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Des belles promesses de Bouteflika, parlons-en!

par Kamel Khelifa*

«Les promesses politiques sont semblables à un feu, ça tient chaud un moment, puis ça finit en fumée». J.J. Lingrée (Maximes 1814)

Bouteflika renonce le 11 mars à un 5ème mandat mais veut jouer les prolongations (durant une autre année) avec le même personnel politique pour ?'re-re-tricoter '' la constitution du pays à sa façon. Mais le peuple demande le remplacement de ce clan au pouvoir par un gouvernement intérimaire confié à des technocrates chevronnés pour diriger les affaires courantes en même temps que des consultations seront menées au sein de la société civile, en vue d'une assemblée constituante. Mais le Prince continue à faire la sourde oreille en considérant qu'une décision du sommet et/ou un discours politique constituent des paroles d'évangile et au peuple de croire aux Arrêts de l'implacable destin et d'aller se recoucher.

Tout cela est terminé! La génération montante montre qu'elle connait bien ce système mais le régime semble ignorer cette réalité en croyant qu'elle se laissera bercer avec de belles promesses. Bouteflika, alors candidat à l'élection présidentielle de 1999, n'était-il pas prêt, face à l'arbitraire de l'administration, «à prendre le maquis...», à en croire ses déclarations indignées à une chaine de télévision étrangère. Lire la contribution de l'auteur In Le Soir d'Algérie, du 30/12/2012, intitulée ?' Système et bureaucratie, comment un monstre en couve en autre''...

Les Algériens connaissent bien les promesses sans lendemain et les stratagèmes utilisés par le système pour les faire oublier: les acquis démocratiques obtenus en octobre 88, ne furent-ils pas transformés en véritable calvaire pour tout un peuple? L'Algérie paya un lourd tribut, se comptant en dizaines de milliers de victimes, sans doute pour faire regretter aux Algériens d'avoir voulu se révolter contre l'ordre établi... A la suite de cela le peuple fut sommé de choisir entre la peste et le choléra...

Aujourd'hui, Bouteflika nous promet une troisième épidémie: la RAGE de devoir attendre et souffrir encore un (1) an de caprices du Prince! Preuve s'il en est que le clan présidentiel est sourd aux appels du peuple lancés depuis le 22/2/2019. Pourtant, la Constitution promulguée le 23/02/1989 consacre solennellement le principe de souveraineté du peuple; la séparation du FLN et de l'Etat; l'Indépendance du pouvoir judiciaire (loi du 12/12/89); l'armée assignée à la défense nationale, etc. Avec ce train de mesures, outre l'adhésion de l'Algérie à une vingtaine de conventions internationales sur les droits de l'homme, justice fut rendue à l'époque au peuple d'écrire pour la première fois de son existence sa propre histoire... L'espace de trois années, les Algériens rêvaient à l'unisson de jouir pleinement de la démocratie naissante en 1989. Soudain, le peuple fut tiré brutalement de son rêve pour assister la mort dans l'âme à la mise à mort du processus de changement politique, lors du pronunciamiento de janvier 92.

La «décennie noire» provoqua un désastre humain, outre des dégâts matériels et financiers incalculables. A ce jour des familles algériennes espèrent encore la tenue des promesses faites par A. Bouteflika, lors de son investiture en 1999, afin de faire toute la lumière sur les multiples affaires d'assassinats, d'enlèvements d'individus, etc. Notons également qu'après avoir pris connaissance de l'ampleur des fléaux destructeurs de l'équilibre de la collectivité nationale et du destin commun, A. Bouteflika promit de constituer des commissions pour tenter d'y trouver des solutions, parmi lesquels les indispensables réformes de: l'Etat; l'administration; la justice; l'école; la santé, etc. Faisant abstraction du travail de fond entrepris dans le sens du changement radical opéré en 89, A. Bouteflika choisit ses propres gens, tel l'ambassadeur Sbih, pour présider la commission des réformes, pompeusement appelée en l'an 2000 le «grand chantier du Président»...!

Puis, comme il fallait s'y attendre, le travail de cette commission est resté lettres mortes, en dehors des rafistolages pour faire des entorses constitutionnelles sur la durée du mandat présidentiel, limité initialement à deux...

Dans les années 2000, le problème de l'Algérie n'était pas tant lié à l'élaboration de nouvelles réformes politiques qu'à l'application respectueuse des lois existantes, notamment celles relatives à l'expression démocratique et au maintien de contrepouvoirs réels mis au placard, comme fut congédié en 1999 le corps des médiateurs de la république, sans autre forme de procès... Lire l'article de l'auteur In Le Soir d'Algérie du 15/04/2014 :?'l'Algérie est-elle une république véritable?'' Combien de fausses promesses avons-nous gobées suite aux manifestations grandioses de janvier 2011, déclenchées simultanément, dans la foulée des ?'printemps arabes'', par de nombreux corps de métiers (y compris les imams!), portant sur des revendications sociales certes mais ne cachant pas moins un ras-le-bol politique généralisé...

Pour les gouvernants, il importe que les aiguilles de la montre grignotent le temps, sans que ne chavire le système dont les jours tiennent depuis toujours aux bienfaits de la manne pétro-gazière! Ainsi, pour réfréner la contestation sociopolitique l'argent de la rente est distribué sans compter. Toutefois, le silence de la Présidence et du gouvernement était assourdissant jusqu'au 15 avril 2011.

Enfin, le discours tant attendu de la part du Président est prononcé en ce mois d'avril 2011. Le moins que l'on puisse dire est qu'il était à mille lieues de répondre à l'attente des Algériens, même si le gratin du régime et de la rente, soudain libéré de son malaise, criait comme d'habitude à la panacée.

