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Maternité de Aïn Oussera: Prenons garde à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain

par Farouk Zahi

Le mercredi 26 juillet 2017, la mort vient de ravir aux siens une jeune parturiente de 23 ans à l'hôpital de Aïn-Oussera dans la wilaya de Djelfa. Le bébé de sexe féminin a précédé sa maman, probablement par souffrance fœtale. En dépit du geste chirurgical, la malheureuse ne survivra pas à la galère qu'elle aura subie depuis la première contraction. Trop de temps perdu. La presse qui s'est vite saisi de l'affaire a enclenché un processus vindicatif que seules la pondération et la sérénité peuvent juguler. Il est vain de tenter de vouloir trouver de fausses réponses à de vrais problèmes posés depuis fort longtemps et dont les velléitaires solutions n'ont pas encore abouties. La mise sous écrou de trois dames et deux cadres hospitaliers, respectables, sans nul doute, est une mesure excessive, tant que la chose n'est pas jugée. En identifiant vite les coupables à qui on devrait accorder, d'abord, la présomption d'innocence, on ne fait que tirer sur les ambulances. Le vrai coupable et d'ailleurs, il l'est civilement, c'est ce monolithisme administratif qui ne laisse aucun espace à l'intelligence humaine pour s'exprimer. Cette fameuse directive qui n'autorise pas la sage-femme à assister une primipare et qui émanerait de l'administration centrale, est pour le moins surréaliste si son existence est avérée. Comment se pourrait-il qu'une praticienne obstétricienne après une formation bac+3 (actuellement le cursus est de 5 ans) ne peut plus faire un geste que l'accoucheuse rurale de niveau élémentaire faisait sur ces mêmes lieux ?

Loin de nous l'idée de remettre en cause le contenu ou les conclusions de l'enquête, mais des zones d'ombre persistent sous les divers éclairages donnés régulièrement par la presse ; notamment la remise en cause de la directive par le professeur de gynéco-obstétrique de la délégation dépêchée par la tutelle dans le cadre de l'enquête administrative. Même dans sa mise en exécution, l'administration sanitaire doit assumer le manquement dans l'interprétation et l'application cohérente de l'instruction. Le côté pédagogique est laissé à la compréhension de différents acteurs qui, par ignorance ou étourderie risquent, sans vraiment le vouloir le plus souvent, porter préjudice à l'intégrité physique ou morale des individus. A ce titre, l'article 129. (Modifié) du Code civil stipule : Les fonctionnaires et agents publics ne sont pas personnellement responsables des actes par lesquels ils causent un dommage à autrui s'ils ont accompli ces actes en exécution d'ordres reçus d'un supérieur, ordres auxquels ils devaient obéir. En ce qui concerne la réparation du dommage causé, l'indemnisation ne peut être matériellement supportée que par une assurance de responsabilité civile dont la police est annuellement contractée par l'employeur qui n'est autre que l'établissement hospitalier qui a vocation d'établissement public à caractère administratif (EPA) doté de la personnalité morale. Si le sous-effectif et la surcharge des services de maternité peuvent être opposés comme motif de déculpabilisation, la détention des sages-femmes pour une période que seule la Justice pourra déterminer, constituera un autre facteur de pression sur ces mêmes structures déjà décriées. Ces praticiennes qui ne sont certainement pas à leur premier geste pensaient ingénument que les nombreuses mamans qu'elles avaient assistées avec bonheur allaient se solidariser avec elles en cas de malheur. Il y aurait même des lauréats du baccalauréat de cette année, qu'elles auraient aidés à faire venir au monde. Tant d'ingratitude et tant de déni, ne leur venaient jamais à l'esprit.

