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La logique politique contre la logique économique?

par Mourad Benachenhou

Le soutien au quatrième mandat du Président algérien était, en son temps, la seule position fondée, non sur des considérations personnelles, des ambitions cachées, ou des calculs politiques égoïstes, mais sur la rationalité dictée par une logique d'Etat.

Un passage mal conçu et mal géré vers l'ouverture politique et économique

On doit reconnaitre que le président algérien a su concevoir une ligne de force qui a permis à l'Algérie de sortir de la spirale d'auto-destruction, conséquence d'une série d'erreurs d'appréciation commises par les autorités publiques au cours de la dernière décennie des années quatre vingt, et de la première décennie des années quatre vingt dix du siècle dernier. Ces autorités avaient, certes, compris que le temps du parti unique était révolu, mais n'avaient pas mis en facteur le fait qu'on ne passe pas d'un système monolithique d'exercice du pouvoir à un régime politique ouvert , sans s'assurer que cette libération des carcans de l'extrême centralisation n'aboutisse pas à une crise d'autorité pouvant déboucher sur l'anarchie et la violence.

La démocratie est un exercice compliqué et sa mise en place ne consiste pas seulement en la libération de la parole et l'exercice du droit du citoyen à s'exprimer sans peur sur les affaires collectives de la nation et, sous l'autorité de textes législatifs adéquats, à créer des organisations librement établies pour défendre ses intérêts et ses vues sur la gestion du pays.

Un sentiment de gratitude à l'égard du chef d'Etat

En toute objectivité, et sans verser dans l'obséquiosité des courtisans qui gagnent leur vie et jouissent des privilèges de la proximité du pouvoir, en «maniant la brosse,» jusqu'à se couvrir de ridicule, Il faut reconnaitre au présent chef d'Etat la lucidité stratégique et la souplesse tactique qui a permis la consolidation de la légitimité des institutions publiques chargées de veiller à maintenir un minimum de consensus national et de discipline sociale, permettant ainsi au pays d'éviter la dislocation et une guerre civile encore plus féroce que celle causée par les erreurs d'analyse et les improvisations des prédécesseurs.

Ce président a su tirer les leçons des erreurs de ses prédécesseurs, ce qui n'était nullement une fatalité heureuse inscrite déjà dans la logique des évènements dramatiques qu'a connu le pays avant son arrivée au pouvoir.

Les trois axes gagnants de la démarche présidentielle

Il a su voir que, dans cette situation désespérée dont il a héritée, il y avait trois axes d'action qu'il fallait traiter simultanément pour mettre fin une fois pour toutes à cette descente aux enfers qui semblait irrésistible.

Rétablir la sérénité dans les esprits

Il fallait rétablir la sérénité dans les esprits en ramenant à la raison les membres des groupes armés, agissant sous la bannière verte et sacrée de l'islam, mais qui avaient peu à peu dérivé vers le grand banditisme au profit de chefs de guerre sanguinaires, véreux et cupides, dont les actes et les actions avaient un rapport lointain, si ce n'est inexistant, avec les enseignements moraux du Saint Coran et les actes et paroles du Prophète, tels que rapportés dans les hadiths.

Il est vrai que la concorde nationale ne s'est pas faite sans violation des règles de justice et d'éthique qui auraient dû présider à ce type de processus; on aurait, certes, souhaité une opération du type de celle suivie par certains pays, où les criminels ont été obligés de reconnaitre leurs crimes, de rendre le produit de ces crimes et d'accepter de regagner la communauté nationale, repentis et toutes hontes bues, avec un statut socialement et politique diminué.

Mais chaque pays a ses circonstances propres, et dans les circonstances algériennes, il fallait accepter, pour calmer les esprits, de passer largement l'éponge et d'étouffer les velléités de vengeance personnelle, qui sont propres aux périodes suivant un déchirement violent de la population. Ce qui est important, c'est qu'a été brisé une fois pour toutes-ou du moins c'est à espérer- cette logique de violence dont s'est emparée une partie de la population algérienne, au nom d'une idéologie qui n'a aucun autre rapport avec l'Islam que la reprise de certaines de ses formules, vidées de leur sens premier.

Briser l'isolement international

Le second axe a été la réinsertion de l'Algérie dans la communauté internationale, et l'acceptation de revoir la philosophie de sa politique étrangère, qui avait un certain nombre de fondements, dont l'établissement d'un nouvel ordre international plus juste, et non exclusivement géré au profit des puissances les plus avancées dans le monde. Cette ligne idéologique a conduit à une vision de confrontation, qui , avec la disparition de la bi-polarisation dans les affaires mondiales, était devenue à la fois irréaliste et dangereuse.

