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Aïn Témouchent: Colloque international sur Syphax

par Saïd Mouas

La maison de la culture du chef-lieu de wilaya abrite depuis aujourd'hui, samedi, les débats sur une riche période de la préhistoire qui a vu se confronter les trois plus grandes puissances de l'époque à savoir Rome, Carthage et les Etats de Numidie.

Une pléiade de conférenciers venus d'Europe et d'Amérique ont été invités par le Haut commissariat à l'amazighité, organisateur de cette rencontre, dans le but d'apporter de nouveaux éclairages sur les enjeux géostratégiques et économiques qui ont dominé les relations entre les belligérants pour le contrôle des territoires de la Numidie et de la mer Méditerranée. Une période trouble qui a impacté le cours de l'Histoire à l'échelle de l'Afrique du Nord. Les deux grands souverains, Syphax et Massinissa, avaient durablement marqué leur temps en défendant leur Aguellid respectif.

Les côtes oranaises avec l'île Rachgoun ont abrité, depuis les époques les plus lointaines, de nombreuses peuplades : Ibéro-maurassiens, Crétois, Mycéniens, Phéniciens, Numides, Carthaginois, Massaessyles et Massyles. Lorsque les guerres puniques éclatèrent en 264 av. J.-C., les Romains appelaient « Afrique » les territoires propres de Carthage et « Numidie » la région comprise entre Tabarka (Tunisie) et la Moulaya (Maroc) qui englobaient deux royaumes. Les Massyles à l'Est avec pour capitale Cirta (Constantine) et les Massaessyles à l'Ouest qui ont choisi de faire de Siga, créé par les Romains, leur capitale, dont les vestiges ont été retrouvés après les premières fouilles archéologiques menées en 1977 à quatre km de l'embouchure de la Tafna dans la localité de Oulhaça rattachée à la wilaya d'Aïn Témouchent.

Le royaume de Massaessylie se distinguait par sa richesse en hommes, ses produits du sol, la culture des céréales et l'élevage du bétail. Carthage recrutait chez les Numides, qui passaient pour les meilleurs cavaliers du monde. La majeure partie des soldats était attirée par les butins de la guerre. Ce fut avec ses soldats que le grand général carthaginois Hannibal s'illustra lors des conquêtes de l'Espagne et de l'Italie, traversant les Pyrénées puis les Alpes avec ses célèbres éléphants. La cavalerie numide forte de milliers de cavaliers remporta la célèbre bataille de Cannes (216 av. J.-C), qui demeure à ce jour dans les annales militaires comme un exemple de stratégie et de tactique

Les royaumes numides, mêlés par leurs mercenaires au conflit de Rome avec Carthage, sont alors courtisés par l'une et l'autre des puissances. Rome joua la division et arma fortement les Massaessyles sous le roi Syphax, tandis que les Massyles, conduits par Massinissa, devinrent d'abord des protégés de Carthage. Le conflit entre les deux hommes prit un tournant historique quand Syphax dut abandonner sa capitale, Siga, près des rivages de Rachgoun, pour fuir dans les montagnes. Scipion l'Africain, vainqueur en Espagne des généraux carthaginois, parvint à rallier à sa cause Massinissa et conclut, en outre, une traite d'alliance avec Syphax, qui était parvenu à recouvrer ses Etats (206 av. J.-C).

Le général carthaginois Hasdrubal fit alors entrer en scène un personnage inattendu, sa fille Sophonisbe, dont la beauté et sa haine pour les Romains allaient accélérer le tour des événements.