Ces personnels médicaux et paramédicaux qui atterrissent pour la première fois dans un établissement sanitaire, hors CHU, sont dès le départ désemparés. Reçus dans le meilleur des cas, par un « chef du personnel » (une pompeuse fumisterie), n'aurons droit qu'à un procès-verbal d'installation et à une décision d'affectation au poste. Poste pour lequel il n'est donné aucun choix. Le chef du service clinique affectataire les découvrira au cours de son activité quotidienne. Depuis ce moment où ils n'ont que leur formation initiale, ils tenteront de découvrir ce nouveau monde où la seule relation avec l'administration sera faite de questionnaires, de retenues sur salaire pour service non fait ou d'arrêts disciplinaires. La formation continue, la mise à niveau et l'évaluation positive ne se feront que sous injonction de la tutelle. Tatillon sur le côté disciplinaire, le monolithisme administratif est permissif en ce qui concerne les conditions de travail, les relations interindividuelles ou l'adaptation au poste de travail. Ajoutées aux diverses agressions verbales et parfois physiques des accompagnateurs des patients, ces pressions « réglementaires » pratiquées sur un personnel déjà fragilisé par sa composante à majorité féminine, ne feront qu'exacerber un mal-être généré par les années de turbulence sanglante des années 90. De tous les personnels de la fonction publique, celui de la Santé publique a payé un lourd tribut soit en pertes en vie humaines ou de préjudices psychologiques non réparés. Rappelons-nous ces deux sages-femmes accompagnant, nuitamment, une parturiente en difficulté, égorgées par les sanguinaires du GIA. Deuxième gros bassin employeur après l'Education nationale, il ne dispose d'aucune mutuelle sociale opérationnelle qui envisagerait l'organisation de centres de repos pour ces personnels harassés par la détresse socio-sanitaire de leurs concitoyens. Les substantiels fonds des œuvres sociales tirés de la masse salariale ont depuis longtemps, été détournés de leur vocation originelle. Ils servent présentement à l'octroi de prêts en numéraires ou au tourisme religieux (Omra).

Quant à la prospective, celle-ci a manqué de clairvoyance. Les chiffres que donne la monographie de la wilaya de Djelfa (situation au 31/12/2016) sont éloquents à ce titre, le baby-boom enclenché depuis 1977 augurait déjà de difficultés futures dans les prestations de services, notamment sanitaires. Dans son commentaire, les motifs de cette fulgurante croissance démographique sont expliqués par : « La population de la wilaya a connu une évolution importante, notamment après les années soixante

(entre 1966 et 2008 la population à été multipliée par 4.5), cette forte évolution relève beaucoup plus d'une forte fécondité exprimée par le taux de natalité, que de l'attractivité de la wilaya représenté par la position géographique et l'offre de services induite».

Taux d'accroissement annuel moyen de la population

Communes -- 1977/1987 --1987/1998 --1998/2008

Djelfa -- 5,5-- 5,6-- 5,8

Messaad -- 5,9-- 4,0-- 2,8

Ain Oussera -- 5,4-- 5,3-- 2,0

Hassi Bahbah -- 5,2-- 4,4-- 3,4

Birine -- 3,1-- 2,9-- 1,5

Dar Chioukh -- 3,4-- 4,3-- 2,0

El Idrissia -- 2,9-- 4,8-- 4,5

Taux national : 1,6

Ce synopsis démographique, est à lui seul, révélateur d'une croissance évolutive incontrôlée qui appelle à plusieurs mesures, notamment une politique ciblée d'espacement de naissances, d'aménagement de structures sanitaires dédiées à la mère et à l'enfant et une approche volontariste de formation de personnel obstétricien, notamment de sages-femmes. La tendance qui prévaut actuellement est la disproportion numérique entre médecins et sages-femmes à l'avantage du premier corps. Dans le cas de la wilaya de Djelfa et pour laquelle j'ai quelque droit d'en parler pour avoir été son premier responsable sanitaire de juin 1982 à octobre 1984, elle ne disposait que de son vieil hôpital colonial de 200 lits implanté au chef-lieu et celui de Aïn Oussera de 120 lits (et non 60 comme avancé par la presse) du défunt Plan de Constantine cher à Charles de Gaulle. Actuellement, elle dispose et grâce aux consécutifs plans sectoriels de développement de 1 208 lits à qui il faudra ajouter les nouveaux 240 lits du chef-lieu et les 120 lits en réalisation de Dar Chioukh et de Birine. Ce ne sera que ce dernier qui à sa mise en service soulagera celui de Aïn Oussera qui a répondu jusqu'ici aux sollicitations des daïras du nord de la wilaya. En regard de la population actuelle estimée, cette capacité totale de 1 568 lits, dont 788 au seul chef-lieu, portera le ratio de couverture lit/hab. à 1,12, chiffre très confortable dépassant même le ratio national. Cette pléthore de lits subodore l'intention déjà exprimée d'aboutir à la création d'un centre hospitalo-universitaire. Le mieux serait à la création d'une école de sages-femmes plutôt.