De la part d'un ancien animateur de cette vision, cela a dû constituer un déchirement intérieur profond. Mais la politique étrangère d'un pays ne peut pas être conçue et conduite sans un minimum de réalisme quant à son poids dans le concert des nations. De même qu'un athlète, ou une équipe sportive, ne peut affronter qu'un adversaire du même niveau que lui, ou d'un niveau inférieur au sien, de même un Etat ne peut conduire que la politique étrangère que lui permet sa puissance, quel que soit le contenu donné à ce terme.

Dans ce contexte, on a accepté non seulement de réduire une rhétorique combattive à l'extrême, mais également de faire des concessions sur le plan des relations politiques internationales, et plus important encore, sur le plan économique.

L'ouverture extrême de l'économie du pays, concrétisée par la libéralisation du commerce internationale, et le libre accès des entreprises internationales du marché des investissements publics, facilitées par l'accroissement des ressources en devises, ont permis de gagner le soutien des états qui comptent dans le monde, et d'assurer aux autorités publiques la rupture de l'isolement hostile dont le pays avait souffert lors de la décennie noire.

Renforcer l'harmonie sociale

Le troisième axe a été de relancer la reconstruction de l'harmonie sociale, pour éviter la création de nouvelles poches de contestation, si ce n'est de révolte parmi ceux de la population qui sentaient que leur exclusion sociale ne s'étaient pas achevée avec le retour à la paix, l'ouverture et la libéralisation de l'économie, comme l'encouragement de l'initiative privée.

Il fallait donc mener une politique de distribution de la rente pétrolière visant à accroitre le nombre d'Algériens et d'Algériennes bénéficiant, quel que fût leur apport à la création de richesses , d'un minimum de prospérité, ou du moins d'un minimum de privations des biens matériels.

D'où le maintien du soutien des prix de première nécessité, la distribution de crédits à la création de micro et de petites entreprises aux jeunes chômeurs, et sous différentes formes, le lancement d'un vaste programme d'élimination de l'habitat précaire, la facilitation de l'accès à l'éducation par la construction de centaines d'établissements d'enseignement de toute nature, et de tous niveaux, permettant l'absorption de la plus grosse partie de la population dans les tranches d'âge scolarisables à quelque niveau que ce soit. Grâce à cette politique, la taux d'analphabétisme a été fortement réduit et les perspectives d'une population entièrement alphabétisée deviennent à portée, tandis que sont créés les fondements d'un autonomie technologique indispensable à un développement durable dans le vrai sens du terme, c'est-à-dire un accroissement du revenu disponible par habitant sur la base d'une exploitation optimale des ressources naturelles et humaines du pays.

Les effets pervers d'une politique d'ultralibéralisme économique

Cependant, toute politique, si bien pensée soit-elle, si bien administrée quelle ait été, donne souvent des conséquences négatives inattendues, d'autant plus qu'une fois mises en place, elles ont un développement autonome, au vu même de la complexité de la gestion d'une société moderne.

Les autorités publiques ont tendance à se focaliser sur les aspects opérationnels de leurs politiques, qui tournent essentiellement autour des mesures de caractère législatif, réglementaire, budgétaire, fiscal, diplomatique ou autre, facilitant l'exécution des différents aspects de leur politique. Ces autorités ignorent, -ou ne font pas suffisamment attention à- les effets induits de leurs politiques, qui constituent des éléments négatifs échappant peu à peu à leur concepteurs et à leurs maitres d'œuvre d'ouvrage.

Une nouvelle classe de prédateurs dangereux pour la stabilité et la sécurité du pays

Parmi les conséquences négatives de la ligne politique suivie, sans opposition aucune, par les autorités actuelles, a été la création d'une classe de compradores, enrichis par une politique économique qui a encouragé l'importation comme substitut à la production nationale, la spéculation sur les denrées de première nécessité sous une forme plus ou moins directe, le développement de la sous-traitance étrangère en lieu et place du développement du potentiel de production nationale, tant dans les domaines industriels que dans ceux des travaux publics financés sur les ressources de l'Etat.

De plus, cette classe a développé son influence politique et sa main mise sur le processus de décision économique et politique du pays. Elle a accumulé des actifs tant en dinars qu'en devises étrangères, qui lui ont permis d'investir à l'étranger et de tisser des liens avec des puissances extérieures, en vue de protéger ses biens mal acquis.

