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Gouvernement: De graves défaillances et des interrogations

par Ghania Oukazi

«Il y a eu des instructions strictes, ces jours-ci, du président de la République pour, qu'en premier, le gouvernement mette les moyens nécessaires pour prévenir et guérir ce fléau.»

Ce sont les premières déclarations du ministre de la Santé bien après que le choléra ait touché un grand nombre de citoyens et placé l'Algérie, vis-à-vis du reste du monde, comme pays à risque et même à éviter. L'on se demande si, avec toutes les pressions extérieures qu'exercent certains pays puissants sur elle pour, qu'entre autres, elle intervient en Libye ou au Mali, l'Algérie avait-elle besoin en plus, d'un affront « infectieux ». L'on reste sidéré devant l'attitude d'un ministre de la République qui avoue avoir reçu « des instructions strictes » du président de la République pour «prévenir et guérir le fléau.» Hasbellaoui met ainsi l'opinion publique face à deux hypothèses : ou le président a effectivement donné des « instructions strictes » pour que le gouvernement réagisse vite face à la propagation du choléra, et dans ce cas, le ministère de la Santé a été incapable de réagir, promptement, face à l'apparition de ce fléau, ou alors le président n'a rien dit et que les propos tenus par le ministre de la Santé relèvent d'une propagande électoraliste absurde. Dans les deux cas, l'intelligence a terriblement manqué. Ce qui est aussi évident, c'est que dans les deux cas, le gouvernement confirme son incurie. Tout le monde sait que depuis qu'il est tombé malade, le chef de l'Etat ne reçoit aucun ministre ni lui parle au téléphone. S'il ne le faisait pas quand il était en bonne santé, l'on ne croit pas qu'il le fasse en étant malade. L'on se rappelle, lors d'une réunion des ministres arabes de l'Intérieur qu'un haut cadre du ministère de Nouredine Bedoui avait fait un lapsus révélateur en déclarant que «ce sont les instructions de Saï?, (Saïd ndlr), euh, Abdelaziz Bouteflika.» Que celui qui instruit s'appelle Abdelaziz ou Saïd Bouteflika, un gouvernement n'attend pas des instructions « venues d'en haut » pour réagir alors qu'il y a mort d'hommes.

Le ridicule n'a jamais tué personne

« Dès la déclaration du premier cas de choléra ou juste ses symptômes, il a fallu, tout de suite, isoler le malade et la région où il a été infecté, déclencher le plan ?Orsec' et prendre les mesures nécessaires pour que le fléau ne se propage pas,» affirme un médecin. Comme de tradition, le gouvernement n'a pas su anticiper les événements. « Un gouvernement qui attend que la présidence de la République prenne des décisions, c'est qu'il ne sert à rien et qu'il faille alors le renvoyer chez lui, » estime un observateur. Si le ridicule n'a jamais tué personne, en Algérie, il fait des ravages monstrueux au sein de la société. En l'absence de l'autorité de l'Etat, les citoyens errent dans le sens qui les agrée, ils jettent leurs ordures dans les rues, démolissent leurs appartements pour en changer l'architecture, branchent leurs compteurs aux poteaux électriques publics, contredisent les lois de la République... Les institutions de l'Etat se cachent sous l'exigence de la préservation de la paix sociale pour laisser le pays sombrer dans l'indigence et l'illicite. Tout autant que le ministère de la Santé, celui du Commerce a, lui aussi, failli à ses responsabilités en laissant les commerçants vendre l'eau minérale à des prix exorbitants. Les propos dithyrambiques des ministres frôlent très souvent la fourberie. Les services de contrôle n'ont jamais eu les moyens nécessaires pour s'acquitter, convenablement, de leurs missions. Les contrôleurs d'un grand nombre de wilayas n'ont, même pas, de véhicules pour se déplacer. « On prend un taxi ou le bus, on se débrouille comme on peut, » nous dit un contrôleur. Pis, «en cas de contrôle dans les lointains douars, ce sont les services du ministère du Commerce du chef lieu wilaya qui nous envoient une voiture, sinon, on ne peut pas se déplacer, explique-t-il encore. Depuis très longtemps, le ministère sait que les pastèques -particulièrement- sont irriguées, dans beaucoup de régions, avec les eaux usées. Les agriculteurs malhonnêtes agissent en toute impunité alors que leurs actes relèvent du crime. Encore une fois, il semble que le maintien de la paix sociale pour des considérations électoralistes ou pour faire réélire le président de la République, à chaque fois qu'il en a envie, permettent des fautes graves. La crédibilité de l'Etat a pris de sérieux coups de décrépitude. Celle de ses institutions et de ses responsables n'en a pas eu moins. Sinon, les hôpitaux, pour ne citer qu'eux, n'auraient pas été des mouroirs.

Quand la compétence n'est pas une exigence

Le ministère de la Santé a toujours fait le dos rond devant les graves dysfonctionnements des établissements de santé. Les graves pénuries de larges palettes de médicaments pourraient à elles seules expliquer l'incurie dans la gestion des affaires de l'Etat, celle de beaucoup de responsables et surtout l'absence de sanctions dans un pays où personne n'est tenu de rendre des comptes. Fait des circuits mafieux, la vente d'assiettes foncières à des particuliers qui se retrouvent quelques mois plus tard devant le juge pour avoir «acquis des biens d'autrui.» Un jeune émigré nous racontait qu'il était venu de l'étranger avec l'idée d'acheter un terrain pour construire, « une petite maison sur le littoral, mais j'ai été découragé par beaucoup de personnes parce qu'on m'a dit que je risquais d'être escroqué et que les autorités locales ou la justice ne pourraient pas m'aider. » Ce genre de malversations a fait le tour du pays. Le jeune émigré n'est pas le seul à se plaindre de tels agissements alors que les auteurs continuent de sévir.

La ministre de l'Education a adressé, hier, ses « vifs remerciements » aux responsables du secteur qui ont pensé, selon elle, « à réparer les tables des classes ou peindre les murs des écoles.» C'est à croire qu'ils ont rendu service à la ministre alors qu'ils se sont seulement acquittés de leurs missions, les plus élémentaires, à la veille de la rentrée scolaire. Quand le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique pense que le prix Nobel n'apporte rien à une université dont le chercheur l'aurait obtenu et qu'une moyenne de 10 n'a rien de plus qu'une moyenne de 19, alors le gouvernement devrait être démis de ses fonctions. Il est trop facile d'accuser les médias d'avoir «mal interprété les propos» d'un responsable. Le cafouillage du wali de Blida, son incapacité à composer une phrase correcte pour rassurer les malades du choléra, laisse pantois. Le choix des hommes n'a jamais répondu à des critères de compétences requises aux postes de responsabilités. Seule l'allégeance bête et disciplinée est exigée. Jusqu'à ridiculiser les gouvernants et la République.