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La planche à billets comme planche de salut? Pourquoi? Pour qui?

par Mourad Benachenhou

La qualification erronée de "crise financière" (ou la mauvaise foi dans cette qualification) donnée au mal multidimensionnel qui frappe le pays constitue un indice supplémentaire de la volonté de statuquo. Ceci ne peut que conduire à l'aggravation

des affaires. Objectif de la qualification de «crise financière»: maintenir le statuquo!

Cette qualification indique de manière claire un refus d'effectuer les changements en profondeur qu'exige la situation économique du pays, et la décision de s'en tenir à quelques mesures cosmétiques qui ne changent rien au mode de gouvernement des richesses nationales. Il faut reconnaitre que la démarche annoncée est en droite logique de cette qualification erronée de crise financière, parce que tout y tourne autour du "comblement du trou fiscal," y compris par l'usage excessif du droit souverain de frapper monnaie, et le renforcement de la dépendance à l'égard des hydrocarbures.

La comparaison: le comble de la déraison

La stratégie keynésienne "d'aisance monétaire, " évoquée pour justifier l'euphémisme : "le financement non conventionnel," ne marche que dans le cas où le pays disposerait d'un excès de capacité de production, qui dépasserait les capacités d'absorption des revenus disponibles. Comparaison n'est pas raison, et toute comparaison est fausse par définition, et n'a qu'un usage rhétorique, sauf si elle est faite en respectant le principe sine qua non de " toutes choses étant égales par ailleurs."

Faire référence aux exemples américains ou européens est le comble soit de l'incompétence ou du cynisme, ou des deux à la fois. La structure de l'économie algérienne n'est ni celle de l'Europe, et encore moins celle des Etats-Unis! On n'a nul besoin de se réclamer d'un doctorat d'état en économie pour appuyer cette affirmation!

L'Algérie importe pratiquement tout, biens comme services, y compris dans la construction et les travaux publics, habituellement monopole national des entreprises locales dans les pays les plus avancées. La création monétaire ne va ni générer des débouchés, ni sauvegarder les emplois, car l'appareil de production national est bien loin de satisfaire les besoins actuels de la population. Cette politique d'argent facile maintiendra, sinon exacerbera, la dépendance extrême de l'Algérie à l'égard de l'étranger, sans compter les risques déjà évidents, -malgré les dénégations "officielles," -de dérapage inflationniste, qui vont essentiellement réduire le pouvoir d'achat de la classe moyenne et des couches les plus pauvres, annuler donc les effets positifs des transferts sociaux prévus dans le budget, et accroitre encore plus la part des prédateurs dans la rente pétrolière, la seule source importante actuelle de devises.

Le fardeau du «redressement financier» au détriment des plus démunis

Le fardeau du "redressement financier" va être supporté par les "sans voix," au profit de cette nouvelle classe de prédateurs, qui jouit des faveurs et de l'appui des gouvernants.

Vu ce qu'on sait des statistiques publiées par l'administration de la fiscalité dans le pays, ce n'est pas un "impôt sur les fortunes," qui va permettre de répartir de manière équitable le poids de cette politique de redressement, qui ne touche qu'aux conséquences, et non aux causes de la crise économique actuelle, et qui prouve l'incapacité des gouvernants à affronter les réalités créées par leurs propres décisions unilatérales.

Bref, les "importateurs-importateurs," comme les industriels "chez les autres," et "importateurs" en Algérie, ont la garantie de beaux jours grâce à ce fameux "financement non-conventionnel," présenté comme la "planche de salut" incontournable. La "planche à billet," loin d'être une "bouée de sauvetage," va faire sombrer l'Algérie dans l'anarchie monétaire et économique, car elle ne maintiendra à flot que les prédateurs. Au chaos économique créé par une politique de distribution de la rente pétrolière poussée à l'absurde va s'ajouter le chaos qu'engendrera une création monétaire à partir du vide. Qu'on le sache bien: toute dépense couverte par l'excès de liquidité déversé dans l'économie se transformera par définition en revenus qui créeront donc un pouvoir d'achat supplémentaire se retrouvant dans une demande additionnelle de biens et services, dont une partie sera payée en devises, car la production nationale peine à couvrir la demande existante, que serait-ce une demande supplémentaire. On devine l'effet de cette demande supplémentaire sur les réserves en devises du pays. Le déficit budgétaire couvert par ce "financement non conventionnel" se transformera en déficit de la balance des payements.

On ne va pas noyer le lecteur en lui présentant la fameuse équation d'équilibre qui caractérise le Produit Intérieur Brut, et qui prouve que tout déficit budgétaire conduit automatiquement à un déséquilibre dans la balance des payements. Il est illusoire de croire, -et c'est une contre-vérité également de faire croire,-que le financement du déficit par la création monétaire n'aura d'effet ni sur la distribution des revenus, donc sur les niveaux des prix, ni sur le niveau de la consommation, donc sur les besoins d'importation et la balance commerciale, ni sur les besoins de financement de l'économie nationale, donc sur le niveau des réserves de changes ou sur le niveau d'endettement extérieur selon les cas.

On continuera à subventionner les nouveaux milliardaires!

Quant à l'avalanche des augmentations d'impôts indirects, les "fiscalistes" n'ignorent certainement pas qu'elle va essentiellement peser sur les petites bourses, car il est démontré que ces impôts ont un caractère régressif, c'est-à-dire que leur poids sur les revenus diminuent avec le niveau de richesse des contribuables.

