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Gouvernement-Walis: Un discours à l'épreuve de la réalité

par Ghania Oukazi

En s'accrochant à la thèse du complot, le discours politique ambiant semble vouloir ignorer les véritables problèmes qui menacent la parole libre, entravent la relance économique et plombent les besoins des citoyens.

Présentée comme étant une « rencontre d'évaluation de la mise en œuvre des orientations » que le président de la République a données aux walis le 16 février dernier, la dernière réunion gouvernement-walis n'avait rien de pertinent. Les plus hautes autorités du pays ont préféré brandir la thèse du complot pour justifier les retards entassés dans le règlement des problèmes connus de tous de par leur récurrence depuis de très longues années. « Forces d'inertie, blocages, fausses informations, rapports falsifiés, menaces sur la stabilité du pays, maintien d'une situation de chaos, sabotage, traîtrise, décisions non appliquées, contre-révolution (...) », le président de la République a recouru mercredi dernier à tous ces qualificatifs pour décrire le mauvais état économique et social du pays. Pourtant, il a avoué plus loin que «la plus grande partie de ces six derniers mois a été consacrée à la lutte contre le coronavirus (...), un problème inattendu». Certes, il a affirmé que «malheureusement, dans certaines wilayas, nous n'avons pas perçu des efforts dans cette lutte, ni dans l'amélioration des conditions de vie des citoyens», mais il a précisé que «cette situation est due au fléau de l'attente des directives». Au-delà de la crise sanitaire qui a mis l'Algérie à l'arrêt, à l'instar du monde, c'est donc un système de gouvernance datant depuis l'indépendance qui mine le pays. Système dans lequel Abdelmadjid Tebboune a lui-même évolué en tant que commis de l'Etat, responsable local et central depuis les années 60 jusqu'à devenir 1er ministre en 2017. Abdelamadjid Tebboune fait partie de ceux qui ont bien côtoyé le système et son pouvoir politique et militaire. En tant que ministre de l'Habitat pendant de longues années, il a reçu les requêtes les plus insolites sur l'état délabré de logements tous neufs et de terrains glissants. Il a eu tout le temps d'en soupeser la bureaucratie, les procédures absurdes, l'incompétence au niveau local et central, la mauvaise foi, le clientélisme, le clanisme et autres formes de corruption et de complicités. Il a cependant laissé son 1er ministre affirmer jeudi dernier qu' «il est vrai qu'il y a des problèmes financiers objectifs, une conjoncture sanitaire (coronavirus), et les conditions du passé, mais des bureaucrates entravent l'exécution du programme du président de la République et du programme du gouvernement».

Mauvaise priorisation des projets

Les discours politiques du week-end dernier contredisent les données du rapport d'évaluation des 6 premiers mois de gouvernance du président de la République et de l'Exécutif sous Abdelaziz Djerad.

Elaboré par le ministère de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire, et remis aux participants à la réunion gouvernement-walis, le document place l'atelier N1 3 sous le titre «les étapes de mise en œuvre du développement des zones d'ombre». On y lit : « Le recensement établi des zones d'ombre a fait ressortir un nombre important de localités éparses, enclavées, en situation de précarité et dont les conditions de vie de leurs populations sont déplorables au vu du manque d'infrastructures vitales et des moindres commodités de vie (eau, électricité, gaz, écoles, emploi...) et pour lesquelles des programmes d'investissement d'urgence ont été identifiés (...)». Les rédacteurs affirment alors que «néanmoins, le suivi de l'état de prise en charge de ces préoccupations et contraintes, après une échéance de 6 mois, a fait apparaître les observations suivantes : la majorité des opérations urgentes identifiées nécessitent un financement lourd et des délais de réalisation très longs; la consistance physique des projets identifiés, souvent volumineuse et conséquente, ne permet pas de prendre en charge rapidement les contraintes enregistrées; la priorisation établie dans le choix des projets ne répond pas dans certains cas aux attentes des citoyens de ces zones, ni aux besoins les plus urgents, ce qui a engendré des mouvements de revendications et des oppositions, impactant l'avancement des projets, le manque de recours aux options et solutions palliatives qui permettent de prendre en charge certaines préoccupations de façon simple et immédiate, en attendant de planifier et financer des opérations plus importantes; retard enregistré dans l'achèvement des projets ayant des délais de réalisation courts, notamment suite aux lenteurs des procédures administratives et/ou à la défaillance des entreprises sélectionnées». L'on relève aussi dans le même document que la stratégie adoptée par le gouvernement pour résoudre les problèmes des citoyens s'impose, entre autres, de «réorienter les financements disponibles vers des opérations tendant en premier lieu à satisfaire les besoins vitaux des populations, la simplification des procédures (...), mettre en place un dispositif de veille pour lever avec célérité toutes les contraintes éventuellement rencontrées et assurer l'achèvement des projets dans les délais impartis(...)».

