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Lutte contre le COVID-19: Alger comme elle ne l'a jamais été !

par Reportage Réalisé Par Ghania Oukazi

Décidé officiellement hier, le confinement partiel de la capitale contre la propagation du COVID-19 n'est respecté qu'à partir de 19h. Dans la journée, s'il y a moins de mouvements, Alger continue de bouger, de se déplacer, de discuter et vit presque normalement. « La vie est plus forte que la mort », lance un citoyen affairé à faire ses courses.

Exemple frappant d'une mentalité nationale inconsciente, un jeune homme, cigarette (allumée) entre les lèvres examine, tête enfouie sous le capot, le moteur de sa voiture tombée en panne. La scène s'est passée, hier, non loin de policiers en service qui parlaient à haute voix de la menace du COVID-19. Menace qu'ils ne semblent pas craindre ou combattre plus que d'autres tant les regroupements de plus de deux personnes, pourtant interdits depuis hier, se tenaient sous leurs yeux, un peu partout dans les rues de la capitale. C'est jour I de l'application de la troisième série de mesures décidées par le président de la République à l'issue de sa réunion avec le Haut Conseil de sécurité. Rien que l'appellation de ce dernier oblige à penser que la situation s'aggrave de jour en jour. Le message véhiculé est que la sécurité nationale -comme celle du monde dans son ensemble- est véritablement menacée par un virus tenace.

Nos premiers propos sur le sujet ont été échangés hier avec deux gendarmes en service au niveau d'un rond-point d'une des banlieues d'Alger. «On doit porter le masque mais on ne peut le faire que quand des citoyens nous en donnent, autrement, on ne les a pas de nos chefs», répond spontanément l'un d'eux qui avait les mains gantées. Le second ne portait pas de masque. Il nous ordonne de garer pour nous demander ce dont nous avons besoin. «Chacun est libre de le porter ou pas, c'est selon ce que chacun ressent, mais je pense qu'on doit le porter pour éviter tout risque de contamination», nous dit-il avant de changer de ton et de nous faire savoir qu'il n'a pas à répondre à nos questions.

C'était après qu'on lui ait demandé pourquoi il ne porte pas de masque comme son collègue. Et après nous avoir répondu «je fais ce que je veux !».

L'atmosphère n'est pas apocalyptique

Au centre d'Alger, les gens font aussi ce qu'ils veulent en matière de prévention depuis l'entrée en vigueur dimanche dernier de la 2ème série de mesures décidées par le chef de l'Etat.

L'atmosphère n'est pas apocalyptique. Les rues d'Alger continuent de vivre même si elles craignent la mort par contamination. Les citoyens le disent clairement. «C'est dangereux mais on doit faire avec sinon on déprime chez nous», nous dit un passant qu'on a abordé. La suspension des transports publics semble avoir poussé les Algériens à utiliser plus leur voiture pour pouvoir se déplacer. «Ceux qui en ont mais tous les autres travailleurs dans les institutions publiques comme les banques, les assurances, les différents services publics ne savent pas comment faire pour aller à leur travail, ils n'ont pas de transport», indiquent des employés coincés dans la matinée au niveau d'un arrêt de bus. «Peut-être que pour une fois, le covoiturage que les Algériens n'apprécient pas pourra venir en aide à ceux qui doivent se déplacer à leur travail mais n'en ont pas les moyens», pensent des jeunes serrés sur une moto.

Certes, la circulation est très fluide, signe que le nombre de voitures a nettement diminué depuis la propagation du coronavirus. Mais les rues ne sont pas désertes. Les Algérois font normalement leurs courses, notamment de produits périssables après avoir stocké, pour la majorité d'entre eux, les produits de large consommation. Ils ont en général tous un sac de pain à la main, du lait, des légumes et des fruits.

Certains d'entre eux portaient, hier, sur le dos un sac de 10 kg de semoule acheté, nous disent-ils, «à 1000 DA». Le prix a-t-il varié ces jours-ci ?, demandons-nous. «Je ne sais pas, je l'ai acheté dans un magasin de l'Etat donc il ne risque pas de l'augmenter», nous répond un client avec assurance.