Plus on est riche, plus léger est la part des revenus consacrée au payement de ces impôts, et là aussi les grands vainqueurs seront les prédateurs, qui peuvent, de plus, récupérer une partie de cette charge fiscale, par le réajustement en hausse du prix des biens et services qu'ils produisent.

Donc, le "petit et moyen revenu" va se trouver doublement pénalisé: par l'augmentation des impôts sur la consommation, et par l'augmentation additionnelle des prix qu'il paye pour les biens et services qu'il achète.

Pour le prédateur, c'est, dans le pire des cas, une équation à résultat nul, pour le petit consommateur c'est une double pénalité!

Où est donc la justice fiscale? Où sont donc les transferts sociaux prévus par le budget? Ils vont tous aux plus riches qui s'enrichiront encore plus! Paradoxalement, ce sont les seuls qui vont tirer profit de cette politique dont les tenants et les aboutissants sont fallacieusement assumés permettre de maintenir la paix sociale "en ne touchant pas aux mécanismes de soutien des prix."

Le poids de la "paix sociale," est pris en charge par l'Etat, mais ses bénéfices sont récoltés par les prédateurs, et constituent une source d'enrichissement supplémentaire pour eux, puisqu'ils pourront maintenir les salaires qu'ils versent à leurs employés, ajuster leurs prix tant pour récupérer les impôts qu'ils payent, y compris ce fameux "impôt sur les fortunes," mais également profiter de l'accélération de l'inflation que la seule annonce de "la planche à billet, a déjà causée.

Un programme gouvernemental garant de la non détérioration de la situation économique et sociale du Pays?

On peut donc affirmer que la dérive économique et la détérioration de la situation sociale, qui en est la conséquence, vont continuer, car les mesures annoncées pour y mettre fin ne feront que les exacerber et qu'accroitre les disparités sociales et la précarité, sans effet positif sur la structure de l'économie, ou l'exploitation de ce "fameux potentiel de production" tant vanté et jamais concrétisé.

Bref, sous couvert de combler le déficit budgétaire et rétablir les "grands équilibres, on continuera à subventionner les nouveaux "milliardaires," au détriment des couches les plus pauvres et de la classe moyenne du pays, et au détriment des intérêts nationaux, qui appellent à une rupture totale avec cette politique financière et monétaire qui frôle l'absurde.

Un excès de transparence pour brouiller les pistes?

Ainsi , cette transparence brusquement et brutalement assumée et tant vantée apparait comme ce qu'elle est réellement: une manœuvre politique destinée à masquer une volonté de statuquo au profit de la nouvelle classe des "prédateurs." Un excès de transparence de la part de ceux qui gouvernent dans l'opacité la plus totale ne peut être qu'accueilli avec suspicion, et n'annoncer qu'un mauvais coup contre les intérêts nationaux! D'autant plus qu'il peut aussi bien révéler des vérités que diffuser des mensonges inventés pour la circonstance. Qui peut, et qui va, vérifier si les chiffres présentés sont conformes à la réalité? Les loups crient-ils "Au Loup," pour justifier leur redoublement de férocité? Dans un système de gestion opaque des finances publiques, l'excès de franchise est partie d'une manœuvre politique, non expression du devoir permanent d'informer les "citoyens," qui ressortit de la bonne gouvernance. Sinon , pourquoi avoir attendu que les flammes de l'incendie apparaissent aux yeux de tout le monde , pour se mettre à crier "Au Feu?"

En conclusion. Loin de présager une sortie de crise dans un délai de "trois années" le programme du gouvernement va aboutir, non seulement, à la continuation de la détérioration de la situation économique et sociale du pays, mais également à l'exacerbation des disparités sociales au profit de la nouvelle classe des prédateurs, qui apparait de plus en plus comme le garant du maintien du statuquo mortel auquel est condamné le pays.

L'appel à "la planche à billet," comme "planche de salut" profitera d'abord et avant tout à cette classe, et ne contribuera nullement aux changements indispensables dans la structure productive du pays et dans sa dépendance extrême à l'égard de l'étranger.

Se pose alors la question de la liaison entre, d'un côté, la légitimité du système de gouvernance, largement ébréchée par le vide quasi total au sommet de la hiérarchie du pouvoir, vide que ne peuvent pas combler de furtives et lointaines apparitions télévisuelles, et, de l'autre, la capacité de prise des vrais mesures de redressement, mais qui toucheront certainement aux intérêts de cette classe, maintenant consolidée dans son rôle de "protectrice" de ce système.

Un dernier mot: comme l'a constaté un célèbre économiste, reprenant une idée frappée de bon sens: "On ne juge pas des politiques et un programme suivant leurs intentions, mais suivant leurs résultats." On sait maintenant a quoi a abouti le "programme présidentiel" tant vanté, et qui, brusquement, a disparu totalement du vocabulaire politique. On peut d'ores et déjà affirmer, sans risque d'être accusé de "jouer à Madame Soleil" que le programme "orphelin," conçu et mis en œuvre dans la précipitation et la panique, aggravera toutes les distorsions que le "programme présidentiel" a introduit dans l'économie. Il est probablement grand temps pour le pays de changer de cours .