Si la quantité infrastructurelle y est, reste la qualité qui pour se faire doit tenir compte de la forte demande induite par ce frénétique taux de natalité observé depuis 3 décennies déjà. Il ne faut pas être grand clerc pour préjuger de ces cohortes de femmes et d'enfants qui ne manqueront pas de fréquenter les hôpitaux pour demande de soins. Une naïve distribution des services cliniques fera qu'il sera autant consacré de lits de maternité et de pédiatrie qu'aux autres services et parfois moins. Le cas de l'hôpital de Aïn Oussera est édifiant à ce titre ; sur les 126 lits organisés, il n'est réservé à la maternité que 20, soit le 1/6 de sa capacité technique. L'information statistique hospitalière a toujours rapporté de forts taux d'occupation de ces deux spécialités. Quand ceux de médecine tournaient autour des 30%, ceux de la mère et de l'enfant dépassaient la barre des 80%. Mais construire ou équiper n'est pas encore suffisant, faut-il encore encadrer par une formation soutenue. Construire un établissement hospitalier ne nécessite souvent pas plus de deux ans, cas des hôpitaux de Messaâd et Hassi Bahbah livrés clé en main en 1985, mais leur encadrement n'est toujours pas parachevé.

Ce long plaidoyer n'est nullement fait pour défendre ces agents hospitaliers (plutôt inhospitaliers) à la barbe hirsute, grossiers et traînant savate, mais à cette multitude d'agents des deux sexes qui ont accompli avec honneur et probité une mission des plus nobles qu'ils n'ont jamais considérée comme un quelconque métier lucratif. Notre pensée va au défunt Abelkader Mohad, véritable cheville ouvrière de l'hôpital de Djelfa qui porte son nom et ce n'est que justice rendue à cette personnalité, à Mme Lougliti née Kharroubi et ses consœurs sages-femmes qui ont travaillé sans échographie, juste au palper et enfin le médecin chirurgien en la personne du Dr Zitouni de l'hôpital de Aïn Oussera qui pendant de longues années fut le brillant bistouri du triangle compris entre Hassi Bahbah, Ksar El Boukari (Médéa) et Ksar Chellala (Tiaret). L'administration quant à elle, elle doit s'impliquer totalement pour faire face à la forte demande induite par la vie moderne où l'individu qui, jadis, recourrait à la médecine traditionnelle avec toute la fatalité y afférente, est de plus en plus exigeant. L'insuffisance de lits ne doit jamais justifier le renvoi de malades à risque, il y va de leur vie. Laisser cette rébarbative initiative au seul personnel qu'il soit médical ou paramédical de décider du renvoi des patients en détresse, ne peut participer que de la fuite en avant. Le règlement intérieur de l'établissement stipule clairement que le gestionnaire est tenu d'organiser des lits en cas de nécessité absolue. En cas de transfert vers d'autres établissements plus outillés, celui-ci demeure à la charge du service évacuateur quitte à s'attacher les services d'ambulanciers privés en sous- traitance. Les pérégrinations onéreuses et humiliantes des patients à la recherche d'un établissement d'accueil, ont décrédibilisé le service public de santé en dépit de toute la bonne volonté de l'ensemble de ses composantes.