Les contraintes grandeur nature

Au sujet de la lutte contre les feux de forêt, on relève en page 11 qu' «en Algérie, à l'instar des pays méditerranéens, le patrimoine forestier est exposé aux risques du feu, eu égard à sa composition floristique en espèces très combustibles et au climat chaud et sec en été qui favorise la propagation des feux et de l'activité anthropique, sans cesse croissante, des populations riveraines». Il est affirmé ainsi que «ce patrimoine couvrant une superficie de 4,7 millions d'ha de forêts, de maquis et de broussailles, est touché en moyenne sur 32.000 hectares/an par les feux durant les 20 dernières années». Première recommandation «en période de risque très élevé de déclenchement des incendies de forêt, comme c'est le cas à présent (grande canicule), il nous est imposé de déployer des moyens plus importants et mettre en œuvre une stratégie plus accrue de surveillance et lutte contre les feux de forêt (...)». Au regard de ces affirmations du gouvernement Djerad à sa tête le MICLAT qui remettent en cause la théorie du complot, il semble que les priorités ont été mal classées, les choix des projets mal faits et la veille pour leur réalisation non actionnée. Le document ne désigne pas les instances et responsables qui ont failli à la création de ces conditions préalables à tout programme économique. D'ailleurs, Djerad a reconnu, entre autres, qu'«il est inconcevable d'attendre la réalisation de programmes à long terme. Nous devons aller vers des actions urgentes pour rattraper le retard accusé en matière de numérisation de l'administration et de la sphère économique». L'atelier N5 devait ainsi plancher sur la « numérisation, statistique et lutte contre la bureaucratie».          

Le constat restitué par le MICLAT fait état de « lourdeurs bureaucratiques, gaspillage et coûts onéreux de la gestion des services publics locaux, insuffisances en matière de moyens humains et maîtrise des différents aspects des nouveautés technologiques (...) ». L'atelier devait « tracer une feuille de route pour mettre sur pied les réformes en vue de simplifier et de digitaliser les procédures administratives, en renforçant l'expérience citoyenne et l'utilisation stratégique des outils numériques ». Il est évident que le gouvernement Djerad a annoncé des programmes de développement avant même d'avoir mis en place les conditions requises pour leur exécution. Les résultats ne pouvaient à l'évidence en être probants. Réussir des réformes structurelles, responsabiliser les autorités publiques de l'exécution de tâches de développement socioéconomique force à la décentralisation de la décision et à l'obligation de résultats.

Quid «des rapports falsifiés»

En tant que premiers magistrats des wilayas, les walis se doivent de répondre des faits et gestes de gestion des assemblées élues avec à leur tête les PAPW et les PAPC. En tant qu'élus, ces mandants ne peuvent être sanctionnés que par ces assemblées. La condition première pour la bonne gouvernance est indéniablement la mise en place d'un système de valeurs, de notation, d'évaluation et de choix des hommes qui mettra fin à celui de l'impunité qui règne depuis l'indépendance. En attendant, le discours du président de la République distille la perplexité sur l'identité de ceux qui lui confectionnent «des rapports falsifiés» dont il fait cas.

Pour avoir côtoyé la presse durant ses années de ministre de l'Habitat, Tebboune sait que le véritable et nécessaire contrepouvoir -avec ses qualités, ses défauts, ses vices et ses frasques-, qui peut mettre à nu tous les dysfonctionnements d'un pays, d'un Etat ou d'une gouvernance et même de castes tapies dans l'ombre, est sans conteste le secteur de la presse. Libérée des injonctions et des mises aux pas, elle est la seule à savoir informer convenablement. Les journalistes en ont apporté la preuve durant les années de braise, au risque de leur vie, avant et plus tard, pour dénoncer les dérives d'un système incompétent et orgueilleux.