Les pharmacies sont les commerces qui imposent le plus de mesures de sécurité sanitaire à leurs usagers. Ils ont pris la précaution de s'isoler derrière leur comptoir déjà séparé de leurs clients par une sorte de ruban qu'ils placent de bout en bout de leur magasin. Sur le mur de la pharmacie la plus achalandée de la capitale, la plus approvisionnée en tous médicaments et produits cosmétiques de luxe, est placardé «Pas de masques». Allez-vous en avoir ces jours-ci ?, interrogeons-nous. «Non ! Ils ne sont pas disponibles !», nous répond sans hésiter un des vendeurs.

«On manque atrocement de masques»

Au ministre délégué de l'industrie pharmaceutique qui disait hier sur les ondes de la radio nationale que les moyens de prévention sont disponibles, les pharmaciens d'Alger lui répondent presque en chœur «on n'en est pas approvisionné depuis un mois». Un des habitants de Blida, ville mise en confinement général depuis hier, criait sa détresse au téléphone «nous manquons atrocement de moyens de protection, c'est l'Etat qui doit les donner aux citoyens et non la petite officine du quartier !». Les pharmaciens parlent eux de «rupture de stocks non seulement de masques ou de gants mais aussi de médicaments pour les maladies chroniques qu'on n'a pas depuis bien avant la pandémie du COVID-19». Chez une pharmacienne qui servait ses clients avec le sourire, l'approvisionnement en moyens de protection est rompu depuis plusieurs jours. «Moi-même je porte un masque périmé, je n'en ai plus ! Mais il y en a sur le marché informel», nous renseigne-t-elle. Elle considère que l'arrêt des approvisionnements par l'Etat est «un manque de considération aux pharmaciens privés». Pour elle, «les rumeurs de rupture en médicaments sont propagées par les producteurs qui décident d'en livrer à certaines pharmacies et pas à d'autres. Allez-y comprendre pourquoi !» Si elle compte «plus d'un mois qu'on n'a pas été fourni en masques, c'est que le ministère de la Santé ne sait même pas si on a des stocks ou pas et quels médicaments manquent dans les pharmacies, on ne nous le demande jamais». Celui du traitement de la thyroïde manquait selon elle depuis bien avant la pandémie. «Les gens le stockent chez eux déjà en temps normal de peur d'en manquer, on a même des émigrés qui l'achètent pour le ramener en France parce qu'il est moins cher en Algérie», fait-elle savoir. Elle pense que ces derniers ne craignent pas «les effets secondaires qui ont obligé les responsables français à l'interdire chez eux pour des raisons d'effets secondaires évidentes, en Algérie on n'a pas le choix, encore faut-il avoir l'ancien en quantité suffisante pour servir nos clients». Notre interlocutrice compare les pharmacies «aux superettes tout le monde stocke, on est très souvent dans le gaspillage».

«Les grossistes attendent les autorisations»

Bien qu'elle partage l'idée que les sujets sains n'ont pas à porter de masque, elle conseille quand même que les personnes qui sont obligées de sortir doivent le porter par précaution. «Pour qu'elles ne touchent pas leur visage, et pour cela, elles ne sont pas obligées de le changer toutes les deux heures, l'Etat doit en fournir à tout le monde», dit-elle. A propos du protocole thérapeutique à base de la molécule antipaludéenne «la chloroquine», la pharmacienne nous explique que ce médicament est produit par un laboratoire privé et manque déjà dans les officines «même si ce n'est pas une molécule qui marchait beaucoup». Raison invoquée, «l'Etat a réquisitionné toutes les quantités détenues par les grossistes, les malades atteints de lupus risquent de ne plus le trouver en pharmacie, l'Etat doit leur fournir leur stock», dit-elle. «On est obligé de croire en ce traitement recommandé par les experts étrangers, il faut qu'il soit administré d'une façon très contrôlée et uniquement en milieu hospitalier», précise-t-elle. Elle est convaincu qu' «on aura plus de visibilité dans tout d'ici 10 à 15 jours, beaucoup de grossistes ne livrent plus rien parce qu'ils attendent d'avoir les autorisations qu'il faut, le système d'alerte se met lentement en place».