Dotée d'une rare beauté, aussi instruite dans les belles lettres qu'excellente musicienne, Sophonisbe la Carthaginoise fut élevée dans le culte de la soumission à la patrie. Vers 205 av. J.-C, son père Hasdrubal la maria à Syphax presque octogénaire mais encore roi des berbères Massaessyles de Numidie occidentale afin d'entraîner ce dernier dans l'alliance carthaginoise. Par dépit, Massinissa, roi des Berbères Massyles de Numidie orientale, qui était épris également de Sophonisbe et à qui elle aurait été initialement promise, s'allia à Scipion l'Africain. Syphax et Massinissa luttèrent pendant deux années l'un contre l'autre, Massinissa vaincu à différentes reprises prendra sa revanche lors de la bataille des plaines (- 203) grâce à une alliance avec Rome. Une année auparavant il s'enfuyait dans le désert permettant à Syphax de rester roi de toute la Numidie (204 av. J.-C). Scipion obtint du Sénat romain l'autorisation de porter la guerre en Afrique. Il débarque avec une grande armée à Utique, qu'il encercla et est rejoint pas Massinissa affaibli. Syphax réunit alors ses impressionnantes troupes de cavaliers pour porter secours à ses alliés carthaginois et, après avoir forcé Scipion à lever le siège d'Utique, il éprouva d'énormes difficultés à maintenir sa suprématie. La victoire des Romains à Zama en 202 av. J.-C. a mis fin au règne de Syphax et à la deuxième guerre punique. La partie occidentale, avec Siga, fut donnée à Vermina, le fils de Syphax, qui avait fait soumission à Rome. Massinissa savoura son triomphe, remettant le prisonnier Syphax aux Romains et prit Sophonisbe comme unique part du butin.

Une rivalité sur fond de romance

Toujours amoureux, il l'épousa le jour même de sa capture. Mais les Romains, craignant les conséquences politiques de cette liaison, exigèrent que la princesse leur soit livrée.

Préférant la mort au déshonneur de la captivité, Sophonisbe supplia son époux de ne pas la remettre vivante à Laelius, lieutenant de Scipion. Massinissa se résignera à ce sort et lui tendit une coupe de poison qu'elle but sans hésiter. Scipion se félicita de la conduite de son allié et honora, dès lors, Massinissa du titre de roi. Ce dernier régnera pendant 54 ans jusqu'à sa mort en 148 av. J.-C.

Il unifiera les royaumes de Numidie et assurera un essor économique, politique et militaire considérable à son Aguellid (Afrique du Nord). Le comptoir de Siga et l'île de Rachgoun constituaient à l'époque une place forte commerciale.

Aujourd'hui la plupart des chercheurs qui se sont intéressés à l'histoire de la Numidie, comme le professeur Djennas Messaoud, ophtalmologiste de renom et auteur de l'excellent livre «La saga des rois numides», s'interrogent sur les «causes de l'échec de nos glorieux aïeux à construire une nation et à bâtir un Etat qui eussent pu survivre aux aléas de l'histoire?» D'autres questions aussi cruciales affleurent à la lecture des études et archives consacrées à l'Etat numide détruit 150 ans après sa naissance. Les divergences entre Syphax et Massinissa alliés l'un à Carthage et l'autre à Rome selon les circonstances n'avaient pas de fondement susceptible de menacer leur existence puisqu'ils possédaient des Etats forts. Deux puissants Aguellids qui auraient pu s'entendre et ouvrir la voie à un embryon de Nation. Mais guidés malgré eux par les évènements, ils avaient pourtant tout deux combattu les Romains, les deux souverains numides se sont quittés sur un échec à l'issue de la conférence de Siga (- 206 ). Suite au pacte d'alliance scellé par Syphax avec Carthage qui a permis l'annexion de la Massylie, Massinissa de retour d'Ibérie (Espagne) où il guerroyait contre Scipion s'est rapproché de Rome qui l'aida à remonter au trône. Avait-il le choix ? Syphax tout comme Massinissa ont résisté à l'occupation romaine.

C'était des héros attachés à leur terre, courtisés qu'ils étaient et par Carthage et par Rome. Ils se sont laissés emportés par leurs ambitions, les turbulences de l'époque et peut être aussi par le dévorant désir de conquérir Sophonisbe, la princesse punique.

Sur le site de Siga, le mausolée de la famille du roi Syphax, construit en son temps, veille sur ce tumultueux passé. Bâti à 221 m d'altitude sur les monts de Takemdit, le monument fait 2,60 m de hauteur et 2 mètres de largeur. Découvert en 1964, l'on pense que, avant les premières fouilles officielles de 1977, de nombreuses reliques, poteries, amphores, pièces de monnaie et autres objets de valeur disparurent du fait de pillages. Même les touristes étrangers, en visite sur les côtes de Rachgoun, n'ont pas hésité à dilapider ce trésor historique avec la complicité de certains autochtones de la région. Non loin du site et sur une grande falaise surplombant la mer, a été réalisé un vaste ensemble hôtelier, dénommé «Complexe de Syphax », en souvenir de celui qui incarna les débuts de la fondation du premier Etat algérien.