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Rapatriés entre le 3 et 5 avril: Retour sur le drame des Algériens bloqués à Istanbul

par Témoignage Recueilli Par Amine Bouali

L'opération de rapatriement de 1788 Algériens bloqués pendant plus de 2 semaines à Istanbul, en Turquie, vient de prendre fin. Elle s'est déroulée entre le 3 et le 5 avril derniers, à bord d'avions d'Air Algérie et de Turkish Airlines. Dès leur arrivée en Algérie, ils ont été placés en quarantaine dans des établissements touristiques de la wilaya d'Alger et de Boumerdès. Parmi eux se trouve Abdelkrim T, médecin de profession, qui a bien voulu nous livrer, à chaud, son témoignage sur ce qu'il a vécu en terre turque par temps de coronavirus, jusqu'à son retour, ce vendredi à l'aube, à Alger.

« Tout à commencé, pour moi et ma famille, le lundi 21 mars dernier, alors que nous étions à Istanbul depuis presque une semaine, nous confie Abdelkrim. Normalement nous devions retourner en Algérie quatre jours plus tard. Sauf que nous ait parvenue la nouvelle alarmante que l'espace aérien de l'Algérie allait être fermé. Mais évidemment je n'étais pas le seul à avoir cette information, ce qui fait que beaucoup de mes compatriotes qui se trouvaient en Turquie se sont dirigés, eux aussi, ce lundi-là, vers l'aéroport d'Istanbul pour essayer de s'informer et savoir s'ils pouvaient prendre un avion et rentrer en Algérie.

Au début nous étions bloqués à l'extérieur de l'enceinte de l'aéroport. Il y avait parmi nous beaucoup de jeunes mais aussi des familles avec des enfants, des malades qui avaient été opérés (tourisme médical ?) et aussi des ?harraga' qui n'avaient pas de billet d'avion. Personnellement, j'ai été impressionné par un jeune couple qui s'était retiré, en arrière de la foule en ébullition et qui essayait de calmer ses enfants qui pleuraient à cause, je suppose, de la faim et de la fatigue. Il faisait froid. A l'entrée de l'aéroport, il y avait une certaine anarchie mais elle était provoquée, en grande partie, par les agents de sécurité qui laissaient passer les voyageurs de toutes les nationalités sauf les Algériens, détenteurs du passeport vert. Notre souhait le plus ardent était de pouvoir rentrer à l'intérieur de l'aéroport pour nous réchauffer et essayer de trouver une solution à notre problème. Après une heure et demie d'attente - et je ne sais par quel miracle?- les agents de sécurité de l'aéroport nous ont, enfin, laissés rentrer, ma femme et moi, plus quelques autres. Ensuite ils ont fermé les portes. Une fois à l'intérieur, j'ai cru que notre cauchemar aller enfin s'achever, mais j'ai dû vite déchanter. Certes à l'intérieur, c'était mieux que dehors où régnait un froid glacial, mais nous n'étions pas encore sortis d'affaire. Nous nous sommes retrouvés environ 500 Algériens, regroupés dans un coin de l'aéroport. J'ai appris que certains étaient là depuis 3 ou 4 jours, sans avoir pu accéder à la zone de transit. Quelques-uns dormaient, appuyés sur leurs valises, totalement épuisés. Comme des somnambules, nous poussions nos chariots à bagages, cherchant la moindre information qui aurait pu nous mettre un peu de baume au cœur. Le bureau d'Air Algérie était désespérément vide.

Dehors, quelque 200 de nos compatriotes, étaient restés dans le froid. C'est par la suite que nous avons appris qu'une majorité des touristes algériens qui se trouvaient à l'intérieur de l'enceinte de l'aéroport d'Istanbul (plus d'un millier de passagers entre ceux d'Air Algérie et de Turkish Airlines) avaient déjà franchi la zone d'embarquement mais ils étaient bloqués dans la zone de transit. La cause: aucun avion en vue ! Des informations nous parvenaient colportées de bouche à oreille. Ainsi on a su que le Consul d'Algérie et des représentants des autorités turques leur avaient rendus visite. Puis qu'une proposition d'évacuation temporaire vers des hôtels d'Istanbul leur avait été faite mais ils l'avaient refusée. Certains d'entre eux ont préconisé de bloquer les accès à l'International pour les autres nationalités et c'est la raison des désordres qui ont eu lieu, malheureusement, à l'aéroport d'Istanbul et qui ont été montrés, dans plusieurs chaînes de télévision turques.