Elle nous fait savoir cependant avec un large sourire que «le gel hydroalcoolique est disponible, on en a, on en reçoit tous les jours». Les pharmacies algéroises en ont pratiquement toutes. De petits flacons sont vendus à 200 DA sur des tables dressées devant le marché couvert du centre-ville. Les autorisations de circuler vers et de Blida, ça a été hier un sujet de discussion très vif. «Beaucoup de personnels qui habitent Alger et ailleurs n'ont pas pu rejoindre leur poste y compris à la base militaire de Boufarik parce qu'ils n'avaient pas les autorisations qu'il fallait», nous apprend un de leurs collègues rencontré au détour d'une ruelle algéroise. «On a libéré beaucoup d'expatriés et d'autres effectifs comme décidé, on travaille au ralenti», soutient un de ses collègues.

Tous pensent qu' «avant de décider d'un plan d'urgence, il fallait réfléchir comment mettre en place le plus rapidement possible les mécanismes et instruments de son exécution, sinon c'est la pagaille(?)».

Les bureaux de poste d'Alger ont affiché à leurs entrées leurs nouveaux horaires de travail «du samedi au mercredi de 8h à 14h et le jeudi de 8h à 12h». Ceux de leurs usagers qui ne le savent pas doivent aller sur place pour apprendre que «ce sont les horaires du service minimum décidé par la fonction publique». Curieusement, des SDF de plus en plus nombreux déambulent dans les rues d'Alger, fouillent dans les poubelles, dorment sur des cartons, sur des bancs de stations de bus. Des aliénés mentaux marchent aussi dans tous les sens et parlent à haute voix.

Des équipes de télévisions privées sillonnent la capitale sans masque ni gants. Des confrères des médias publics nous font savoir qu'ils sont obligés d'en porter, «les magasins ouverts à cet effet sur nos lieux de travail nous en fournissent à chaque fois qu'on doit aller sur le terrain», nous dit une journaliste de la radio publique.

«Le virus bouscule notre système de santé et nos consciences»

Les étals des marchés couverts au centre d'Alger commencent à se vider. Certains déjà sont couverts de bâche. «C'est eux qui ne veulent pas travailler, moi je vais m'approvisionner au niveau des marchés de gros quand je veux», nous dit un des vendeurs sur place à qui ne restaient que quelques oranges et pommes. «Les gens achètent tous les jours, ils ne s'arrêtent pas», ajoute-t-il.

Des pleurs et des cris d'enfants fusèrent d'un immeuble. Des voix d'adultes s'élèvent. «C'est vous ! C'est vous !», semble accuser l'une d'elle. «C'est à moi !», répète un enfant. L'exigüité des appartements dans les petites ruelles met les nerfs des familles nombreuses à vif.

Certains magasins, rideaux baissés à moitié, profitent de leur interdiction d'ouvrir pour, disent-ils, «revoir nos stocks, réaménager nos étalages et arranger nos vitrines». Il est plus de 13h, c'est l'heure de la prière du dhouhr.

«Essalat fi bouyoutikoum (la prière chez vous)», répétait le muezzin d'une mosquée non loin de l'hôpital Mustapha. «Restez chez vous, puisse Dieu éloigner de nous fléau et damnation», a-t-il lancé plus tard dans le haut-parleur. «Citoyens ! Restez chez vous pour éviter le coronavirus ! Soyez vigilants ! Ne sortez que quand c'est nécessaire !», appelait la voix du gendarme amplifiée par un micro en début de soirée du lundi.

«Ce virus bouscule notre système de santé mais bouscule aussi nos consciences», soutenait hier le ministre délégué du secteur en conseillant aux gens «évitez les mariages, évitez les enterrements».

Hier, dans les rues d'Alger, les fleuristes ont fermé leur kiosque contrairement au 1er jour du printemps. (Voir reportage dans l'édition du lundi 23 mars).

La disparition des fleurs du paysage algérois coïncide avec un temps maussade, pluvieux et froid, fouetté par un vent très fort. On ne sait pas si les Algérois craignent ce mauvais temps ou la contamination par le COVID-19. Ce dont on est sûr est que les Algériens craignent la mort mais se fichent de ses causes.

Peut-être que la voracité du virus les obligera à respecter les règles de prévention à commencer par celle de l'hygiène qui fait terriblement défaut dans la capitale. «Ce sera alors la première phase d'une réforme des mentalités pour l'amorce d'un nouveau tempérament», espère un sociologue.