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Un nouveau gouvernement, de nouvelles priorités

par Mahdi Boukhalfa

Le nouveau gouvernement issu des élections législatives de mai 2017 a étonné plus d'un expert. Autant par sa composante humaine que par ses priorités, plus sociales qu'économiques et, au-delà, stratégiques.

Le nouveau Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, a tracé dès la passation de pouvoir jeudi avec M. Abdemalek Sellal les priorités de son gouvernement. «Nous allons continuer la mission initiée par Si Abdelmalek Sellal, avec les mêmes priorités fixées par le président de la République, qui sont l'éradication totale de la crise du logement, des bidonvilles et l'achèvement des programmes de logements, l'éducation et la santé.» En outre, «on va continuer le travail de M. Sellal, la priorité sera donnée à la reconversion de notre économie, qui est nécessaire et urgente pour que notre pays ne dépende plus du yoyo des prix du pétrole», précise M. Tebboune, qui a assuré que son objectif «est une économie plus saine, plus équilibrée, et le contrôle que doit faire le gouvernement». «C'est notre mission».

Le Premier ministre s'est-il lui-même tracé son programme gouvernemental, celui auquel il tient comme la prunelle de ses yeux, l'achèvement du programme de logements et l'éradication de la crise du logement, ou a-t-il discuté avant sa passation de pouvoir avec le Président Bouteflika ? Car, en fait, le nouveau gouvernement est composé dans les postes sensibles et économiquement stratégiques par des «ex»- walis. Agriculture, Commerce, Travaux publics et Transports, Ressources en Eau, Habitat, des départements qui sont à la base de l'architecture d'un gouvernement toutefois techniquement hétéroclite, sans direction précise. Le nouveau ministre de l'Energie Mustapha Guitouni est issu de Sonelgaz, alors que la logique aurait voulu qu'il y ait un «pétrolier» à ce poste, et donc qu'à priori le détenteur de ce portefeuille n'aura pas les coudées franches pour diriger sans «ingérences» son ministère, et que la décision sur les grandes questions lui échappera.

C'est un peu le sentiment que laisse le gouvernement de Tebboune 1, dont la priorité sera axée sur le logement. Et, accessoirement, sur la santé et l'éducation.

Certes, ces deux secteurs sont pratiquement au bord de l'asphyxie, et ils sont au centre d'une profonde crise de confiance en interne et de scandales à répétition, que ce soit pour le département de Benghebrit, qui a été maintenue à son poste, que celui de l'ex-wali d'Oran devenu ministre de la Santé, qui n'aura fait que des replâtrages dans un secteur où tous les clignotants sont au rouge. Son éviction, car c'en est une, était programmée depuis le début de l'année, non seulement avec le scandale du complément alimentaire pour diabétiques «Rahmet Rabbi», qu'il avait cautionné, mais avec une crise à répétition des médicaments. Pour autant, le Premier ministre est resté bien discret sur les autres défis qui attendent son gouvernement, dont l'industrie, l'agriculture et d'une manière globale une économie revisitée et repensée avec les nouvelles donnes du secteur énergétique.

C'est en fait à ce niveau qu'il sera attendu et qu'il va le plus travailler, c'est-à-dire combler un vide énorme que va créer l'absence d'un ministère de l'Economie. En cela, il a fait comme son prédécesseur, et les autres avant lui, en ne créant pas de nouveau un vrai ministère de l'Economie, avec deux sous-ministères, celui des Finances et du Budget, comme cela se faisait auparavant. Il faudrait remonter aux années 1990 avec le gouvernement Hamrouche pour retrouver la trace d'un ancien ministère de l'Economie, drivé à l'époque par Ghazi Hidouci. En réalité, l'Algérie souffre de l'absence d'un département qui a les clés de la gestion de l'économie nationale, car un ministère des Finances ne travaille que sur un agenda précis : la gestion, l'accumulation et la redistribution des recettes, avec des sous-chapitres liés à la rigueur budgétaire et le maintien des équilibres dans les dépenses du gouvernement.

Mais, il manque un ministère qui pense l'économie nationale, qui gère les grandes tendances financières et prévient autant que gère les risques systémiques, les crises financières et économiques mondiales avec leur onde de choc sur l'Algérie. Et puis un tel département est le garant des grandes orientations et de leur application en matière de politique économique à moyen terme.

Dès lors, avec l'ablation du ministère des Affaires maghrébines et africaines, et le retour à une seule entité au ministère des Affaires, comme la nomination d'un ministre de l'Industrie inconnu du sérail politique, confirme que la tâche primordiale, sinon la «priorité» comme l'a affirmé M. Tebboune, de ce gouvernement sera sans nulle doute l'achèvement des programmes en cours avec des «ministres» dans l'habit de walis.

La nomination et la composante de ce gouvernement a pris tous les contours de la précipitation, sinon de la cooptation, avec la nomination au poste de l'Industrie, un département appelé à créer les conditions idoines pour une alternative à long terme au «tout pétrole», d'un député, chargé de la commission Finances et Budget du Parlement sortant. Ou au département du Travail et de la Sécurité sociale du directeur de l'ANSEJ. Bref, ce sera avec «des novices» qui n'ont pas vraiment le profil du «poste» que le tout nouveau Premier ministre devra s'attaquer à un gros morceau: réorienter l'économie nationale vers des secteurs créateurs de richesses, pour, comme il l'a affirmé jeudi, «ne plus dépendre du yoyo des prix» du pétrole. La confection de ce gouvernement selon les résultats des législatives pose plus de questions qu'elle n'en résout. Reste à savoir si des walis reconvertis en ministres pourront faire redémarrer l'économie algérienne.

Pour autant, une chose est sûre : la nomination (enfin !) de M. Abdelkader Messahel à la tête de la diplomatie algérienne rassure autant sur la capacité du ministre à gérer, avec une très grande réactivité, les grandes questions régionales et continentales du moment et à venir, qu'à conforter un agenda international dont il est un des principaux artisans.

Enfin, il y a la venue, ou la consécration d'un journaliste au poste du ministère de la Communication. M. Djamal Kaouane, issu de la corporation, avec un bref intermède à l'ANEP, devra recoller les morceaux laissés par son prédécesseur, qui a trop confondu entre gérer un secteur exigeant certes, tourné vers les nouvelles tendances de l'information, mais plombé par des difficultés financières, et une tendance manichéenne et pédante à la pédagogie du métier qui souffre des restrictions sur la publicité introduites par le ministre démissionnaire. M. Kaouane devra ainsi déminer son terrain et replanter le dialogue avec la corporation. Pour une meilleure communication entre la corporation et le gouvernement. Enfin, le nouveau gouvernement, composé de 27 ministres et nommé jeudi par le président Bouteflika, compte une douzaine de nouveaux ministres, le retour de certains comme M. Necib, et le maintien d'autres à leurs postes.

Les titres de ministre d'Etat et de ministre délégué ont été supprimés. Le nouveau gouvernement devra présenter officiellement son programme d'action au Parlement, puis au Conseil de la Nation pour approbation.