Une timide politique de redressement qui suscite une réaction féroce de la part des prédateurs

La crise économique que connait le pays, en raison de la chute des recette pétrolière, dicte impérativement une politique de réajustement urgente de la ligne économique suivie jusqu'à ces derniers temps. Il faut freiner les importations tout azimut, mettre fin aux espaces spéculatifs dans lesquels se sont engouffrés les milliardaires prédateurs algériens pour fonder leurs fortunes sans enrichir d'un seul dinar le pays. Cette nécessaire correction de la politique économique du pays ne se fera pas sans opposition violente. Les réactions à la foi de peur et d'instinct de conservation, de la part de ceux dont les intérêts seront touchés, face à des mesures pourtant encore timides, incohérentes et mal ajustées les une autres, prouvent s'il le fallait encore, qu'il faudrait à la tête du pays un homme disposant de toutes ses facultés physiques et mentales pour diriger le bateau algérien à travers cette tempête en perspective. Le précédent premier ministre a osé s'attaquer à cette classe de prédateurs; ses membres n'ont pas hésité à frapper au bas de la ceinture, prémices d'une crise autrement plus violente qu'ont décidé de susciter ces prédateurs , maintenant plus que jamais prêts de s'emparer du pouvoir , même s'il le faut en s'appuyant sur des interventions étrangères, pour garantir la pérennité de leurs fortune mal acquises.

En conclusion

L'appui donné à un quatrième mandat du chef d'état actuel était, en son temps, la seule position politique défendable dans un esprit de consolidation de la stabilité que ce candidat avait apportée en suivant une politique cohérente tant sur le plan national que sur le plan international, politique fondée sur trois axes dont a été tenté l'élucidation dans cette brève et incomplète analyse; on ne peut qu'exprimer une gratitude, éloignée de toute obséquiosité, à l'égard de ce chef d'Etat qui a su concevoir et tracer la ligne politique adéquate pour sortir le pays de l'anarchie et de la violence. Cependant, cette politique a abouti à des conséquences, probablement pas suffisamment claires pour être mises en facteur dans la démarche des autorités publiques, mais qui ont pris du relief avec la crise économique que traverse le pays, et qui exigent des mesures de redressements globales, cohérentes et rigoureuses. Parmi les conséquences les plus dangereuses de cette ligne politique, dont la rationalité n'est pas mise en cause, au vu de la situation dramatique dans laquelle était plongé le pays, il y a quelque dix huit années de cela, il faut mentionner :

a)L'excès de dépendance du pays à l'égard de l'étranger tant sur le plan des produits de consommations intérieur, que sur le plan des politiques d'investissements publics.

b) L'émergence d'une classe de prédateurs spéculateurs, disposant de moyens financiers énormes leur permettant d'influer sur les décisions du pouvoir politique, et ambitionnant de dominer ce pouvoir.

Les quelques mesures de redressement prises par le premier ministre précédent, disposant de pouvoirs ont été élargis par la Constitution de Mars 2016, ont suscité de la part de cette classe de prédateurs des réactions violentes qui dévoilent non seulement une certaine panique, mais, plus grave encore,à travers le changement brusque à la tête du gouvernement, révèlent une influence décisive sur les affaires de l'état, déjà apparente à travers la dictée d'une circulaire apocryphe émanant du cercle le plus élevé de la hiérarchie du pouvoir.

Dans cette zone de turbulence qui apparait à l'horizon proche, il s'agit d'éviter de tomber dans l'opposition systématique stérile ou le dénigrement enveloppé de mauvaise foi, et de ne pas risquer de commettre le crime de lèse-majesté. Il faut, cependant, rappeler que la Constitution définit un régime présidentiel adéquat au stade d'évolution actuel du pays, et qui ne saurait être remis en cause dans l'état actuel des choses;

Tout revient, en final, à la capacité du chef de l'Etat, non seulement de faire l'analyse adéquate de la situation du pays, mais également de concevoir la nouvelle ligne politique à suivre en fonction de cette situation, et de veiller à ce que les mesures qu'elle dicte soient prises et mises en œuvre de manière suivie et avec la fermeté qui s'impose. Mais, comme toute affaire humaine, l'obsolescence peut frapper l'institution politique la plus solide, et réduire à la sénilité la personnalité la plus lucide.

La fonction de Président est une mission qui impose une énergie inépuisable, une veille permanente et une vigilance de tout moment. Est-ce le cas actuellement? Car le bateau Algérie risque de tanguer fortement avec la tempête qui s'annonce proche et dont les première houles apparaissent déjà. Changer en milieu de gué le cheval de trait qui tire le carrosse gouvernemental pour le ramener à la rive du statu quo, substituer à la ligne politique visant à remédier aux distorsions que connaissent l'économie, les finances, et même la société, un fleuve de rhétorique, ne va que différer l'affrontement des problèmes que pose la stagnation comme synonyme de la stabilité, et rendre la situation du pays encore plus délicate. Si l'Algérie a un «Bourguiba» vieillissant à sa tête, quel sera alors son «Ben Ali?»

Finalement y-a-t-il une contradiction mortelle entre la logique politique et la logique économique? Seraient-elles fondées sur des principes et une rationalité distincte? Ou le questionnement serait-il mal posé? Car, tous comptes faits, l'une et l'autre tirent leurs forces de l'adéquation de l'une à l'autre, qui peut se définir comme l'intérêt suprême de la Nation, guide de l'une et de l'autre.