue afin de préserver le déroulement paisible et pacifique de la transition et de maintenir la paix et la stabilité dans le pays», dit le communiqué en question. «L'Algérie, rapporte encore Sidi Abed, réaffirme son soutien aux autorités maliennes de transition sous le leadership du chef de l'Etat Bah N'daw auxquelles elle n'a cessé d'apporter un appui multiforme en vue d'aboutir au retour de l'ordre constitutionnel sur la base des engagements souscrits aux termes de la charte de transition adoptée le 12 septembre 2020 et entérinée par l'ONU, l'UA et la CEDEAO». Ces deux dernières organisations en tant que membres du Comité local de suivi de la transition au même titre que l'UA et la Minusma (Mission des Nations unies au Mali) et soutenu par l'Union européenne et des pays considérés comme communauté internationale à savoir les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne a exprimé dans un communiqué rendu public le 24 mai dernier, «sa préoccupation face à la situation au Mali (?) condamne la tentative de coup de force». Les signataires «exigent la libération immédiate et inconditionnelle de ces autorités et soulignent que les éléments militaires qui les détiennent seront tenus personnellement responsables de leur sécurité». Ils affirment en outre «soutenir les autorités de transition et le processus engagé pour remettre le pouvoir aux civils(?)».

Une autre étape de luttes intestines pour le pouvoir

Ces arrestations ressemblent à celles entreprises en août 2020. Chronologie des faits : dans la nuit du 18 au 19 août 2020, le président Ibrahim Keita et son 1er ministre Boubou Cissé ont été arrêtés par un groupe militaire de mutins et emmenés au camp de Kita. Quelques heures plus tard, IBK a été obligé d'annoncer sa démission aux Maliens en même temps que la dissolution du gouvernement et du parlement. Le Mali venait d'acter son 6ème coup d'Etat depuis son indépendance. Après son putsch, le nouveau pouvoir militaire crée «le Comité national du Salut du peuple». La chute d'IBK n'a été prévue par aucun Etat ou institution mis à part peut-être la France dont le ministre des Affaires étrangères avait déclaré que son pays était d'accord avec le nouveau pouvoir de transition. La CEDEA avait, elle, condamné fermement la mutinerie déclenchée ainsi que le coup d'Etat contre IBK et appelé «à la restauration de l'ordre constitutionnel et a demandé aux militaires mutins de demeurer dans une posture républicaine». L'UA tout autant que l'Algérie avaient fait part de la même condamnation. L'émissaire américain pour le Sahel, Peter Pham, rapportait «ses inquiétudes» et soutenait que «les Etats-Unis s'opposaient à tout changement anticonstitutionnel». L'ONU avait accusé les militaires et les responsables des services de renseignement de «compromettre l'application de l'accord d'Alger».

Après le putsch contre IBK, le Conseil national de transition formé par le nouveau pouvoir militaire avait sous les pressions des organisations régionales et la communauté internationale accepté une période de transition de 18 mois au lieu de 3 ans comme il le voulait. La feuille de route du gouvernement qui devait être constitué pour gérer cette transition est, comme rappelé par le MAE algérien, «centrée sur l'amélioration de la sécurité, la restauration de l'autorité de l'Etat, faire face aux besoins sociaux, des réformes institutionnelles et la tenue d'un référendum constitutionnel et d'élections législatives et présidentielles et locales». Huit mois à peine après la destitution d'IBK, la période de transition est interrompue pour entamer une autre étape de ce qui est considéré comme étant des luttes intestines au pouvoir. Une étape où encore une fois la mise en œuvre de l'accord d'Alger ne sera pas la priorité des Maliens.