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Algérie-France: De nouveau la tension

par Ghania Oukazi

La réaction de Paris n'a pas surpris après qu'Alger ait rappelé son ambassadeur en signe de protestation contre la diffusion de deux documentaires sur des télévisions publiques françaises relatant des avis de «hirakistes».

«L'ensemble des médias jouissent d'une complète indépendance qui est protégée par la loi en France », a déclaré jeudi dernier la porte-parole du Quai d'Orsay. Au nom du ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères, Agnès von der Mühll a noté en outre que «dans le cadre des relations profondes et anciennes qui existent entre nos deux pays, et auxquelles nous attachons la plus grande importance, la France respecte pleinement la souveraineté de l'Algérie.

Nous entendons continuer à travailler à l'approfondissement de la relation bilatérale ». Ce ton diplomatique a été employé pour répondre à une question sur la réaction de Paris après le rappel par Alger de son ambassadeur.

Chronologie des faits. Mardi 26 mai, deux télévisions publiques françaises ont diffusé à quelques minutes d'intervalle deux documentaires sur le «hirak». Sous le titre «Les promesses de l'aube», le premier où s'exprimaient des voix bien médiatisées n'a pas fait de remous. Par contre, le second qui a repris un titre d'une chanson des années 90 bien connue «Algérie mon amour» a provoqué les foudres des Algériens. Ils ont contesté le choix du réalisateur d'images et de propos de jeunes Algériens revendiquant des libertés individuelles jugées dévergondées. Ces jeunes vivent à Alger et l'ont fait à visage découvert. Déclamant haut et fort leur conservatisme, de nombreux Algériens se sont vus plus offusqués par ce cadrage médiatique d'un «hirak d'essence politique et non sociale» que par ce ton osé de jeunes qui affirment avoir toujours participé au mouvement populaire et ce, depuis son déclenchement le 22 février dernier.

Un documentaire banal

L'on se demande alors de quel droit en vouloir au journaliste franco-algérien d'avoir réalisé un documentaire banal ou aux Algériens de nos quartiers qui déclarent leurs frustrations devant une caméra française sans aucune gêne.

L'Algérie officielle a choisi de réagir promptement en rappelant son ambassadeur en France. Le ministère des Affaires étrangères a expliqué sa décision par un communiqué qu'il a rendu public le mercredi 28 mai. «Le caractère récurrent de programmes diffusés par des chaînes de télévision publiques françaises, dont les derniers en date sur France 5 et la Chaîne Parlementaire, le 26 mai 2020, en apparence spontanés et sous le prétexte de la liberté d'expression, sont en fait des attaques contre le peuple algérien et ses institutions, dont l'ANP et sa composante, la digne héritière de l'Armée de libération nationale (ALN)», écrit-il. Et ajoute que «cet activisme où l'inimitié le dispute à la rancœur, dévoile les intentions malveillantes et durables de certains milieux qui ne souhaitent pas l'avènement de relations apaisées entre l'Algérie et la France, après 58 ans d'indépendance, et ce, dans le respect mutuel et l'équilibre des intérêts qui ne sauraient faire l'objet de concession ou de marchandage. Pour ces raisons, l'Algérie a décidé de rappeler immédiatement en consultations son ambassadeur en France.»

Il est vrai que le rappel d'un ambassadeur par ses responsables «pour consultations» figure parmi les règles diplomatiques d'usage en cas de fâcheries politiques. Mais l'on s'étonne de voir le MAE prendre une telle décision alors qu'il ne s'est agi que d'un documentaire dont le réalisateur a certainement voulu faire dans le sensationnel. Au-delà des supputations autour des «arrière-pensées» qu'il avait et desquelles il faut savoir s'en prémunir, il est évident que l'Occident brandira toujours son «respect de la liberté de la presse et la liberté d'opinion». Il ne peut en être autrement pour des pays dont les médias s'en prennent souvent à des pays «tiers-mondistes» particulièrement arabes et musulmans. L'on rappelle qu'au nom de «la liberté de la presse», un journal parisien a profané la personne du prophète Mohamed (Que le salut soit sur lui) tout en sachant pertinemment qu'il a touché à ce qu'il y a de plus sacré chez les musulmans. Les foules hystériques qui sont sorties pour crier leur désapprobation de tels actes n'ont rien changé à des mentalités politiques et médiatiques qui aiment embrouiller des esprits qui ne leur ressemblent pas et de surcroît veulent dominer.

Alger et Paris rattachés par une chaîne humaine

La réaction du MAE algérien n'est pas nouvelle. Sabri Boukadoum a déjà eu à convoquer en avril dernier l'ambassadeur de France à Alger pour marquer le mécontentement de l'Algérie suite aux déclarations d'un intervenant sur une chaîne française au sujet d'aides médicales chinoises que l'armée aurait gardées pour elle seule. Xavier Driancourt avait répondu alors que «l'ensemble des organes de presse jouissent d'une totale indépendance rédactionnelle en France, protégée par la loi».

De la provocation, il y en a dans l'air. Le 13 décembre 2019, c'est-à-dire le lendemain de l'élection présidentielle algérienne, le président français avait déclaré : «J'ai pris note de l'annonce officielle que M. Tebboune a remporté l'élection présidentielle algérienne dès le premier tour». En février de la même année, quand le «hirak» a commencé à occuper la rue, Emmanuel Macron a suggéré à Alger «une transition d'une durée raisonnable». S'il n'a fait que «prendre note» de l'élection de Tebboune, Macron a quand même appelé les autorités algériennes à «engager un dialogue avec le peuple algérien». Il sait pourtant que son appel est adressé à un pays qui a sa souveraineté à fleur de peau et qui déteste qu'on s'ingère dans les affaires internes de son Etat. Complexée ? L'Algérie ne peut que l'être après 132 de colonisation et à peine un peu plus de 50 ans d'indépendance du joug colonial français.

Le rappel d'un ambassadeur ne changera rien à l'Histoire qui lie les deux pays ou qui les sépare, c'est selon les circonstances et les tentatives de rapprochement entre eux qui très souvent échouent tant que leurs concepteurs y mettent une passion très particulière.

Preuve en est, la simple diffusion d'un documentaire a provoqué une crise diplomatique entre eux. Pourtant la réalité oblige à tempérer son narcissisme d'un côté comme d'un autre. Ce sont près de trois millions d'Algériens qui vivent en France. C'est la chaîne humaine la plus importante qui travaille pour la France et revendique ses attaches avec l'Algérie. Le lien entre ici et là bas est indéniable. Ceci, même si Paris aime à jouer sur cette fibre en la subordonnant à des conditions d'octroi de visas qui frôlent les limites de l'humiliation. L'on ne serait pas si naïf de croire que ce sont les rancœurs du passé qui rythment sa politique des visas. La France sait que ses intérêts dans la région sont gros et que l'Algérie en renferme de bien importants.