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Réformes économiques et crise financière: La méthode Ouyahia

par Ghania Oukazi

  Le Premier ministre et le secrétaire général de l'UGTA semblent avoir conclu un pacte «secret» pour permettre aux investisseurs privés nationaux de mettre en œuvre leurs projets et de céder, éventuellement, les entreprises publiques économiques

dont les caisses sont vides.

Au temps de Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre, le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb avait plaidé la cause d'un secteur privé qui, avait-il soutenu, « constitue une alternative prometteuse dans le financement des projets de réalisation d'infrastructures et de logistiques, dans le but de tirer profit de ses capacités d'innovation, de sa technicité, de son efficience et de ses possibilités de financement.» Bouchouareb avait tenu ces propos, le 6 mars dernier, à Annaba, lors de la tenue des travaux de la 20ème Tripartite. « Il s'agit de mettre en place une nouvelle forme de relation contractuelle, liant le secteur public à celui du privé, le Partenariat Public Privé (PPP),» avait-il affirmé. Un avant-projet de loi avait, alors, été élaboré et soumis, selon lui, au gouvernement.

Le secrétaire général de l'UGTA avait lui, pour sa part, proposé, à la même occasion, l'idée de l'institution d'un comité de veille, chargé du suivi et du développement des investissements. Ce qui fut fait. Placé sous l'autorité du Premier ministre, le Comité devait, selon la décision de son institution, entre autres, suivre les actions de l'investissement, proposer les moyens devant concourir au développement de l'acte d'investir, anticiper sur toutes les difficultés pouvant surgir et freiner la politique nationale d'investissement, procéder à la collecte, au traitement et à l'analyse des données et informations relatives à l'investissement et son environnement (?). Le Comité devait, en outre, élaborer « régulièrement » des notes d'analyse et d'alerte sur la situation de l'investissement et les perspectives de son développement, sur les mesures ou les actions susceptibles de favoriser l'amélioration de l'environnement de l'investissement.

Qand les gouvernants vasouillent

Ainsi institué, le Comité en question pouvait,peut-être, s'il était actif, recenser les entreprises nationales productrices, publiques et privées, pour permettre au gouvernement, comme l'a déclaré Youcef Yousfi, ministre de l'Industrie, d'avoir un tableau de bord de ce qui est produit localement. Les idées n'ont rien d'innovant. Rappelons, en effet, que Sidi Saïd avait décidé, l'an dernier, de faire le tour des producteurs nationaux du pays pour, avait-il dit, «savoir qui produit quoi pour diminuer de la facture de l'importation ». Au bout de quelques déplacements à cet effet, à travers le pays, il avait reçu des menaces des lobbys de l'importation? Il avait alors lâché prise. A l'Université du FCE, les investisseurs ont posé des problèmes récurrents, depuis plusieurs années. Les hommes d'affaires ont les mêmes préoccupations depuis que les réunions tripartites se tiennent en Algérie. C'est dire que les réformes ne vont que rarement, au-delà du discours.

Dans ce forum, le Premier ministre a fait, d'ailleurs, un remake de ce que Sellal avait fait, l'an dernier, à la résidence d'Etat ?El Mithak' en présence pratiquement des mêmes acteurs et face à un certain nombre d'experts. De là qu'était née l'idée du ?Nouveau Modèle de Croissance' qui a été adopté en Conseil des ministres, fin 2016. Aujourd'hui, personne n'en parle, même si tout le monde sait que les dix propositions de Ouyaha ne diffèrent pas autant. Peut-être avec cette nuance qui n'apparaît pas mais qui semble, aujourd'hui, faire son bonhomme de chemin pour s'imposer comme décision «non négociable» par le secteur public économique.

Il est avancé par des conseillers à la chefferie du gouvernement que «désormais, il n'est plus possible de combler les trous de trésorerie des entreprises publiques économiques.» L'on apprend, ainsi, que l'Etat a, de 2010 à 2015, déboursé plus de 12 milliards de dollars pour les besoins de ces entreprises en ?cash flow' mais surtout pour apurer leurs dettes. «Les entreprises ont été assainies financièrement, leur compteur a été remis à zéro,» nous est-il dit. «De quoi reconstruire l'Economie nationale tout entière,» nous disent nos sources au palais du Dr Saadane.