Un professeur en droit constitutionnel de l'université d'Oran est même dépêché le jour du discours présidentiel à Alger. Il fera, lors du journal de 20 H de la télévision algérienne, temple magique où sont rendus les oracles politiques, une dissertation sur l'allocution du Président. Selon l'universitaire, ce discours historique «augurait d'une ère nouvelle annonciatrice d'une ?'République nouvelle'' et tutti frutti...

A contrario, feu Abdelhamid Mehri, dans sa lettre-testament adressée au mois de février 2011 à A. Bouteflika, posa un diagnostic lucide et honnête sur une gestion «marquée beaucoup plus par les aspects négatifs que positifs.» Le président ne retint, des propositions de sortie de crise de l'ex, SG du FLN que ce qui arrangeait le système, en l'occurrence: la création de commissions et l'organisation de consultations (d'autres de plus) dont la finalité apparaissait de nature à gagner du temps, dans un climat général de contestation.

Aussi, d'autres personnalités, choisies parmi les thuriféraires du régime épiloguèrent sur le sexe des anges pendant des semaines inutilement... Le Président du Sénat, chargé par le Président de l'animation de ce simulacre de dialogue démocratique sur des réformes dérisoires, y met fin sine die, certainement à l'approche des législatives de 2012... Cependant, le pouvoir aura gagné quelques mois précieux pour sa survie et la continuité du système monarchique avec seulement de la jacasserie pour préparer lesdites législatives. En Algérie, les élections sont toujours l'occasion pour donner un os à ronger à la classe politique afin de distraire le peuple avec des miroirs aux alouettes pivotant autour de promesses illusoires... On le dira jamais assez le système oligarchique, qui préside aux destinées de l'Algérie, répugne depuis les origines à admettre l'idée-même d'alternance politique.

Les «réformes des Lois», proposées en avril 2011 sur l'information et l'audiovisuel, les partis politiques, etc., pour calmer les manifestants dans la rue, constituaient un leurre ourdi prétendument dans le cadre de la réparation du viol intenté en 1992. Au lieu d'un Etat à bâtir, le régime renforça, à travers des mesurettes puériles, le pouvoir oligarchique que le peuple tente de chasser par le portail et qui lui revient par tous les soupiraux entrouverts...

Comme la poussée de la rue en ébullition persistait, depuis janvier 2011, Bouteflika paraissait en tirer les conclusions, en prononçant un discours à Sétif en mai 2012 avec sa tirade emphatique ?'Jilna Tab Jnenou'' (notre génération a fait son temps)... La jeunesse crut sur parole ces promesses donnant l'impression d'appréhender ses aspirations au changement de génération au pouvoir. Comment ne pas le croire dans un pays grandement fossilisé, affecté de tous les maux et dont la thérapie réside dans l'ablation des cellules nécrosées et non en l'application de simples pansements sur des plaies purulentes depuis plus d'un demi-siècle? Que dire alors du fonctionnement de la Présidence dont la charge ne comporte aucun inconvénient, notamment de rendre des comptes quand les résultats sont mauvais, en cas d'abus de pouvoir, etc. ; privilèges monarchiques dont même les monarques des temps obscurs n'auraient pu en rêver! Voir l'article de l'auteur, In le Soir d'Algérie, du 09/06/2014, intitulée ?'Mettre fin au régime présidentiel omnipotent...''

La deuxième législature (2004-2009) coïncidait avec une flambée des prix du pétrole, ayant atteint des records de 150 Usd le baril, entre 2003/2008. Dans la foulée, l'Algérie engrange des recettes d'environ 800 milliards* Usd en cinq ans, reléguant au dernier plan les exigences du peuple et les promesses de changement faites par M. A Bouteflika en 1999. Mais les 3ème et 4ème mandatures furent un modèle de gouvernement à somme nulle. Malgré toutes les gesticulations et promesses lancées en l'air, la situation de l'Algérie ne cessait de péricliter d'années en années dans tous les domaines (indice humain, droits de l'homme, pouvoir d'achat, inflation, taux de change, etc.) Les chiffres fournis par des institutions internationales crédibles démontrent une gestion catastrophique du pays, à mettre à l'actif d'un gouvernement relaps pour avoir: renié ses promesses; entretenu l'illusion par la verve salivaire; trompé les espérances des Algériens par l'effet d'optique télévisuel...

Conclusion: Même lorsque le Président était en pleine possession de ses moyens, il manquait de volonté (de courage?!) politique, pour assumer ses engagements. Mais les réformes promises aux Algériens le 16 avril 2011, le 9 mai 2012 et ses lettres du 4 et 11 mars courants resteront dans les annales de la politique algérienne comme des mascarades les plus indigestes. Et au système de demander en 2019 aux Algériens d'avaler encore des couleuvres, sans doute pour consoler l'ego monarchique... Pourtant, dans ses manifestations à travers tout le pays, le peuple ne cesse de délivrer des messages sans ambigüité: pas de 5ème mandat; changement de régime; nouvelle république; haro sur le personnel politique... N'est-il pas temps d'abandonner tous ces artifices et autres vaines promesses pour laisser enfin les Algériens pétrir leur destin de leurs propres mains? Les grands hommes et grands peuples sont ceux qui n'hésitent pas le moment venu à donner rendez-vous à l'histoire! L'Algérie ne dispose-t-elle pas d'un exemple vivant en la personne du Président Zeroual qui donna l'exemple en 1998 en démissionnant de son plein gré?

*Auteur-essayiste, Expert et Consultant international