Nous, qui étions à l'extérieur de cette zone de transit, étions livrés à nous-mêmes. La situation était tendue. Certains jeunes faisaient régner parfois un climat de désordre, sans respect pour les familles. Moi en tant que médecin, j'ai essayé de me rendre modestement utile. À côté de moi, il y avait des personnes souffrantes, des hypertendus, des diabétiques. Quelques-uns avaient épuisé leurs médicaments, ce qui a contribué à augmenter leur stress. Je veux signaler ici l'aide apportée par « l'Association des ressortissants algériens de Turquie » qui nous a ramenés des médicaments ainsi que de la nourriture. Les jours, les heures s'écoulaient comme au ralenti. Chacun dormait comme il pouvait, souvent à même le sol. Il fallait faire la chaîne à la cafétéria pour se procurer de quoi s'alimenter. Pour les autorités turques (comme pour nous) la situation ne pouvait durer, avec des centaines de passagers coincés dans un aéroport qui était la vitrine de la Turquie.

Aussi, le jeudi 26 mars, il y a eu du nouveau. Des policiers turcs nous ont rassemblés, y compris les Algériens qui étaient dans la zone de transit et nous ont déclaré qu'ils allaient nous emmener hors de l'aéroport, vers un lieu de confinement : une décision qui a été acceptée par tous. Ils ont vérifié puis emporté nos passeports. Ensuite nous sommes montés dans des autocars, à raison de 20 passagers par autocar, accompagnés, à chaque fois, par une équipe médicale turque munie de tenues de protection. Direction, la cité universitaire de Karabeuk, à 7 heures de route, environ, d'Istanbul. Une fois arrivés sur place, un dispositif sanitaire important était mobilisé. Nous étions répartis dans des chambres à quatre lits. Sur les portes étaient affichées des feuillets rédigés en arabe, indiquant le règlement intérieur et les conditions de notre confinement. Une équipe médicale turque était présente mais comme ils ne maîtrisaient ni l'arabe ni le français, nous avons proposé, moi et deux autres confrères algériens de notre groupe, notre aide. Elle a été acceptée et on nous a arrangé un petit bureau de consultation. Je dois signaler que le Consul d'Algérie à Istanbul et ses collaborateurs étaient régulièrement présents pendant notre confinement, notamment pour vérifier les listes des passagers algériens et éviter qu'il n'y ait, parmi nous, des intrus. Mais aussi pour approvisionner en médicaments les malades chroniques. Le Consul d'Algérie a précisé que ces médicaments seraient pris en charge financièrement par l'ambassade.

Le troisième jour de notre présence à Karabeuk, on a eu droit à une mauvaise surprise : le feuillet qui mentionnait les conditions strictes de notre confinement avait disparu. J'ai su par la suite que l'équipe médicale turque reprochait à certains Algériens de ne pas respecter les consignes de confinement et qu'elle ne pouvait pas travailler dans ces conditions confuses. Le Consul d'Algérie nous a expliqué que notre rapatriement ne dépendait pas de lui mais de décisions prises à Alger, mais qu'il allait tout faire pour faciliter nos conditions de vie. Au 8ème jour de notre confinement, la bonne nouvelle est enfin arrivée, affichée sur les écrans des chaînes de télévision : un accord a été conclu entre les autorités algériennes et turques pour nous rapatrier.

Vu notre nombre, notre retour était étalé sur trois jours. Je figurai, mon épouse et moi, parmi le premier groupe à pouvoir embarquer. C'était le jeudi 2 avril. On nous a rendu nos passeports mais notre départ vers l'aéroport tardait à se concrétiser. C'est à ce moment-là que nous avons appris que les quelque 200 Algériens (ou supposés tels) qui étaient restés à l'extérieur de l'aéroport d'Istanbul et qui n'ont pas été emmenés avec nous à la cité universitaire de Karabeuk, s'étaient amassés devant la porte d'entrée de cet aéroport dans l'espoir de pouvoir rentrer, eux aussi, en Algérie. Pour éviter tout désordre, les autorités turques ont décidé alors de nous faire embarquer à partir d'un autre aéroport, celui de la ville de Samsun, à 8 heures de route de la cité universitaire où nous étions confinés. Une fois arrivés à Samsun, nous avons oublié toute fatigue lorsque nos avons aperçu, sur le tarmac, l'avion de la compagnie d'Air Algérie qui nous attendait. On a assisté à une sorte de rapatriement d'urgence : ni enregistrement ni vérification des bagages ! Une fois dans l'avion, c'était la délivrance. À Alger, nous avons trouvé une aérogare vide. Des infirmiers ont vérifié la température de chaque passager avec une caméra thermique. Une fois nos bagages récupérés, on nous a repris nos passeports. Nous sommes montés dans un bus et on nous a escortés jusqu'à l'hôtel Mazafran où nous sommes actuellement en confinement. Que puis-je ajouter sinon que, dans des situations de crise comme celle-ci, on apprend à mieux se connaître et à mieux connaître autrui. J'espère que l'Algérie sortira plus forte de cette épreuve».