Les entreprises publiques font la fine bouche

Lors de son intervention, avant-hier, à l'Université du FCE, le patron de la Centrale syndicale a fait savoir que l'ENIEM a refusé de se mettre en partenariat avec un privé. « Niet !, ils ont refusé, pourtant, l'ENIEM a des difficultés financières et risque de mettre dehors 3.000 employés, » a-t-il noté. L'on sait que c'est ?Condor' qui avait proposé de prendre 49% des actions dans le capital de l'ENIEM de Tizi Ouzou et même dans le capital de l'ENIE de Sidi Bel-Abbès. Les entreprises publiques ont rejeté l'offre parce qu'elles devaient, entre autres, être mises sous l'autorité managériale de ?Condor'. « Le management devait se faire par le privé, » nous dit-on.

L'on se rappelle que Sidi Saïd avant demandé, en mars dernier, la reconfiguration du secteur public marchand. L'on ne sait si la revendication est toujours d'actualité, chez l'UGTA. Mais ce qui est, aujourd'hui, évident est que son secrétaire général continue d'appuyer, fortement et publiquement, le secteur privé et ce, depuis la tripartite de Annaba. « Il faut favoriser l'éclosion d'une dynamique d'investisseurs innovateurs et porteurs de projets facilitant la ré-industrialisation de l'Algérie, » avait-il affirmé, à cet effet. « C'est à grands pas vers une nouvelle démarche industrielle que nous pourrons mener la bataille de la ré-industrialisation et la guerre contre le phénomène de l'importation néfaste à l'Economie et à l'Emploi, » avait-il, encore, précisé. Il avait noté que « c'est en redonnant à l'investissement tous ses attributs d'actions, loin de toute contrainte, que nous pourrons combattre et démystifier l'adage récurrent qu'une économie nationale hors hydrocarbures est un leurre. »

Le SG de l'UGTA ne craint pas d'être qualifié de « lâcheur » du secteur public. « Le secteur public économique a été assaini à coups de milliards, à plusieurs reprises et pendant de longues années (rappel dispositif banques-entreprises ndlr) mais il continue à affronter des difficultés financières, » nous dit-il. «Il faut être lucide et regarder les choses comme elles se présentent, il faut aller vers le partenariat public-privé national, c'est la seule manière de sauver les entreprises publiques, » nous fait-il savoir. « Il nous faut impérativement mettre en place une culture de combat et de confiance en nous-mêmes pour gagner, oui pour gagner, » ajoute-t-il pour reprendre ses propos de la Tripartite de Annaba.

La privatisation au dinar symbolique de retour ?

«Aujourd'hui, si on veut relancer notre Economie et la diversifier, si on veut allier développement économique et justice sociale, il faut libérer les initiatives privées, soutenir l'acte d'entreprendre et lever les contraintes à l'investissement, » nous dit-il encore. Il appelle le privé à investir et le gouvernement, à lui faciliter les procédures. « Un partenariat entre les entreprises publiques nationales et les entreprises privées nationales est une bonne chose, on peut même agir pour faciliter un partenariat triangulaire public-privé nationaux-étrangers, » estime Sidi Saïd.

L'on interroge, dans ce cas, comment pourrait faire une entreprise (elles sont nombreuses dans son cas) comme l'ENIEM qui n'a pas d'argent. A la chefferie du gouvernement, l'on ne craint pas les mots, la réponse est claire. « Toute entreprise publique économique défaillante, en détresse financière, devra être cédée au privé au dinar symbolique mais avec un cahier des charges qui l'oblige à garder tous les employés, » soutiennent nos sources. La privatisation figure, ainsi, dans l'agenda «secret » du gouvernement Ouyahia, certainement en accord avec l'UGTA. L'idée n'est pas nouvelle non plus. Ce pacte « secret » a été suggéré par Sidi Saïd à Sellal. Il est question, à cet effet, de «copier » la Chine qui avait fait de même, au temps de ses années dures. « Voyez où est la Chine aujourd'hui !?» s'exclament nos sources. L'idée est, aussi, reprise des années 90 où la cession d'entreprises publiques, au dinar symbolique avait permis de créer de nouveaux riches, sans aucune obligation de résultats. L'impunité fait force de loi face à des pratiques frauduleuses et aussi de bureaucraties qui plombent l'Economie nationale et tout le pays... Une nouvelle vision économique? «Pas vraiment, il est prévu qu'on revienne à la privatisation mais pas à la ?Temmar', » nous dit-on, avec un sourire. C'est la méthode ?Ouyahia' qui revient, dixit ses conseillers.