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Bac 2018: Les cinq jours les plus longs

par Yazid Alilat

Le baccalauréat 2018 est, par bien des aspects, unique dans l'histoire de l'Education nationale : il a été pratiquement «blindé» par le gouvernement. Raillé et vilipendé par la société civile. Au-delà des fuites de sujets, de tentatives de fraude classiques, l'hyper sécurisation de cet examen, comme la coupure de l'Internet qui a provoqué une belle pagaille mercredi à l'aéroport international d'Alger, et une intrusion étrange du ministère de la Défense nationale, aura été le fait marquant de l'édition 2018, avec au départ 709.448 candidats.

Pour éviter la fraude électronique, le gouvernement a donné son accord, sur proposition du ministère de la Poste et des TIC, pour la coupure de l'Internet. Une mesure qui n'aura cependant pas empêché des fuites de sujets dès le rétablissement de la connexion. Une mesure impopulaire, largement dénoncée et raillée sur les réseaux sociaux, mais qui a suscité également l'étonnement de la presse étrangère, notamment les médias français, dont la chaîne d'informations en continu LCI, qui s'étonne de cette réaction du gouvernement algérien face à la fraude 3.0. «Pendant toute la période du bac qui s'est ouvert mercredi en Algérie, les autorités ont pris une mesure drastique pour empêcher la fraude : internet sera suspendu pendant la première heure de chaque épreuve», soulignait LCI qui précise cependant que cette «méthode radicale n'empêche pas les sujets de fuiter sur Facebook dès la remise en marche du réseau».

L'opérateur Algérie Télécom, cité par l'APS, indique de son côté que la coupure de l'Internet est une décision prise «conformément aux instructions du gouvernement» et «suite à la demande formulée par le ministère de l'Education nationale», qui «concerne aussi bien les clients résidentiels que les opérateurs de télécommunications, à l'exception des opérateurs économiques disposant de liaisons spécialisées». La chaîne française poursuit : «Et le black-out a bien eu lieu à trois reprises ce mercredi : au lancement des deux épreuves qui se sont déroulées dans la matinée, puis au début de celle de l'après-midi.» «Mais, à peine le réseau était-il remis en marche que déjà les sujets de l'épreuve de langue arabe ont fuité sur Facebook. La ministre de l'Education nationale, Nouria Benghabrit, a promis que des «sanctions» seraient prises à l'encontre des responsables». Sur les réseaux sociaux, on estime que le recours des autorités à cette extrémité, la coupure de l'Internet pour lutter contre la fraude, ne se justifie pas et symbolise en réalité le profond malaise qui prévaut depuis plusieurs années au sein du système éducatif algérien. D'autant que pour la sécurisation de cet examen, il y a eu le déploiement de forces de police, près de 18.000 policiers, des gendarmes, dont des brigades de surveillance aérienne, des pompiers et même, selon un communiqué du ministère de la Défense, des soldats. Pourquoi ? Pour empêcher la fraude, d'où qu'elle vienne. Car après le cauchemar du bac 2016 qui a été entaché d'une fraude généralisée et a vu l'organisation d'une session de rattrapage, le gouvernement ne voulait pas connaître un autre scandale. In fine, au ministère, on ne veut pas de mauvaise surprise. A la veille des épreuves, la ministre de l'Education nationale avait indiqué, sur le risque de fuites des sujets, que «l'Etat a fourni des moyens pour la surveillance des sujets. La seconde chose, ce sont les étapes de sécurisation des examens, les centres de dépôts, les centres d'impression, l'acheminement des sujets et les centres de déroulement». «La question de la sécurisation des sujets se pose à ce niveau», soulignait la ministre qui avait rappelé que «le risque zéro n'existe pas.» Plus affirmative, elle a expliqué que «l'ensemble des parties prenantes dans cet examen ont véritablement analysé toutes les failles qui pourraient permettre cette fuite des sujets». La ministre a ainsi annoncé que «le nombre de centres de dépôts des sujets du bac est passé de 414 à 66. Cela donne une idée sur cette volonté de sécuriser le bac.» Aux établissements où sont prévus les épreuves, elle a souligné également que «la présence des téléphones portables est résolue par leur interdiction, il y a trois surveillants dans la salle, des détecteurs de métaux sont mis à l'entrée des centres d'examen, et la suspension de l'internet une heure à partir du démarrage des épreuves, ainsi que la surveillance vidéo».

Et, effectivement, durant les quatre premiers jours de cet examen, tout s'est déroulé globalement dans de bonnes conditions. Par contre, des mini-scandales, il y en a eu, et des tricheurs également. Ainsi, trente-cinq candidats ont été disqualifiés pour tricherie dans la wilaya de Tébessa durant les deux premiers jours du bac, alors que quatre autres tentatives de fraude ont été enregistrés et déjouées à Ghardaïa durant la même période, selon les directions de l'Éducation des deux wilayas. Aujourd'hui lundi, c'est la dernière journée des épreuves, dont certaines s'achèvent à 18h.

D'autre part, en dehors de la hantise de la triche 3.0, un petit scandale est en train de s'étendre parmi les enseignants, à cause du thème du sujet d'arabe pour la filière langues étrangères, ainsi que sa diffusion sur les réseaux sociaux une heure après le début de l'épreuve. Le sujet, qui parle de la relation entre les élèves et leurs enseignants avec des termes de ?'geôliers» pour les enseignants et ?'prisonniers» pour les élèves, a créé un malaise au sein du corps des enseignants. Certains enseignants ont vite réagi et estiment qu'il s'agit «d'une humiliation volontaire de la part des concepteurs de ce sujet.» Le texte qualifie également une classe de cours de prison. «Leur relation avec les apprenants est une relation d'un geôlier avec les prisonniers», indique encore un autre passage du texte, selon lequel «certains enseignants n'ont réussi ni dans l'enseignement ni dans leur ambition à ramasser de l'argent». «Ce sont des geôliers qui courent derrière l'argent», relève également le texte, apparemment très critique contre certaines revendications des syndicats d'enseignants.

C'est aujourd'hui que le bac 2018 s'achève, et que commence pour les candidats le compte à rebours pour l'annonce des résultats. Mais, également, de quelques scandales, de quelques ?'triches», de quelques bizarreries, non éventées et qui ont marqué cette édition 2018. En attendant une impérieuse réforme en profondeur des mécanismes d'accès à l'université, ou du bac, dont au moins sa durée, qui devrait passer à trois jours, comme cela se faisait ?'dans un temps» pas si lointain, le cauchemar de la fraude électronique sera toujours là, omniprésent.