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Sommet européen: L'inutile effet placebo d'Emmanuel Macron

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

  Quand les dirigeants européens laissent entendre et croient à un revirement de la Grande-Bretagne sur sa sortie de l'Union et que le président français Emmanuel Macron, en vedette du Sommet, conçoit l'UE comme un «supermarché».

«Eviter que la question du Brexit ne pollue les discussions des chefs d'Etat et de gouvernement et se focaliser sur l'avenir de l'UE», a été le mot d'ordre, le slogan lancé par le président du Conseil européen à la veille du Sommet de l'UE tenu à Bruxelles jeudi et vendredi. Et il ne fut question que du Brexit et de ses conséquences sur l'avenir de l'Union européenne. Jusqu'au point où ce même président du Conseil, le Polonais Donald Tusk, s'est pris à rêver à un revirement de la Grande-Bretagne de sa décision de divorce pour revenir à la maison commune de l'UE. L'argument ?

La déclaration de la Première ministre britannique Theresa May affirmant préférer «l'absence d'un accord qu'un mauvais accord» sur le Brexit. De là à spéculer sur l'abandon de la Grande-Bretagne de sa décision de quitter la famille européenne, il y a comme un déni du principe même du choix des Anglais de quitter l'Europe, plus précisément d'un déni du principe même de l'expression démocratique du peuple anglais.

Les Européens, en particulier les gouvernants français ont, il est vrai, nié la volonté de leurs concitoyens en 2005 lorsqu'ils ont voté à une confortable majorité leur rejet du traité européen en l'adoptant à leur place par voie parlementaire. Mais la Grande-Bretagne n'a pas la même conception (et le même irrespect) du vote populaire que la France et bien d'autres pays européens. Du coup, malgré les espoirs des Européens sur un éventuel revirement de la Grande-Bretagne, Mme Theresa May qui n'a assisté au Sommet que l'après-midi de jeudi durant quelques heures a donné le top départ de la procédure de séparation avec l'UE en fixant les grands principes de la négociation. La première difficulté relevée tient au sort des citoyens européens établis en Grande-Bretagne et ceux anglais établis en Europe. Tous garderont leurs droits sociaux (travail, conditions de circulation etc.) durant cinq années après le prononcé officiel de la sortie de la Grande- Bretagne de l'UE. Deuxième sujet: l'avenir des nombreuses agences européennes installées en Angleterre. Londres et Bruxelles étudieront les conditions de leur déménagement éventuel et le coût de leurs conditions financières et sociales qui sera supporté équitablement. Bref, la procédure du Brexit est bel et bien entamée.

C'est dans cette ambiance d'ouverture des adieux de Londres à Bruxelles que le président français Emmanuel Macron a fait son entrée, sa première entrée, dans le Conseil européen avec la même stratégie que celle qui l'a mené au pouvoir en France: une opération marketing haut de gamme. Macron ambitionne de mettre «En marche» l'Europe en ménageant les intérêts des uns et des autres, en se posant en tant que chef réconciliateur des différends Européens que ce soit sur l'économie, la défense, l'immigration etc. «L'Union européenne n'est pas un supermarché où chacun ne puise que ce qui l'intéresse», a déclaré Emmanuel Macron à la veille du Sommet. Juste constat et courageuse déclaration du président français, sauf que la complexité de la construction européenne actuelle ne fonctionne pas sur les mêmes critères de rentabilité qu'un «supermarché».

Au demeurant, Macron livre au travers de cette déclaration toute sa conception de l'UE: un marché. Qu'ils sont loin les idéaux qui ont prévalu à la naissance de l'UE : la solidarité, la paix et la sécurité, l'équité, la liberté et la démocratie...!

L'avenir de l'Europe se résume à un grand marché

Admettons ! faut-il alors rappeler que la loi du marché fonctionne selon les règles de «l'offre et de la demande»? Et dans ce cas, nul besoin d'être sorcier pour comprendre que ce seront les plus forts (plus riches) qui imposeront la gestion du marché européen.

Cette vision de la construction européenne se répercute sur les politiques communes. Ainsi, en évoquant les deux autres sujets lors de ce Sommet que sont la défense et l'immigration, les déclarations unanimistes et de principe se heurtent à la réalité géopolitique. Les pays de l'ex- bloc soviétique qui ont rejoint l'UE n'ont pas les mêmes marges financières pour augmenter leur budget de défense nationale à 2% du pib comme souhaité par le couple franco-allemand.

Du coup, la main tendue des USA via l'OTAN est plus supportable pour eux. Ce n'est pas un hasard que le bouclier antimissile américain est basé en Tchéquie et en Pologne !

Si l'intention est bonne de vouloir créer une vraie défense européenne commune, il faudrait revoir alors la place des Européens au sein de l'OTAN. Le président américain, Donald Trump, presse déjà les Européens à mettre la main à la poche pour augmenter leur contribution au budget de l'OTAN. Les Européens n'ont pas trouvé mieux voilà quelques semaine (après la réunion de Varsovie) que d'annoncer la mise sur pied d'un QG militaire commun et de lui allouer 90 millions d'euros de subvention. Mais si la question de la défense européenne autonome est une vrai arlésienne, celle de la gestion des flux migratoires est terriblement «menteuse» : aucun pas européen hormis l'Allemane n'a tenu ses engagement face aux flux migratoires en provenance de Syrie, de Libye, d'Irak... l'argument ? La politique migratoire relève de la compétence des Etats qui sont libres de la concevoir en fonction de leurs intérêts.

D'ailleurs, face au désengagements des Etat les uns après les autres sur cette question, l'UE a dû passer un deal honteux avec la Turquie pour qu'elle fasse barrage aux flux migratoires transitant par son territoire en lui promettant 6 milliards d'euros (3 milliards ont déjà été débloqués) et surtout en fermant l'œil sur les atteintes aux droits de l'homme et sur la question kurde.

Finalement, ce Sommet dont la vedette, Emmanuel Macron, était sous les feux des projecteurs, ressemble bien aux habituelles rencontres européennes: pleines de bonne intention déclarées sans pour autant faire cesser les mille un une discordes au sein de la famille européenne. De là à espérer le retour du désir de la Grande-Bretagne de rester dans la maison Europe... s'apparente à un fantasme de divorcé à ses propres torts.